Chapitre 20

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Dahlia et Sunhee avaient raison. Nous arrivons chez la première pendant la nuit, et nous nous enfermons dans sa maison.

La brune installe des draps par terre pour que l’on puisse se reposer, et la nuit prochaine, nous irons au Temple des Fleurs kidnapper Namki.

Je m’allonge sur le lit et ferme les yeux pour m’endormir, conscient que je n’ai pas vraiment dormi depuis quatre jours. Mon ventre est tenaillé par la faim, et ma gorge asséchée par le sel de l’eau maritime. J’ai des courbatures dans les bras à force de ramer et dans les jambes à force d’être assis.

* * *

Après avoir dormi d’un sommeil profond durant quelques heures, je me réveille. Dahlia est la seule debout, elle cuisine. Je me lève pour la rejoindre et je pars chercher de l’eau dans le puits de son jardin.

Le soleil est déjà en train de se coucher, j’ai probablement dormi la journée entière. Ça fait beaucoup de bien.

Quand je retourne dans la maison, Sunhee est réveillée et discute avec Dahlia de l’enlèvement de l’héritier. Je crois qu’elle et moi allons bientôt partir pour le Temple des Fleurs.

Je mange un peu de riz, de poisson et de légumes avant de rejoindre l’ancienne chambre de Sheyang pour lui emprunter des vêtements propres.

Je soupire en pensant à nos trois amis morts. Semai, qui s’est suicidé après la mort de sa jumelle Aomano, sûrement morte noyée. Sheyang, le père de Dahlia, mort noyé pendant la tempête. Nous n’avons pas eu le temps de les pleurer, de penser à eux. Nous avons dû nous dépêcher de quitter l’île perdue. Je me demande ce qu’il se serait passé si Semai ne s’était pas jeté à la mer. Ce qu’il se serait passé si Sheyang n’était pas tombé du bateau. Ce qu’il se serait passé s’il n’y avait pas eu la tempête. Est-ce que les jumeaux auraient continué le plan avec nous ? La seule certitude que j’ai, c’est que Sheyang n’aurait jamais abandonné Dahlia. En repensant à tout leurs moments ensemble, je réalise à quel point mon amie tenait à lui, alors qu’elle n’était même pas sûre qu’il était son vrai père. Quelle importance, quand au final il était le seul à être là pour elle pendant son enfance ? Il n’est peut-être pas son père biologique, et même s’il le savait, il s’est occupé d’elle comme de sa propre fille. Il l’aimait, alors que c’était peut-être l’enfant d’un autre. Protégeait-il Dahlia par devoir, par amour envers sa mère ? Ou est-ce qu’il tenait vraiment à la jeune fille ? Maintenant qu’il est mort, je n’aurai jamais la réponse.

- À quoi tu penses ?

La voix de Dahlia me tire de mes pensées. Je secoue la tête.

- Ce n’est pas important. On y va ?

Elle me considère un instant, les yeux plissés.

- D’accord. Je préviens les filles.

Alors qu’elle sort de la chambre de Sheyang pour aller voir Ambre et Sunhee, je pousse un dernier soupir. Puis je la rejoins dehors, prêt à aller m’introduire au Temple des Fleurs et à enlever l’enfant de mon demi-frère.

* * *

Il fait très sombre dehors, je crois que nous avons choisi le bon moment pour nous glisser discrètement au temple. Dahlia m’informe qu’elle a fait du repérage pendant la journée, et qu’aucun garde ne surveillait la sortie des servants.

Lorsque nous arrivons à l’arrière du temple, nous entrons discrètement par la porte non-surveillée, et nous marchons lentement dans les allées du jardin.

- Il faut trouver Namki, chuchote-t-elle.

Je hoche la tête, tout en guettant si des gardes approchent. Aucun signe de vie n’est visible, alors nous entreprenons d’avancer vers le pavillon ouest, sans réellement savoir si l’enfant est ici.

