Une rencontre inattendue
Ils restèrent un long moment adossés à la paroi de pierre, à reprendre leur souffle. Yanel se laissa glisser sur le sol, imité peu après par sa sœur, le regard toujours fixé sur le défilé où la déchirure venait de disparaître.
- Une déchirure du rêve qui se déplace ? Mais comment ça peut exister ça ?
- Non, tu n’as pas rêvé, répondit Lézandre sur un ton qu’il voulait apaisant. Quelques voyageurs ont rapporté l’existence de ces déchirures mobiles mais je n’avais jamais rencontré quelqu’un qui en ait vu une de ses yeux. Au point que ça semblait n’appartenir qu’aux légendes. Mais visiblement, ça existe vraiment.
- Vous croyez qu’elle garde l’accès à la forêt ? Comment va-t-on faire pour aller là-haut avec cette déchirure ?
- Avec un peu de chance, on ne la verra plus. Elle ne faisait que passer.
- Je ne crois pas. Le défilé encercle cette satanée forêt. Je crois bien qu’elle passe et repasse sans arrêt.
- Nous verrons cela demain, conclut Lézandre. Cet endroit paraît sûr, hors de portée de la déchirure si elle devait repasser. Nous allons manger et puis dormir. Nous avons vraiment besoin de repos et puis, la nuit porte conseil.
- Et parfois des mauvais rêves.
La nuit ne vint pas seule, un froid assez vif l’accompagnait. La température chuta rapidement et trempés de sueur après leur course éperdue, ils se retrouvèrent vite à grelotter. Ils s’empressèrent de sortir leurs couvertures et Lézandre sortit aussi le bol dans lequel il avait mis les poissons à mariner. Il avait dû jeter le bol dans son sac lorsqu’ils avaient quitté en catastrophe leur premier campement et il retrouva les filets en morceaux par-dessus ses affaires. Cela suffit pourtant à apaiser leur faim. L’heure du serpent s’annonçait à peine qu’ils sombraient dans le sommeil.
La nuit passa, tranquille et froide, sous la pâle clarté d’une petite lune qui disparut peu avant le matin. Passa le Château dormant et les rêves qui laissèrent place au Vaisseau.
- Il reste quelque chose à manger ?
Yanel venait de se réveiller pour découvrir sa sœur perdue dans la contemplation du ciel.
- Non, répondit-elle d’un ton las. Lézandre vient de descendre dans le défilé, ajouta-t-elle sans plus de détail.
Leur compagnon revint assez vite les rejoindre.
- La déchirure arrive, dit-il simplement en arrivant près d’eux.
- Quoi, la même qu’hier ?
- Sans doute, elle occupe toute la largeur du défilé et avance à la même vitesse il me semble.
Ils attendirent en silence et virent bientôt l’air se tinter de moirures violettes. Le passage ne dura que le temps de quelques battements de cœur puis l’espace qu’ils observaient reprit son apparence normale.
- Cela veut dire qu’elle parcourt le défilé deux fois sur une journée. Ça nous laisse six heures pour l’explorer et trouver un autre abri avant qu’elle ne nous rattrape.
- Non, la moitié à peine. Celle-ci ou une autre a dû passer pendant la nuit. J’avais jeté quelques pierres dans le défilé avant de dormir et elles avaient disparu quand j’ai vérifié à mon réveil.
- Ça ne nous laisserait que trois heures environ pour explorer le défilé avant de devoir nous mettre à l’abri.
- Vous pensez qu’il n’y a qu’une seule déchirure ? Qu’elle parcourt tout le défilé en seulement trois heures.
- Sans doute. Ça ferait quoi ? Hier, quand on fuyait devant la déchirure, on devait faire entre quinze et vingt kilomètres par heure. Cela ferait pour le défilé entre quarante-cinq et soixante kilomètres.
Il faut ici expliquer que dans ce monde, une journée ne compte que douze heures, six heures de clarté, de l’heure du Vaisseau à celle des Épées, et six heures de nuit, de l’heure de la Lyre à celle du Château dormant. Chaque heure compte environ cent vingt minutes, en moyenne dirons-nous car cela dépend des saisons.
- Bon, si on doit compter là-dessus, on va se mettre en route tout de suite et retourner vers le torrent, conclut Danka en se levant.
- Tu veux retourner sur nos pas ? lui demanda son frère, surpris.
- Il se peut que l’accès vers la forêt se trouve par-là, nous avons pu passer devant sans le voir hier soir. Et même si on ne le trouve pas, on sait qu’on peut regagner cet abri si la déchirure revient. Si on part de l’autre côté, on ne sait pas du tout ce qu’on va trouver.
