1.3

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 Je ne m’attarderai pas sur les deux heures qui suivirent, elles pourraient être résumées en une dizaine de mots : cocktails, danse, musique, embrassades, discussions sur les bancs du cloître.

 C’est surtout aux alentours de 2h14 - dernière fois que je vérifiai l’heure sur la grande horloge - que les choses se mirent à changer. Un je-ne-sais-quoi, tension du genre qu’on peut presque cueillir tellement elle est opaque, se matérialisa peu à peu.

 J’avais jamais visité de Pâturage, mais ça me rappelait tout à fait les témoignages de certains SSE, durant les célébrations au QG Suprafédéral. L’impression que les murs ont des yeux, que l’air lui-même cherche à vous étriper, la sueur qui dégage une odeur différente, d’animal traqué.

 Bien que j’en sois pas particulièrement fier, je jouai d’abord l’autruche.

 Quand j’avais aperçu le vigile de la sortie est en pleine embrouille avec des picolards. Quand le DJ s’était redressé à la manière d’un suricate et avait checké ses messages sous ses platines, alors qu’il aurait dû s’occuper de la transition après le morceau.

 Et puis, d’un coup, ç’avait été comme une onde de choc. Avait traversé toute la salle, de la base des colonnes aux ogives de la cathédrale. Mouvement analogue à un tremblement de terre, auquel on assistait parfois dans des manifs. Je remarquai tout de suite que la vague menaçait de se répandre et de tous nous embarquer avec elle.

 Il me fallait trouver un îlot, un peu surélevé. Ni une, ni deux, j’intimai à Mizuki l’ordre de se baisser et garder son calme.

“Mais qu’est-ce que tu racontes ?

  • Fais ce que je dis, je reviens.”

 Je m’extrayai de son étreinte à la manière d’une petite frappe qu’on aurait chopée le paquet de nouilles dans la poche - vous pouvez me croire, j’en ai vu mon lot - et filai à demi accroupi vers la scène.

 Le DJ suricate en fut très surpris, se demanda si je faisais partie des gros bras qui avaient dégagé le vigile. Je plaçai mon index sur la bouche et dégainai ma carte de flic.

 Pire que les yeux de la Méduse. Le garçon - je dis garçon parce que je doute qu’il eût plus de dix-neuf ans - resta cloué sur place. Je me faufilai sous la table de mixage, écrivis en vitesse un message sur le bloc-notes de mon tél, et le sortis de sa catatonie d’un coup de coude à la cheville.

 Le gamin déglutit, déclipsa son bracelet et le fit glisser le long de son bras. D’une pression délicate, je le saisis et le passai autour de mon poignet droit. Ensuite, il me désigna la porte de son pc, que j’ouvris aussitôt.

 Son effroi suintait par tous ses pores. Repérable à une dizaine de mètres. D’un coup, il éteignit la musique et braqua les lumières sur le centre de la salle.

“Damen und Herren, bonsoir !” beugla une voix.

 Tandis que je cherchai le panneau de commande dans le pc, je dressai mentalement un portrait correspondant.

 Un homme dans la quarantaine, accent du côté de la Roumanie, léger surpoids. Et, surtout, à en juger par la discipline d’angelots avec laquelle se tenaient les clients du bar, armé.

 Il entama un discours en français, suivi de près par une traduction synthétique en allemand, puis en anglais et en néerlandais. Triple écho qui alourdissait chacune de ses paroles.

“Ce soir, nous sommes là car vous savez quelle horreur le gouvernement fait à beaucoup de gens, n’est-ce pas ?”

 Bien que son n’est-ce pas fût répété trois fois, personne n’osa broncher. Je maintins qu’il devait s’agir d’un Roumain.

“Quarante-quatre ans déjà que vous avez fait le choix de l’inhumain (enfin, “inhoumane” dans sa bouche), que chaque jour, vous laissez mourir dans la merde… !”

 Petite inflexion colérique sur le “merde”. Tandis que je cherchai le registre de commandes du logiciel - pas possible de questionner le DJ, sans quoi il risquerait de finir plombé -, je fis un rapide calcul.

 Au départ, je crus que le type s’était planté dans son compte, mais j’avais oublié le feu d’artifice, le motif même de la soirée. Les diodes s’allumèrent l’une après l’autre dans ma tête. 49… Bien sûr. Un classique.

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