Nous entrons à l’intérieur du temple, et évoluons silencieusement dans les couloirs. Je m’arrête net en voyant la lueur d’une bougie sur un mur. En face, une porte est ouverte. Je peux distinguer Hyujin et Aria assis, en pleine discussion.

Je m’approche de la porte, collé au mur pour ne pas me faire repérer.

- Il a l’âge d’entrer à l’école, non ? demande Aria.

- Oui. Il faudra l’inscrire l’an prochain.

Ils parlent sûrement de Namki.

Une ombre passe sur le visage de Hyujin, qui soudain serre la mâchoire.

- Il ne faut pas qu’il finisse comme moi, déclare-t-il d’une voix presque inaudible.

Je me penche vers Dahlia, étonné.

- Il n’est pas allé à l’école ? chuchoté-je.

- Son père lui payait des professeurs particuliers, donc il travaillait chez lui. Si tu veux mon avis, ça a dû l’affecter.

Je hausse les épaules et fais un signe à mon amie.

- Cherchons Namki tant que ses parents sont ici.

- Bonne idée.

Nous faisons demi-tour pour contourner la pièce où sont les dirigeants et avançons dans les couloirs sombres du temple.

J’ouvre une première porte et la referme en constatant qu’elle est vide. Dahlia fait coulisser une cloison et se tourne vers moi.

- Il est ici…

Je la rejoins et entre dans la chambre. Je détaille l’enfant. Il ressemble à Hyujin en beaucoup plus jeune, et beaucoup plus innocent. Je souris, content d’avoir trouvé Namki aussi facilement.

- Et maintenant ? demande mon amie.

Je lui fais signe de se taire et je m’approche de l’enfant. Je l’enroule autour de ses draps et dissimule sa tête dessous.

- Il faut se dépêcher de sortir.

Je le soulève du sol et sors de la chambre rapidement. Dahlia me talonne alors que je refais le chemin en sens inverse jusqu’à la sortie des servants. Une fois dans la rue, nous reprenons notre course jusqu’à un entrepôt abandonné. Nous ouvrons les portes en bois et posons l’enfant dans un coin. Le souffle court, je me penche et attrape mes genoux pour étirer mes cuisses. Dahlia revient avec la corde pour le ligoter au piquet central, et nous attachons ses draps en bâillon.

Je vois la jeune femme fixer l’enfant avec tristesse, presque même les larmes aux yeux.

- Hyuk… C’est horrible ce que l’on fait. J’ai tellement de peine en voyant Namki… Dire que l’on a kidnappé un enfant de six ans… On était comme lui il n’y a que dix ans…

- Eh. Si c’est comme ça que tu réagis, il y a beaucoup de chances que le peuple soit du même avis, et donc qu’ils trouvent que Hyujin et Aria sont de mauvais dirigeants puisqu’ils laissent un enfant en prison, et leur propre enfant se faire enlever. Il va y avoir une révolution, et je pourrai prendre le pouvoir en disant que je suis le second fils de Hana. On est près du but, Dahlia.

- Mais… Enfin… Hyuk, je te le répète, Namki a six ans ! Je n’avais pas réfléchi avant de faire ça, je suivais juste le plan mais… je suis en train de réaliser à quel point c’est cruel. Il n’a rien demandé… Rien du tout…

- Écoute, ce n’est pas le moment de douter. Je me suis même dit que si on le tuait, ça affecterait encore plus le peuple. Et surtout Hyujin.

- Et toi ?! Ça ne t’affecterait pas de tuer un enfant ? Tu pourrais vivre avec la mort du fils de ton frère sur le dos ?!

Sa voix part dans les aigus.

- Ah, j’oubliais, bien sûr que oui, puisque tu deviendras dirigeant et que tu seras riche, aimé, respecté… D’une certaine façon, Ambre et toi êtes pareils ! On devrait aller reposer cet enfant tout de suite, Hyuk. C’est mal ce que l’on fait. Il doit y avoir une autre façon pour toi de devenir dirigeant, de récupérer ton héritage.

Dahlia baisse les yeux.