- Et avec un peu de chance, il y aura encore des poissons. On ne trouvera certainement rien à manger dans tout le défilé alors autant d’abord tenter notre chance au torrent, ajouta Lézandre.
Ils découvrirent ainsi le chemin qu’ils avaient suivi pendant la nuit. Il ne différait guère de celui qu’ils avaient parcouru jusqu’au torrent, toujours ce défilé large de cinq à six mètres, coincé entre deux parois rocheuses verticales. Nul accès n’apparut à la lumière du jour et par moments, ils ne pouvaient s’empêcher de craindre que la faille qu’ils avaient vue dans leur rêve n’existe finalement que dans ce rêve. Un moment, ils s’arrêtèrent pour observer un énorme chêne qui avait fait le vide autour de lui et dont les branches s’étendaient loin dans toutes les directions sauf par-dessus le défilé. Là, il n’en restait que des morceaux brisés comme si quelque géant les avait fracassées en passant. Jusqu’alors, il n’avaient vu que des charmes et quelques hêtres en bordure de cette forêt inaccessible.
L’heure du Faucon débutait quand ils arrivèrent au torrent qui n’avait rien perdu de sa force. Ils n’avaient osé parlé du festin de poisson qu’ils espéraient y trouver, craignant qu’en parler ne contrarie le sort, mais aucun poisson ne les attendait. Ils se contentèrent de refaire le plein d’eau en examinant les options qui s’offraient à eux,
- Au moins, pas de déchirure à l’horizon, on devrait avoir le temps de poursuivre et de regagner l’entrée du défilé que nous avons trouvée hier.
- Je ne crois pas. On avait marché près d’une demi-heure avant de trouver le torrent. Aura-t-on le temps de l’atteindre avant que la déchirure ne bloque le passage ? Elle avance au pas de course alors que nous avons marché.
- On peut toujours essayer, en marchant plus vite que durant l’heure écoulée. On a nos chances je pense. En outre, on verra la déchirure de loin en plein jour, on pourra toujours faire demi-tour si nécessaire. Mais il faudra bien essayer à un moment ou à un autre alors autant le faire maintenant.
Ils pesaient ainsi les avantages et risques de leur projet quand un grand fracas derrière eux les fit sursauter et coupa court à leur discussion. Se retournant, ils découvrirent qu’une nouvelle déchirure du rêve venait d’apparaître au beau milieu du défilé, à cinq ou six mètres de hauteur. Une grande table en bois venait de se fracasser le sol et la déchirure continuait de vomir d’autres objets qui se brisaient ou s’éparpillaient dans toutes les directions. Cela ne dura que quelques secondes puis l’étrange pluie cessa bien que la déchirure continua de flotter dans les airs. Dans le chaos d’objets fracassés, ils virent quelque chose bouger, quelqu’un plutôt, quand un cri de douleur parvint à leurs oreilles.
- Peste de Mariol ! crièrent-ils avant de courir jusque là.
Ils découvrirent une jeune fille coincée sous les débris de la table. Elle serrait contre sa poitrine son bras droit en grimaçant de douleur et un flot de sang s’écoulait d’une large entaille à la tête. Lézandre et Yanel s’occupèrent de dégager la table qui tombait en morceaux alors que Danka s’agenouillait à ses côtés. La blessée sursauta en sentant la main de Danka sur son épaule et, ravalant ses gémissements, tourna la tête vers elle. Danka pouvait lire dans ce regard, dans ces yeux d’un vert intense, l’incrédulité complète de la jeune fille. La peur et la douleur aussi.
- Ça va aller. N’aie pas peur, on va s’occuper de toi.
Elle ne trouvait rien d’autre à dire pour la rassurer et ne savait même si l’inconnue la comprenait. Elle ne devait pas avoir plus de seize ans. Pieds nus, des cheveux châtains coiffés en deux tresses tombant sur ses épaules, le teint assez hâlé, elle portait une courte robe faite de peaux d’animaux cousues. A son cou, attaché par un lacet en cuir, pendait un simple galet poli aux teintes bleutées.
Lézandre vint s’accroupir près d’elle. Ses années d’errance lui avaient appris un peu de médecine et il savait soigner de nombreuses blessures sauf les plus graves. Il commença par examiner l’entaille à la tête qui se révéla bénigne. Dans sa chute, elle avait cogné les débris d’un pot en terre cuite dont l’arrête lui avait entaillé le front et l’arcade sourcilière. Il sortit d’un sac des linges propres et des herbes connues pour leurs propriétés curatives. Il prit une bande de tissu roulée et la tendit à Danka.
