2.2
« Lâche-moi ça ».
C’était la voix de Mizuki. Devant moi, le volant d’une Renault, encastré dans le tableau de bord. Une odeur de jasmin suintait depuis le rétroviseur. Sur la banquette arrière, Léo s’amusait à faire virevolter son FingerJet entre ses doigts.
« “Scuse, j’étais un peu ailleurs. »
Mizuki attrapa la boîte d’endorphinogènes et la rangea dans son sac à main.
« Tu entres l’adresse de l’école ? Léo va être en retard. »
Vous croiriez que le gosse, pris en pleine conversation avec ses amis imaginaires, n’entendrait rien ? Que nenni ! J’ai vu son petit sourire espiègle se dresser sur ses commissures. Le même que sa mère.
J'inspirai profondément et pianotai sur l’écran. Une fois l’argent prélevé, la Renault fila sur le parking et s’engagea sur la Föderbahn 12.
« Tiens, avale ça », fit Mizuki, glissant un gobelet à induction dans ma main.
J’avais envie de vomir. Mon estomac vide s’amusait à faire remonter des sucs gastriques jusqu’à l’entrée de ma trachée. Je les chassai d’une gorgée de sencha.
« Eh, t’inquiète pas… Tu as été très bien. »
Aucune réponse ne me vint, alors je jetai un œil par la fenêtre.
Au loin, sous la Föderbahn, des petits villages ardennais se succédaient, emmitouflés dans leurs couvertures végétales. La route passait au-dessus des cimes. Ça avait beau coûter un rein, j’aimais l’emprunter. Sensation de liberté.
« Donna a été très touchée », affirma Mizuki.
Je me retournai vers elle. Ses yeux pétillaient de sincérité.
« Tout le monde a été touché, ajouta-t-elle, en aspirant une gorgée de café sur sa gourde.
- Merci. »
La voiture peinait à dépasser les 180 à l’heure, semblait un vieux tacot égaré au milieu de la route. Malgré ça, on arriva bientôt à la sortie du secteur luxembourgeois. La voiture s’y engagea avec douceur — vu son rythme, c’était chose aisée — et se retrouva bientôt au milieu des grands boulevards de l’ouest de la ville.
Dehors, le moindre espace libre, square, placette, toit plat, était encore paré de décorations de Noël. Le temps était plus frais ici qu’à Bruxelles ou Strasbourg. Léo s’amusait, depuis son siège, à guider la voiture à haute voix comme si elle l’entendait. Finalement, la Renault s’arrêta devant la grille d’une villa de style néo-impérial. Sous le fronton en marbre, l’inscription École Frédéric II, en lettres vitrées et étincelantes, se battait pour l’espace avec sa traduction en allemand et en luxembourgeois.
Léo partit en courant vers les colonnades, déposa un baiser sur la joue de sa mère, et disparut derrière la grille ornée.
« Dis, Gabriella m’a parlé d’un restaurant occitan qui a ouvert à Cologne. J'ai pensé que ça serait bien qu’on aille goûter. Qu’est-ce que t’en dis ? »
J’aimais pas Cologne. Depuis la première fois où j’y avais mis les pieds, à 19 ans, je trouvais que ça ressemblait à une mauvaise caricature d’une ville américaine de début de siècle. À part une cathédrale décrépie, rien à y faire. Mais je voyais à son visage que Mizuki y tenait. Et puis ça pourrait nous faire du bien.
« Pourquoi pas, tant qu’on y va en train.
- Mais oui, on va quand même pas jeter vingt euros par la fenêtre ! On pourra prendre le mag-lev de 17 ou 18 heures. Mes parents viendront chercher Léo.
- Bon, très bien, faut que la voiture nous ramène à la gare dans ce cas. »
Laquelle s’engagea prestement sur le boulevard. Je repris une gorgée de thé tiède.
« Dis, t’as pu faire réviser les maths à Léo ?
- Mais oui, sourit Mizuki. T’inquiète pas, il est tout prêt. »
Je pouvais pas m’empêcher d’avoir peur. Déjà que moi, j’avais été à la traîne pendant presque toute ma scolarité… Je voulais pas perpétuer ma malédiction. Léo n’avait que 6 ans, était encore assez malléable. Pour peu que sa mégère qui lui servait de maîtresse se montre patiente, il pourrait s’en sortir.
« Avant de me faire son bisou, il m’a dit de te dire qu’il avait eu un 4,8 en Histoire. »
La nouvelle me fit l’effet d’un baume sur le cœur.
« Sur les Romains ?
- C’est ça », fit Mizuki.
Elle posa sa main sur mon visage, me scruta avec intensité.
« Tu vois, je te l’avais dit.
- De quoi ? »
Un sourire de Joconde passa sur ses lèvres.
« Le travail paie toujours. »

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