- Si tu continues sur cette lignée, Hyuk… D’accord, mais ce sera sans moi. Je n’irai pas te dénoncer à Hyujin, sauf si tu vas trop loin, mais je ne ferai plus rien. Si tu mets fin à la vie de cet enfant, tu mets aussi fin à notre amitié. Choisis.

- Dahlia…

- MAINTENANT ! hurle-t-elle, les larmes aux yeux, la voix perçante.

- Je ne le tuerai pas. Je n’en suis pas capable. Mais je le garde en otage.

Elle soupire.

- Crois-moi, Hyuk. C’est horrible. Il faut… il faut vraiment que tu changes d’avis. Je ne veux pas être une criminelle et je pense que toi aussi. Rappelle-toi pourquoi tu te battais, quand on s’est rencontrés. Pour que Hyujin et Aria arrêtent de te considérer comme un criminel sous prétexte que tu étais le fils de l’un d’eux.

- Ne parle pas de mon enfance. Tu n’es personne pour critiquer mes actes. C’est toi qui a accepté de me suivre. Je ne t’ai jamais forcée.

- Je te déteste, Hyuk.

Elle me gifle puis sort l’entrepôt presque en courant.

Je m’assois près de l’enfant endormi, me retenant de donner des coups de poing dans les murs, de tout casser.

* * *

La porte qui s’ouvre avec fracas me réveille. Je pense d’abord que c’est Dahlia, mais l’ombre imposante qui se trouve dans l’entrée est en réalité celle de mon demi-frère. Il s’approche de moi, la mâchoire serrée, les sourcils froncés.

Je m’attends à recevoir un coup, mais il se contente de me toiser de sa hauteur avec froideur. Une insulte franchit ses lèvres, puis il m’assène le coup que j’attendais : je me prends son poing en pleine tête.

Son poing s’abat contre ma joue, me faisant trébucher et donc tomber sous l’impact. La douleur explose dans ma mâchoire, et un goût métallique envahit ma bouche. Je n’ai pas le temps de reprendre mes esprits. Avant même que je puisse me relever, Hyujin attrape le col de ma tunique et me soulève d’un geste rageur.

- En tant que dirigeant, tu n’es pas censé rester chez toi, te faire protéger et attendre que les gardes s’occupent de moi ? Tu n’as pas de choses plus importantes à gérer ? lancé-je, la voix aussi sèche que possible.

Il resserre sa prise autour de mon col, m’étranglant presque.

- Mon statut de père et d’époux passe avant celui de dirigeant.

Son regard brûle d’une colère froide. Il me jette violemment contre une poutre, qui se fissure sous la force du choc. Je roule au sol, la tête bourdonnante.

Je dégaine ma dague en sursaut, cherchant à l’attaquer, mais il ne me laisse pas le temps d’agir. Son pied percute mon poignet avec une précision implacable et mon arme vole quelques mètres plus loin. Je me redresse en vacillant, les muscles contractés, prêt à riposter malgré ma faiblesse.

Dahlia surgit soudain, une épée à la main. Elle se place devant moi, les jambes bien ancrée.

- Arrêtez Hyujin ! On n’allait faire aucun mal à votre fils, je vous assure !

Il ne répond pas, mais son regard s’assombrit, et en une fraction de seconde, il attaque. Son coude percute le plexus de Dahlia avec une force calculée, lui coupant le souffle. Elle recule, désarmée. Son mouvement laisse une ouverture, et Hyujin en profite.

Son pied s’élève avec une fluidité déconcertante et s’écrase contre la mâchoire de Dahlia dans un bruit sourd. La puissance du coup est brutale, maîtrisée. Dahlia titube avant de s’écraser sur le sol, incapable de bouger.

Hyujin ne s’attarde pas. Il atteint son fils en deux enjambées et défait les liens. Il attrape Namki avec une douceur contrastant avec sa rage précédente et se relève. Avant de quitter l’entrepôt, mon demi-frère se retourne et nous sonde. À son regard, je comprends qu’il hésite à nous tuer ou quelque chose comme ça, puis il serre un de ses poings et quitte le bâtiment décrépi sans un mot.

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