- Pose ça sur la plaie et maintiens-la en place. Ça suffira pour arrêter le sang.
La jeune fille se crispa lorsqu’il prit son bras blessé mais ne résista pas. Il palpa aussi doucement que possible et décela une fracture nette de l’avant-bras. Par réflexe, elle avait dû essayer d’amortir sa chute et l’os n’avait pas tenu le choc. Douloureux mais pas trop grave dans l’immédiat jugea-t-il. Il replia le bras contre la poitrine de la jeune fille, la fracture devrait attendre, il n’avait pas le temps de s’en occuper. Il continua son examen mais ne trouva heureusement que quelques contusions et une cheville foulée.
- Ça va, rien de trop grave. Tu t’en sors bien pour une telle chute. Mais on n’a pas le temps de s’occuper de ton bras maintenant, il faut qu’on parte d’ici au plus vite.
La jeune fille lui jeta un regard chargé d’incompréhension auquel il ne répondit pas, occupé à préparer de nouveaux bandages. Pendant que Lézandre s’occupait de la blessée, Yanel lui examinait ce que la déchirure avait jeté dans le défilé. La lourde table en bois brut et les rondins qui servaient de tabourets ne l’intéressaient pas, pas plus que tous les débris en terre cuite, restes apparemment de petits cruchons. Il en trouva un qui contenait encore une petite mesure d’un liquide jaunâtre à l’odeur assez forte qui évoquait une simple tisane. Goûtant du bout du doigt, il grimaça en découvrant l’amertume du breuvage.
- Je croyais que cette déchirure avait dévasté une auberge mais on dirait plutôt que tout cela sort de l’échoppe d’un apothicaire. Enfin, sauf que cette fille ne ressemble pas vraiment à l’apprentie d’un apothicaire. Ni à une serveuse d’ailleurs.
Il finit par trouver, cachées entre les rondins, une dizaine de calamines – des espèces de grosses prunes – dans un panier tressé qu’il s’empressa de ranger dans son sac.
Danka terminait de panser la plaie à la tête tandis que Lézandre immobilisait de son mieux le bras dans un grand linge plié qu’il enroula autour de son torse. Ils allaient pouvoir repartir.
- On va retourner au campement où on a passé la nuit, on ne peut pas prendre le risque de continuer. Si la déchirure bloque le passage avant qu’on y arrive, on devra courir pendant deux heures pour revenir à notre abri. Et ça, on n’y arrivera pas, surtout avec une blessée.
Il aida alors la jeune fille à se remettre sur pied, la tenant fermement par les épaules.
- Bon, écoute. Nous allons devoir marcher une bonne heure sans traîner ni nous arrêter car il ne fera pas bon se trouver encore dans ce défilé dans pas longtemps. Yanel et moi allons t’aider, sinon tu n’ira pas loin avec ta cheville blessée. Je sais que tout cela doit te paraître étrange et que tu comprends rien à ce qu’il se passe ici mais on t’expliquera une fois arrivés à notre abri. Donc maintenant, tu serres les dents et on y va.
Il passa sa tête par-dessous le bras valide de la jeune fille et la prit par la taille pour la soutenir. Danka l’arrêta avant qu’il ne se mette en route.
- On n’a pas eu le temps alors, avant de partir, faisons quand même les présentations. Je m’appelle Danka, là tu as mon frère cadet, Yanel et voici Lézandre. Et toi, comment t’appelles-tu ?
- Veynhy, répondit-elle d’une petite voix.
- Bon, on y va. Yanel, récupère tout le bois que tu peux de cette table, ça ne nous fera pas de tort de faire du feu ce soir.
Et il se mirent en route. Veynhy parvint à tenir le rythme durant les deux premiers kilomètres puis Lézandre la sentit faiblir de plus en plus rapidement. Il jura silencieusement car atteindre leur destination à temps devenait de plus en plus incertain à chaque pas. Il pensait que vivant dans la nature, cette fille aurait plus d’endurance. Yanel dut venir lui prêter main forte. Il prit Veynhy par l’autre bras pour la soutenir et durant l’heure qui suivit, la jeune fille plongea dans un brouillard de souffrances et de larmes. Chaque pas envoyait des ondes de douleur dans son bras et sa cheville enflée. Danka suivait, les bras chargés de la provision de bois. Ils ne parlaient pas, seuls le bruit de leur respiration et les cris de douleur que la blessée ne pouvait retenir rythmaient leur route.
