Chapitre 24
La prison où Hyujin et deux gardes nous enferment est une toute nouvelle cellule extérieure. Les cloisons sont des fils de fer qui montent haut dans le ciel, et ils sont entourés de fils barbelés. Il n’y a pas de toit, seulement un petit préau près de la porte et une cabane avec deux lits. Cette nouvelle cellule était l’idée de Shan, le conseiller d’Aria et Hyujin. Comme les deux dirigeants ont bâti une toute nouvelle cité en unissant les deux leur, le juge a préféré leur attitrer un conseiller pour gérer tout ça.
Dahlia fait la tête. Elle me lance des regards assassins une fois de temps en temps, mais ne dit pas un mot. Je m’approche d’elle, un peu gêné.
- Euh...Dahlia… Je suis vraiment, vraiment désolé. C’est de ma faute si on est enfermés ici, et crois-moi, je ne voulais pas que ça arrive. C’est juste… Je m’étais dit qu’en faisant du mal à Aria, nous…
- Nous quoi, Hyuk ?! Pour t’en prendre à Aria, il a fallu que tu tues trois gardes ! Trois meurtres en l’espace de seulement quelques minutes, Hyuk, tu te rends compte de ce que tu deviens ?! En plus, ça n’a servi strictement à rien vu qu’on se retrouve bloqués ici et que tu n’as rien fait du tout à Aria ! Et puis même, qu’est-ce que tu aurais pu faire ?! La tuer, elle aussi ?! Si tu avais fait ça, ce n’est pas en prison qu’on aurait fini, mais au cimetière ! Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans « Hyujin tient trop à Aria pour qu’on s’en prenne à elle » ?!
Le silence règne dans la cellule. Dahlia fixe le sol, les bras croisés, les mâchoires serrées. Je tente de capter son regard, mais elle s’obstine à l’éviter.
- Dahlia… Tu comptes m’ignorer indéfiniment ?
Elle relève ses yeux brûlants de colère.
- Tu as changé, Hyuk. Tu t’es laissé emporter, et maintenant, tu es exactement ce que Hyujin disait de toi. Un criminel.
- Ne dis pas ça, Adahliana…
- Et pourquoi pas ? C’est la vérité. Tu penses que je vais continuer de te suivre aveuglément après ce que tu as fait ? D’ailleurs, ne m’appelle pas comme ça.
La pluie a repris, accompagnant le silence pesant entre nous. Dahlia s’appuie contre la poutre en bois.
- Tu as raison. Je suis désolé.
Elle ne répond pas. Son silence est plus dur à supporter que ses mots.
- Tu pourrais au moins dire quelque chose.
Elle relève lentement la tête vers moi, ses yeux sombres me transperçant. La pluie ruisselle sur sa peau, sur ses boucles. Contre toute attente, elle s’approche de moi d’un pas fluide, silencieux.
- Tu es trempé, murmure-t-elle, son regard s’attardant sur mes manches humides.
- Et alors ? Ce n’est pas comme si ça avait de l’importance, surtout après ce que tu viens de me dire.
Un nouveau silence s’installe. Je m’avance et lève la main vers son visage. Du bout des doigts, je repousse une mèche collée à sa joue.
Elle relève les yeux vers moi, et mon souffle se bloque. Elle est si proche que je peux distinguer chaque nuance de ses pupilles.
- Dahlia…
Et puis je me penche lentement. Mes lèvres effleurent les siennes. Comme la dernière fois, c’est bref, léger.
Je me recule et plonge mon regard dans le sien.
- Hyuk… Tu… Je ne veux pas que tu penses que… Enfin… Je ne veux pas une relation officielle… Je ne sais même pas si je suis amoureuse de toi ou quoique ce soit…
Je me prends la tête entre les mains.
- Oublie tout de suite ce que j’ai fait…
- Hyuk… Toi et moi on est amis, je ne pensais pas que ça changerait… Peut-être que quand toute cette histoire sera finie, on pourra en discuter plus sérieusement, mais on n’a pas le temps de…
- Le temps, on l’a, Dahlia. On est enfermés à vie dans cette putain de prison !
- Eh, calme-toi. Je te rappelle que c’est de ta faute.
- Et c’est de ta faute si l’idée de t’embrasser m’est venue. C’est toi qui a commencé.
- Je…
Elle baisse les yeux. Ses mains tremblent, sa respiration est saccadée.
- Je pensais qu’en faisant ça, ça ferait taire le début de sentiments que je ressentais… Je pensais que tu me rejetterais… Alors j’aurais pu t’oublier et redevenir une simple amie… Mais ça a fait l’effet inverse.
Je pousse un soupir.
- Hyuk, je ne voulais pas que notre relation prenne cette tournure… On a déjà beaucoup de choses à gérer, parce que crois-moi, je ne vais pas rester enfermée ici.
- D’accord. Mettons au point un plan pour nous enfuir, alors.
Dahlia hoche la tête et entre dans la petite cabane où sont les lits. Je la suis et referme la porte pour éviter de mouiller l’intérieur.
