1.2

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 À l’intérieur de la cathédrale flottait une compo de lazza que Mizuki affirma être réelle. Les micro-imperfections, les changements ponctuels de BPM, notables pour une oreille entraînée, lui étaient très rafraîchissants.

 Moi, je n’y voyais qu’une bouillie auditive comme on en entendait partout. J’avais horreur de ces voix orientalisantes, de ces rythmes anarchiques, et exprimais souvent ma hâte que la mode en finisse.

 Déjà, sur les commus du FR-Net dont je faisais partie, de nombreux spécialistes de l’industrie musicale annonçaient “la mort de la lazza” et multipliaient les essais vidéos à ce sujet.

 Quand bien même, j'avais toujours méprisé le mouvement, je m’intéressais de près à ces évolutions et accueillais d’un bon œil ce qui viendrait après ; sovcore (mon cheval de bataille), last-pop et bollywood music se livraient une guerre sans merci, dans l’ombre de la lazza, prêtes à bondir sur ce titan aux pieds de plus en plus argileux.

 Je détournai mon attention du morceau et me focalisai sur le visage de Mizuki. Engloutie dans la marée musicale, sa bouche paraissait s’animer sans bruit, tandis qu’elle discutait avec Oksana. Sa robe, profitant du manque de lumière, se distinguait d’autant plus.

 Mizuki me sembla un ange tombé au milieu des ténèbres. J’avais terriblement envie de l’embrasser.

 Jorge, après avoir fini d’envoyer une avalanche de messages, était sorti de son terrier numérique avec une soif de naufragé.

“Tu veux que j’aille commander ? gueulai-je à son oreille.

  • Avec plaisir ! Une caipirinha, s’il te plaît.
  • Oksana ?”

 La blonde posa son regard de givre sur mon visage, esquissa un non discret, et reprit sa discussion comme si de rien n’était. Quant à Mizuki, pas besoin de lui demander.

“Un rosé pamplemousse, avec un fond de sirop de pêche.

  • Sorry, ‘spreche kein Französisch” lâcha nonchalamment le barman.

 Je remarquai un rapide rictus de dégoût, sur ses lèvres.

 Tomber sur un maximaliste, en plein hypercentre brusselois, fallait le faire. Vu que je ne me sentais pas d’invoquer le droit au multilinguisme, je consentis à un effort.

“Rosé mit Grapefruit, bisschen Pfirsichsirup. Eine Caipirinha, eine pure Wodka.

  • Ein-purer-Wodka, reprit le barman. ‘Mach ich.”

 Un fick dich me gratta le bout de la langue, mais je me retins et attendis les boissons. Le type se montra plus qu’avare sur le sirop de pêche : je laissai passer. Pas d’énergie à gaspiller en broutilles.

“Vier euro. Quatre euros”, lâcha-t-il, avec un accent parfait.

 Je badgeai en vitesse mon bracelet et retournai à la table.

“Quatre euros, ‘tain, ils se gênent vraiment pas…”

 Enfin, le plaisir de Mizuki et Jorge le valait bien.

 J’avalai ma vodka cul sec, appréciai la trace brûlante dans ma gorge, et jetai un œil à l’horloge mécanique accrochée au plafond.

 23h36. Le Nouvel An était à portée de main.

 D’un mouvement unifié, la foule se rassembla vers l’autel de l’Augustin et observa avec une attention soutenue le décompte des secondes.

 En mal d’un peu de changement, j’accueillais minuit avec un espoir quasi superstitieux. Depuis longtemps, déjà, j’avais abandonné les bonnes résolutions de janvier, mais cette fois, j’osai tout de même formuler un vœu.

 Mizuki, bras enroulés autour du mien, appréciait le rythme de plus en plus endiablé de la musique, à mesure que l’échéance approchait.

 Un courant électrique s’empara de la pièce, fit sautiller les clients comme une meute de border collies en mal d’exercice.

 Oh, loin de moi l’idée de me moquer d’eux : je sentais aussi, petit à petit, mes jambes effectuer des va-et-vient de haut en bas.

 La dernière minute, la musique s’estompa progressivement, jusqu’à disparaître complètement lors des dix dernières secondes. Pris d’une attente quasi religieuse, l’Augustin respira au rythme du cadran.

 Et, tout d’un coup, une avalanche de cris de joie, de baisers, de bonnes années dans toutes les langues de la fédé, fondit sur la salle. Un concert de sifflements retentit du toit, et, derrière les vitraux, on put apercevoir des fusées s’élever vers le ciel, éclater dans un gros poum, et dessiner des constellations clignotantes.

 Après une seconde ou deux, ces petites étoiles s’agencèrent pour former un motif unique : 2093.

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