Danka se retournait souvent, guettant la déchirure qui finit par apparaître dans le lointain. La monotone régularité du défilé les empêchait d’estimer la distance qui les séparait encore de leur but alors, ils accélérèrent encore, portant presque la blessée qui trébuchait de fatigue et de mal à chaque pas. Ils avaient moins de cent mètres d’avance sur la déchirure quand la pente d’éboulis apparut. Lézandre souleva la jeune fille dans ses bras pour courir plus vite encore. Yanel passa devant lui pour escalader les plus hautes roches et le soulager du poids de Veynhy, sa sœur fermait la marche. Il se réfugièrent tous les quatre au plus haut de la pente et se retournèrent pour regarder passer la déchirure.
Couchée sur le flanc, recroquevillée, Veynhy laissait échapper dans ses sanglots toute la douleur accumulée pendant cette course folle, inconsciente de la présence des autres à ses côtés. Lézandre vint près d’elle lui parler, gêné malgré lui. Car si nécessité fait loi, elle n’empêche pas la culpabilité.
- Tu sais, j’aurais préféré t’épargner ses souffrances, mais nous n’avions pas le choix. Ça va aller maintenant, tu vas pouvoir te reposer et on s’occupera de tes blessures.
Elle ne réagit pas et il la laissa tranquille. Il tira une épaisse couverture de son sac et l’en recouvrit. A sa tenue légère et à son teint, il devinait qu’elle vivait dans des contrées bien plus chaudes et n’allait pas tarder à souffrir du froid en plus de ses blessures. Elle ne dit rien mais ne repoussa pas la couverture. La laissant, il alla s’asseoir à l’écart et Danka pris sa place à côté d’elle. Un long moment passa avant que ses larmes ne s’apaisent et elle sombra dans le sommeil.
- Rude journée pour elle. Je me demande bien d’où elle vient et comment elle a pu se retrouver piégée par une déchirure.
- Il arrive que des déchirures s’ouvrent spontanément, sans aucun avertissement. Elle a sans doute eu la malchance de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. On verra quand elle se réveillera.
- Si elle veut bien nous parler. Comme premier contact avec nous, on aurait pu rêver mieux.
- Oui bon, elle devra bien comprendre que nous n’avons rien à voir avec son échouage ici. Dans son malheur, elle a eu de la chance de tomber sur nous. Toute seule, elle y passait par cette déchirure.
- Bien sûr, mais tu connais le dicton, ventre affamé n’a pas d’oreille et je crois que le diction marche aussi avec les bras en miettes.
- En parlant de ventre, mangeons un peu. La déchirure qui l’a amenée ici nous a fait un petit cadeau.
Yanel sortit de sa besace les fruits qu’il avait récupérés et en tendit un à chacun de ses compagnons. Ils savourèrent lentement les fruits juteux même si ça ne suffisait pas pour satisfaire leur faim.
- On ne tiendra pas longtemps avec juste cela, il faut trouver l’accès à la forêt au plus vite.
- J’y ai pensé aussi pendant qu’on revenait ici, commença Lézandre. Avec cette fille blessée, il faut changer nos plans. On va rester ici jusqu’au matin, pas le choix. Puis j’irai avec Yanel comme on l’a fait aujourd’hui. Toi Danka, tu resteras ici avec elle jusqu’à ce qu’on revienne.
Danka n’appréciait pas l’idée mais comprenait la logique de Lézandre et ne protesta pas. Elle préférait en plus ne pas laisser son frère seul avec la jeune fille, même dans son état. Elle hocha la tête, marquant son accord.
Ils restèrent assis à deviser, regardant régulièrement la jeune fille qui s’agitait par moments dans son sommeil. Elle émergea au bout de deux heures, tirée de son sommeil par un mouvement inconscient qui lui arracha un cri de douleur. Danka posa sa main sur son bras valide.
- Tu dois avoir soif Veynhy, dit-elle en lui présentant un gobelet en bois. Tu veux boire un peu d’eau ?
Elle resta sans réaction un moment puis accepta d’un timide hochement de tête. Danka l’aida à se redresser puis la fit boire en plusieurs gorgées. Le verre vide, elle lui tendit une calamine.
- Tiens, tu dois avoir faim également.
Elle ne se fit pas prier et mangea le fruit et même un deuxième
- Tu sais, on aurait préféré ne pas faire ça, t’obliger à courir malgré tes blessures. Je sais qu’on t’a fait souffrir mais on n’avait pas le choix. Tu peux me croire.
Elle sentait que la glace commençait à se fissurer, qu’après ces quelques heures de repos, un début de confiance naissait. Pour briser définitivement la glace et nouer le contact, elle ne vit rien de mieux à faire que de parler d’eux.
