Chapitre 18

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«Ma mère est née à Eldora, dans une famille pauvre. Le problème est que, étant la capitale, Eldora est une ville riche et la vie là-bas est très chère. La naissance de ma mère était un accident, ses parents ne voulaient pas d’elle. Au début, ils ont essayé de la nourrir, de l’habiller, de l’éduquer… Mais cette année-là, l’hiver a été rude. Ses parents n’avaient pas assez d’argent pour assurer leur vie, et ma mère – Myra – est tombée très malade. Mes grands-parents n’ont pas pu payer des médicaments et des médecins, alors ils l’ont abandonnée dans la rue alors qu’elle n’avait qu’un an. Elle savait à peine marcher, et elle était incapable de parler. Les gens dans la rue ne faisaient pas attention à elle, les habitants d’Eldora étaient réputés pour être hautains et égoïstes.

Ma mère ne pouvait rien faire. Elle est restée assise par terre à attendre que ses parents viennent la chercher. Et puis elle s’est mise à pleurer. Deux personnes dans la foule l’ont alors repérée. C’était un jeune couple plutôt aisé, venant de Sorrana.

La femme était de taille moyenne, frêle. Elle portait une longue robe et un manteau en fourrure, à ses poignets brillaient des bracelets et ses mains étaient couvertes de gants en dentelle. Ses cheveux noirs étaient attachés un chignon. Elle devait avoir la vingtaine.

Son mari était petit et enrobé. Il portait un costume noir, avec un petit mouchoir en tissu qui sortait de la poche de son veston. Une petite barbe poussait à son menton, et sa moustache n’était pas rasée. Il avait à peu près la vingtaine, lui aussi.

Ils lui ont demandé ce qu’elle faisait ici. Elle n’a pas répondu, trop jeune pour parler. L’homme et la femme – nommés Xian et Tori – décidèrent de l’adopter. Ils la ramenèrent dans leur maison à Sorrana, un grand cottage sur deux étages avec une grande cour à l’arrière.

Avec Xian et Tori, ma mère a grandi dans la richesse. Elle a pu se faire soigner, elle a reçu une meilleure éducation et sa santé s’est améliorée. Elle aidait parfois la femme de chambre de ses parents adoptifs à faire le ménage, elle allait parfois en cuisine…

Le problème de ses nouveaux parents, c’étaient qu’ils provenaient d’une famille de nobles, et lorsqu’elle avait huit ans, ma mère avait déjà dû rencontrer deux prétendants. Chaque fois qu’elle se plaignait, Tori lui rappelait qu’elle l’avait élevée comme si c’était sa vraie fille, et Xian lui disait que c’était grâce à son argent qu’elle pouvait vivre aisément. Le couple la traitait de fille ingrate.

À l’âge de dix-huit ans, ma mère se retrouva enfin face au choix qu’elle redoutait : se marier avec l’un des hommes choisis par ses parents adoptifs.

C’est ainsi qu’elle épousa Naïm, un homme de bonne famille venu de Virelia, cultivé et respecté. Le mariage fut grandiose, avec des invités venus des deux villes ainsi que de la capitale. Au début, ma mère crut qu’il s’agissait d’une nouvelle chance pour elle, une chance de recommencer, d’être aimée, acceptée. Naïm était doux et attentif, et elle se sentait protégée avec lui.

Les premiers mois étaient incroyables. Son mari lui donnait de l’importance, la cajolait… Mais très vite, les choses ont changé. Naïm se révéla être un homme autoritaire et possessif. Au début, il ne se montrait pas agressif mais contrôlait la vie de ma mère. Les petites remarques sur sa tenue, ses fréquentations, et la manière dont elle devait se comporter devinrent plus présentes.

Puis un jour, après une dispute, il la frappa pour la première fois. Après, ça ne s’est plus vraiment arrêté. Dès que ma mère n’obéissait pas ou était insolente, elle se faisait battre par Naïm.

Elle a voulu lui échapper en se plaignant à Xian et Tori, mais ils ne l’ont pas crue et l’ont renvoyée chez Naïm, qui l’a frappée une nouvelle fois.

Alors un jour, elle a fui. Elle est partie de nuit et a rejoint le centre de Sorrana, puis Eldora. Elle s’est demandée si elle allait recroiser ses vrais parents, s’ils la reconnaîtraient… Puis elle a arrêté d’y penser et s’est rendue dans un bar.

Là, elle a essayé de gagner sa vie de toutes les manières possibles. Elle a travaillé comme serveuse, cuisinière, agent d’entretien et elle a même gagné de l’argent illégalement en se prostituant. Elle a pu s’acheter un tout petit appartement dans un immeuble miteux.

