Chapitre 28
« Monsieur l’Empereur Wei et son Conseiller Saeng, je vous envoie cette missive depuis le Temple des Fleurs pour vous avertir. Je me nomme Sunhee, et je suis en présence de Hyujin et Aria Shin, mais avant de vous expliquer la raison de cette lettre, laissez-moi vous raconter mon histoire. »
Saeng marque une pause. Dahlia et moi échangeons un regard effaré. Sunhee. Elle nous aurait trahis ? C’est impossible ! Je me mets à trembler sur mon cheval, et je resserre ma prise autour du collier de l’animal.
« J’ai été enfermée à la prison de la cité des Fleurs, puis je me suis libérée avec l’aide de Hyuk. Nous voulions prendre le contrôle de la cité. Je me suis alliée avec Dahlia, et nous avons commencé à travailler tous les trois. Seulement, il y a quelques jours, ils sont partis vers le sud avec Jiho, me laissant seule, et j’ai beaucoup réfléchi à mes actes. Lorsque je me suis alliée avec Hyujin et Aria il y a quinze ans pour une affaire dans la cité, j’avais développé des sentiments pour Hyujin, qui sont aujourd’hui encore existants, et qui rendent les actes de Hyuk, Dahlia et Jiho impossibles à réaliser pour moi. C’est pour cela que je les ai trahis. J’espère qu’ils me pardonneront, mais je ne peux pas faire de mal à Hyujin.
Mes trois amis sont donc partis vers le sud, à la recherche d’alliés. Je ne sais pas s’ils passeront par l’Empire de la Lune, mais ils avaient pour objectif d’aller à Rivière Pourpre.
Je m’en veux de trahir mes amis, mais je n’avais pas d’autres choix. J’ai déjà fait assez de mal comme ça autour de moi, et Hyujin et Aria ont déjà assez souffert, il y a quinze ans.
Faites attention, Monsieur l’Empereur Wei, Conseiller Saeng. Hyuk, Dahlia et Jiho ont des aptitudes au combat insoupçonnées, et je suppose que leurs alliés de Rivière Pourpre aussi.
Méfiez-vous d’eux. Ils n’ont aucune bonne intention.
Merci pour l’attention que vous aurez prêté à ma lettre,
Sunhee Baek , Aria et Hyujin Shin
Temple des Fleurs, Cité des Fleurs »
Je reste figé, incapable de bouger. Nous avons été trahis. Hyujin et Aria savent tout de notre plan. Sunhee n’a pas mentionné dans sa lettre la guerre que nous voulons réaliser. C’est déjà un bon point.
Je ne peux même plus parler, je suis sous le choc.
Le Conseiller Saeng replie le papier et le dissimule dans sa poche.
- Je ne vous laisserai pas partir. Vous vous en doutez, n’est-ce pas ?
Xia et Chen sont les premiers à réagir. Ils sautent de leur cheval, courent et le jeune homme se poste face à Saeng. Xia contourne le conseiller et arrive derrière lui pour lui asséner un coup dans le dos. Il ne bronche pas et se retourne pour la frapper, mais Xia esquive. Chen profite de cet instant d’inadvertance pour donner un coup de coude dans les abdominaux de Saeng, qui grogne avant d’attraper Chen par le col et de le tirer en arrière.
Dahlia bondit de sa monture, attrape une pierre et tente de donner un coup dans le bras de Saeng pour qu’il lâche Chen, mais il l’avait vue venir et donne un coup de pied à Dahlia qui trébuche. Xia vise l’avant-bras du conseiller et lance son poignard, qui atterri au bon endroit.
Déstabilisé, Saeng desserre sa prise et Chen en profite pour se libérer et planter lui aussi son poignard dans le cœur du conseiller. Sauf que ce dernier est vif. Il pivote suffisamment pour que la lame atteigne seulement son omoplate.
Jiho les rejoint et son poing cogne la mâchoire de Saeng, tandis que Xia et Dahlia profitent de l’ouverture pour attaquer simultanément. Xia lance une nouvelle arme, visant l’abdomen, alors que Dahlia court et essaye d’attraper la lettre.
Bien que blessé, Saeng repousse Dahlia violemment et esquive l’arme de Xia.
- On doit partir, dis-je. Je ne pense pas qu’on arrivera à le battre.
Dahlia croise mon regard et lève les yeux au ciel. Tandis que les attaques continuent de fuser entre Xia, Chen, Jiho et Saeng, elle s’avance vers moi.
- Idiot, descends de ce cheval. Tu étais prêt à tuer Namki, Aria, tous les gardes du Temple des Fleurs, et maintenant que l’on doit juste tuer un conseiller, tu refuses ? Je ne te comprends pas.
- Des renforts vont arriver, et on va perdre l’avantage, soufflé-je. On est peut-être à cinq contre un, mais dès que les gardes viendront, nous serons en infériorité numérique. Partons maintenant, trouvons le traître et rejoignons d’autres villes à l’ouest pour se faire des alliés.