- Le vieux gaillard, là, il connaît notre père depuis toujours. Ils ont tout fait ensemble et à vingt ans, ils ont décidé de répondre à l’appel du voyage. Ils ont voyagé longtemps, pendant des années, à travers de nombreuses contrées. Ils n’ont jamais voulu raconter tout ce qu’ils ont vu et fait, sans doute par peur que l’on veuille faire comme eux. Ils ont rencontré ma mère pendant leur voyage, des villageois voulaient la jeter du haut d’une falaise. Lézandre pourra te raconter mieux que moi comment ils l’ont libérée en volant des chevaux. Elle les a accompagnés car elle aussi voulait découvrir d’autres terres à travers les rêves. Puis un jour, ils ont dû s’arrêter pour de bon, mon petit frère et moi allions bientôt arriver. Ils ont repris une vieille auberge dans une petite ville où ils vivent encore aujourd’hui.
Elle s’arrêta, remarquant l’expression d’incompréhension sur le visage de Veynhy.
- Oh, je comprends, tu ne connais pas de ville ni d’auberge, tu ne sais pas de quoi je parle ? Une ville donc, et bien imagine un endroit où des tas de gens vivent, tellement qu’on ne peut pas les compter, avec des habitations en pierre ou en bois pour manger ou pour dormir. Et dans cette ville, il y a des maisons où tu peux aller chercher du poisson, d’autres où tu trouves des vêtements, des outils, toutes sortes de choses. Et dans une auberge, tu peux venir manger et boire de bonnes choses avec des amis. Tu comprends ?
Difficile de savoir si elle avait effectivement compris aussi continua-t-elle son récit, encouragée par l’attention que la fille lui portait.
- Lézandre lui, continua à voyager mais revenait régulièrement nous voir. Il dit qu’il n’aime pas se fixer, qu’il préfère la route, mais moi je crois qu’en fait, il a un jour tapé dans le cœur d’une dame qui essaie maintenant de le retrouver. Il continue de voyager sans cesse pour lui échapper.
- Contente-toi de lui raconter ton histoire, jeune fille, au lieu d’en inventer à mon sujet.
- Ou alors, il aime tellement manger que s’il arrêtait de voyager, il passerait son temps à s’empiffrer et deviendrait si gros qu’il ne trouverait plus aucun pantalon assez grand pour lui, termina Danka en riant.
- Fais attention que je ne baisse pas le tien pour te flanquer la fessée que tu mérites, bougonna le vieux voyageur.
Mais il l’avait dit sur un ton tellement peu sévère qu’il fit naître un petit sourire sur les lèvres de la blessée. Il vint s’accroupir devant elle qui alors se crispa et eut un léger sursaut de recul. Elle poussa un cri de douleur.
- Bon, il ne faut pas croire tout ce que cette petite sotte te raconte. Elle aime bien tout savoir sur tout le monde et elle déteste ne pas savoir ce que je faisais avant de les prendre sous mon aile pour leur propre voyage.
Il baissa le regard vers le bras blessé de la jeune fille.
- Tu sais, tu ne dois pas avoir peur, je ne te ferai pas de mal. Mais tu ne peux pas rester avec le bras dans cet état. Sinon, tu vas tout le temps avoir mal. Si l’os a bougé et qu’on ne le remet pas en place, ton bras restera tordu et tu ne pourras plus bien utiliser ta main.
- Il a raison, intervint Yanel. Tu as mal pour le moment mais une fois l’os remis en place, tu ne sentiras plus rien. Laisse-nous faire et tu verras, ça ira vite.
- Non, on ne fait pas ça pour un bras cassé. Il faut les bonnes plantes et une nuit de sommeil pour guérir.
Ils se regardèrent incrédules, surpris à la fois de l’entendre parler alors qu’elle n’avait jusqu’ici dit que son nom mais aussi par ce qu’elle racontait.
- Si tu avais les plantes qui guérissent, que ferais-tu ? lui demanda Lézandre.
- Je les mettrais dans de l’eau sur un feu.
- Tu ferai une décoction donc, confirma Lézandre qui devinait la suite. Et après, que ferais-tu ?
- Je monterais voir la dame qui pleure et chanter pour elle, pour y mettre un peu du souffle des dragons.
Yanel et Danka comprirent alors ce que leur vieux compagnon avait deviné.
- Quoi ? Veynhy, tu as le don du haut-rêve, tu sais utiliser la magie des dragons ?
- Oui, répondit-elle simplement, comme toutes les filles aux yeux verts chez moi.
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