- Cette pluie ne s’arrêtera jamais ! s’exclame-t-elle.
Je ne réponds rien et m’assois sur le lit dans le fond de la petite pièce. Un plan pour s’enfuir d’ici… La cellule a été bien pensée, il est impossible de partir par les cloisons extérieures sans se faire embrocher. Et la seule porte de sortie est verrouillée, il n’y a ni fenêtre ni barreaux dessus. À la limite, on pourrait assassiner le garde qui nous apporte notre repas et lui voler ses clés pour s’en aller, mais Dahlia n’approuverait pas. Demander à passer devant un juge serait inutile, parce que nous sommes bels et bien coupables de meurtres et d’enlèvement. La situation me semble désespérée.
La porte de la cellule grince, et Dahlia et moi nous lançons un regard. Quelqu’un vient nous apporter un repas. Nous sortons du cabanon, et constatons que Sunhee se tient dans notre cellule, accompagnée d’un homme un peu plus âgé que moi. Notre amie a camouflé son visage derrière une capuche noire, et visiblement, les gardes n’y ont vu que du feu.
- Hyuk, Dahlia. Je suis venue vous avertir de…
- Comment sais-tu que l’on est ici ? coupé-je. Et c’est qui, lui ?
- Laissez-moi vous raconter. Je me promenais dans les rues pour diffuser les rumeurs, lorsque j’ai entendu que vous vous étiez fait emprisonner. Là, j’ai essayé de vous faire libérer en parlant aux gens, mais personne ne me croyait, on me traitait de folle. Quelqu’un a même dit qu’il enverrait une lettre aux dirigeants pour me dénoncer. Et c’est là que Jiho entre en scène. Il accepte de nous aider, lance Sunhee fièrement.
Jiho est un garçon au teint un peu mat, et aux courts cheveux noirs en bataille. Son regard est noir, et je sens qu’il n’est pas ici pour se faire des amis ou pour tuer le temps.
- Je vous présente Jiho, il a dix-sept ans, continue la blonde.
- Jiho, viens avec moi, dis-je en l’attirant sur le côté. J’aimerais te poser quelques questions.
Il hausse un sourcil mais me suit.
- Pourquoi nous aides-tu ?
- Je déteste la cité des Fleurs. Le mariage de Hyujin et Aria n’aurait jamais dû avoir lieu. J’aimais la cité du Lotus sous le règne de Seok et Hana, et je ferai tout pour que la cité redevienne semblable. Ma mère était une prétendante de Hyujin, il y a quinze ans. Cet homme l’a rejetée sans même la regarder, lui parler, tout ça parce qu’il aimait sa rivale ! Il n’a aucun respect pour les autres, alors je n’en aurai aucun pour lui.
J’acquiesce.
- Tu serais prêt à tuer des gens pour nous aider ?
- Je serai prêt à tout pour tuer Hyujin et Aria.
Je souris.
- Parfait.
Nous retournons vers les filles, qui discutaient d’un moyen de nous faire sortir de là.
- J’ai eu une idée. Si nous mettons le feu à la prison, les gardes évacueront et ne ferons pas attention aux prisonniers. Vous vous enfuirez discrètement, puis nous partirons chez Dahlia. Les gardes penseront que vous êtes morts brûlés, et rapporteront ça à Hyujin. Il ne s’inquiétera plus autant et vous oubliera peu à peu. Ce sera le moment idéal pour renverser le pouvoir.
Sunhee semble fière de sa stratégie. Il est vrai que ça pourrait marcher.
- D’accord.
Dahlia me lance un regard scandalisé, mais je l’évite et me tourne vers Sunhee.
- Lorsque Jiho et toi sortirez de notre cellule, brûlez la prison en commençant par le sud. Nous nous trouvons au nord, on aura un peu de temps pour nous enfuir. Laissez la porte ouverte, dès que le feu aura lieu, le garde n’ira pas refermer notre prison. Il ne pensera qu’à sortir.
- Allons-y, alors.
Sunhee et Jiho referment la porte et je n’entends pas le déclic qui prouverait que la porte a été fermée.
Quelques minutes plus tard, une odeur de brûlé se répand, et je peux voir de la fumée dans le ciel. Nos amis ont fait leur travail.
- Attendons que le feu gagne le centre de la prison, puis sortons par la porte la plus au nord.
Des cris perçants retentissent, et l’odeur du feu se mélange à celle des gens brûlés. Je réprime un haut-le-cœur et ouvre la porte de la cellule. Les couloirs sont déserts, et j’aperçois les flammes dans l’angle d’une prison.
J’attrape la main de Dahlia et m’élance dans les allées jusqu’à la sortie nord. J’ouvre la porte et nous sortons dehors. Je prends un instant pour contempler le feu engloutir l’immense prison. Lorsque les flammes atteindront le toit fait de bois, la prison s’effondrera. Des gardes sont agglutinés près de la sortie ouest, et nous les contournons, dissimulés par une série d’arbres, pour rejoindre Jiho et Sunhee.
Les habitants de la cité accourent pour voir ce qu’il se passe, et nous en profitons pour nous éclipser.

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