Ma mère a vécu ainsi pendant un mois. Et puis un jour, alors qu’elle travaillait au bar, un homme de vingt ans est arrivé. Il était blond, gentil, beau. Il est devenu ami avec ma mère, et il a décidé de la ramener chez lui pour la protéger.

Sauf qu’il vivait à Sorrana.

Un jour qu’ils se promenaient ensemble, Naïm a recroisé ma mère et l’homme, nommé Sheyang. Le mari a voulu récupérer ma mère, et quand Sheyang a appris qu’elle était mariée et qu’elle lui avait menti, il s’est énervé et l’a laissée à Naïm.

Ma mère était tombée amoureuse de Sheyang, alors elle s’est absentée un après-midi pour aller lui expliquer la vraie histoire. Le blond est devenu son amant, et elle le rejoignait assez souvent.

Quant à Naïm, il essayait d’avoir un enfant avec ma mère pour avoir un fils qui deviendrait riche, lui aussi.

Et un jour, ma mère tomba enceinte. Naïm pensait que l’enfant était de lui, mais elle, elle ne savait pas. Elle préférait penser qu’il venait de Sheyang, mais elle ne pouvait pas le savoir.

Elle a prévenu son amant qu’elle attendait un enfant. Le blond lui a avoué qu’il faisait parti d’un groupe de criminels qui tentait de prendre le pouvoir de la cité des Cerisiers. Ils se sont cachés ensemble chez Sheyang, et neuf mois après, ma mère a accouché.

Dès que je suis venue au monde, Sheyang et ma mère se sont enfuis d’Honiria avec moi pour rejoindre la cité du Lotus.

Je n’avais que six mois lorsque ma mère s’est faite assassinée par un membre du groupe de criminels. C’était juste avant que Min se fasse arrêter. À ce moment-là, Sheyang a quitté le groupe et est reparti sur Honiria pour me protéger et m’éduquer comme s’il était mon père.

À Sorrana, ma mère était portée disparue. Naïm était en colère, il a essayé de tuer Sheyang dans la rue mais s’est fait enfermer à la prison royale.

J’ai grandi à Sorrana. Je n’allais pas à l’école comme les autres filles de mon âge : je restais chez Sheyang, où il m’apprenait à lire, écrire et me battre. Il voulait que je sache me défendre pour qu’il ne m’arrive rien de similaire à ce qu’a vécu ma mère.

Quand j’ai eu dix ans, Sheyang m’a dit d’emporter dans un sac quelques affaires. On partait pour la cité des Fleurs. Il disait que depuis la dernière fois qu’il y était allé, tout avait changé. Dix ans plus tôt, les deux héritiers des deux cités s’étaient mariés, réunissant les temples. Et cette année-là, ils avaient eu un enfant.

Quand nous sommes arrivés, nous avons trouvé un logement pas très cher loin du centre-ville, où j’ai continué à me battre. Je savais que je devenais forte, et j’étais fière de moi.

Puis cinq années sont passées, et je t’ai rencontré.»

Je ne dis rien, les yeux rivés sur la lune et les étoiles. Dahlia sanglote à côté de moi.

- Tu sais… Je préfère penser que mon vrai père est Sheyang. Enfin, dans tous les cas, mes parents sont morts. On ne peut pas dire que je sois triste pour ma mère, je l’ai à peine connue. Mais j’aurais aimé savoir à quoi elle ressemble, connaître sa voix, son odeur…

- Je suis comme toi. Je connais l’identité de ma mère, mais pas de mon père. Mais je comprends ta douleur par rapport à la perte de Sheyang. C’est comme si Eni mourrait.

- Malgré ça, tu l’as quand même abandonné, ton Eni. Moi, je n’aurai jamais fait ça à Sheyang.

Elle se redresse et s’assoit contre un rocher.

- Je sais que je ne ferai pas comme Semai. Je veux continuer à vivre, même si Sheyang n’est plus là.

Elle soupire.

- À la base, je ne m’appelais même pas Dahlia. C’est Sheyang qui a dérivé mon vrai prénom pour ne plus penser à ma mère.

- Tu t’appelais comment ?

Je sens qu’elle hésite quelques instants à répondre, mais elle finit par lâcher :

- Adahliana.

Je souris dans la pénombre.

- J’aime bien. C’est joli, Adahliana. Je vais t’appeler comme ça, maintenant. Ça ressemble à un prénom de princesse.

- Merci.

Je souris à nouveau puis me mets debout.

- On devrait aller dormir. On finira la construction du radeau demain.

Dahlia acquiesce, et nous rejoignons la grotte. Sunhee et Ambre sont assises dans un coin et discutent en chuchotant. Je m’allonge sur le sol rocailleux et ferme les yeux. Demain, nous construirons un bateau et nous partirons de cette île. Il le faut. Je ne veux pas me laisser mourir ici.

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