Dahlia hésite. Elle se mord la lèvre et jette un regard à nos amis.
- D’accord, soupire-t-elle. On part !
Nos alliés courent jusqu’à nous et grimpent sur les chevaux. Ils ne demandent rien maintenant, mais ils voudront des explications une fois que nous serons loin du palais.
Saeng ricane.
- Bande de lâches.
Personne n’y prête attention, et nous chevauchons nos chevaux. Une fois au portail, Xia lance ses poignards dans le dos des gardes qui s’écroulent, et nous ouvrons les portes en bois. Les animaux galopent à toute vitesse, dévalant la cité principale de l’Empire de la Lune. Nous traversons les ruelles sombres, les boulevards animés, bousculant des gens au passage. Nous franchissons les murailles de la cité, et nos chevaux continuent leur course un peu plus loin dans le désert.
Essoufflés, les animaux s’arrêtent et nous descendons de leur dos.
- Et maintenant ? lance Jiho.
- On trouve le traître de l’empire, réponds-je.
- Trop tard. Nous avons quitté la ville, riposte Chen.
- Non. On rentre dans la cité une fois la nuit tombée. On n’a pas fait tout ça pour rien ! m’énervé-je.
- Et comment comptes-tu y entrer ? Les gardes surveillent aussi la nuit, Hyuk.
- Je n’ai jamais dit qu’on passerait par la porte d’entrée.
Je désigne les hautes murailles.
- On va faire un peu d’escalade.
- Tu es fou ? De l’escalade, sur des murailles de plus de dix mètres de haut ?
Je souris, fier de mon idée, et me tourne vers un arbre collé à la muraille.
- Les constructeurs n’ont pas été très intelligent. J’ai regardé : si nous montons tout en haut de l’arbre, on pourra passer par-dessus la muraille.
Chen hausse un sourcil.
- Et comment tu fais pour redescendre ? Tu veux vraiment qu’on s’infiltre à cinq là-bas ?
- Fais-moi confiance. J’irai avec Dahlia pendant que vous resterez là.
- D’accord, soupire-t-il.
* * *
La lune est haute dans le ciel noir, et Dahlia et moi fixons l’arbre. Elle est la première à s’avancer et à grimper sur les branches les plus larges, testant leur solidité.
- Ça me rappelle notre séjour à Eldora, sourit-elle.
J’opine du chef et pose mon pied sur la première branche. Elle grince un peu mais ne s’effondre pas, pourtant je me dépêche de grimper sur la seconde branche. Dahlia m’attend un peu plus haut et recommence à monter lorsque je la rejoins.
Nous finissons par arriver tout en haut de l’arbre, à seulement un demi-mètre de la muraille. Il nous suffirait de sauter, et nous arriverons sur la tour de garde. Personne ne semble patrouiller dessus, c’est étonnant.
- Hyuk, on y va.
Dahlia s’avance jusqu’au bout de la branche et saute. Elle glisse contre la pierre mais se rattrape et fait une traction pour remonter sur la muraille. C’est à moi. Je prends un peu d’élan, sans aller trop vite pour éviter de tomber, et saute entre l’arbre et les murs de pierre. J’atterris aux pieds de Dahlia, et elle m’aide à me relever, me tendant sa main.
Je me mets debout, nos mains toujours liées, et je la fixe dans les yeux. Elle est un peu plus petite que moi, m’arrivant au menton. J’entrouvre les lèvres, sans savoir si c’est parce que je m’apprête à dire quelque chose, ou si c’est parce que je m’apprête à l’embrasser.
Ce n’est vraiment pas le moment. Nous sommes en mission, et ce serait dommage de se faire repérer, surtout que nous sommes à la vue de tous.
Pourtant, je ne bouge pas, et elle non plus.
- Hyuk, on en a déjà parlé… La dernière fois, en prison, j’ai été claire, non ? Je ne veux pas penser à notre relation maintenant.
- Des deux choses que je veux, c’est ce qui a le plus de chance d’arriver pourtant, soufflé-je.
Elle ouvre la bouche puis la referme.
- On en parle plus tard.
- Quand, plus tard ?!
- Pourquoi tu t’énerves ? murmure-t-elle.
Je passe ma main dans mes cheveux et détourne le regard.
- Je n’en sais rien.
Mes yeux croisent à nouveau les siens et je sais que je n’arriverai plus à me retenir. Je me penche et presse mes lèvres sur les siennes.
Elle se laisse faire, d’ailleurs elle ne dit rien lorsque je m’écarte. Elle se contente de me tirer vers les escaliers qui permettent de descendre de la muraille.
Je la regarde partir un peu devant moi. Je fixe ses cheveux se balancer sur son dos, ses mains crispées…
Je la fixe et je me demande comment elle réagirait si je lui disais ce que je ressentais pour elle depuis qu’elle m’a embrassé pour la première fois. Comment elle réagirait si je lui disais « je t’aime » ?

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