2.3

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 Le restaurant occitan était situé en plein cœur dans la partie française du quartier méditerranéen. Juste à côté de la gare ; pas obligé, donc, de remonter le long des affreux boulevards américains.

 C’était la seule partie de Cologne qui ne me sortait pas par les yeux. Même si, jamais bien loin, la flèche noire de la cathédrale continuait à vous rappeler que vous n’étiez pas chez vous, la vue des maisons à colombages rendait le tout plus paisible.

 Un petit bout de France, en plein poumon du Croissant. D’une France germanisée, oui, mais il faut savoir se satisfaire de petites victoires.

 Il ne manquait plus que le chant des cigales et l’odeur du romarin, et j’aurais pu songer à m’y installer.

 À mesure qu’on approchait du restaurant, l’accent du pays remontait de tous les côtés, comme une douce vapeur de lavande.

 La couleur. Voilà, ce qu’il leur manquait, aux continentaux. Le quartier français — et, plus largement, méditerranéen — ressortait comme un feu d’artifice au milieu de cette ville ennuyeuse.

 Mizuki, entre deux léchages de vitrine, me guidait à travers ces petites ruelles où l’air était plus clément, jusqu’à ce qu’on débouche devant une drôle de bâtisse.

 C’était une grande maison, au toit en forme de chapeau de champignon. De gros œufs multicolores en céramique étaient alignés au-dessus du fronton. Sur la devanture, tout était en arrondi ; balcons, fenêtres, entrées… Y compris les lettres indiquant Lo solelh del Ren, peintes sur un panneau de céramique.

 « Il est très bien noté », déclara Mizuki, en remontant son mobile sur le bras.

 Elle s’engagea la première dans le restaurant.

 À l’intérieur, un serveur à la peau dorée, en costume de sapeur, déposa plusieurs commandes sur une grande table ronde et s’empressa de nous accueillir.

 « Bonsoir, messieurs dames ! Vous avez réservé ?

  • Pour deux », répondit Mizuki.

 Elle releva un peu la manche de sa robe et dévoila son code CIEN, projeté sur son biceps.

 « Parfait ! s’exclama le serveur. Veuillez me suivre. »

 Il nous amena au troisième étage ; une grande pièce au plafond haut et intégralement vitré. En verre doré, une figure représentant un soleil stylisé en occupait la majeure partie. Malgré la faible lumière à l’extérieur, la figure de verre était faite de telle sorte à ce que la salle entière soit baignée dans un éclat chaud et agréable à l’œil. J’avais déjà oublié la sensation de l’humidité sur ma peau.

 Le serveur nous installa à une table donnant directement sur l’un des nombreux balcons de la maison. Dehors, à moitié gommée par la semi-pénombre, une foule bigarrée flânait le long des magasins d’artisans.

 Mizuki ne sembla pas s’y intéresser particulièrement, aussi enclencha-t-elle l’host de la table.

 Le bois massif se para d’un menu limité à une dizaine d’options. L’IA nous posa à chacun quelques questions sur nos goûts et fit une suggestion.

 « Huit euros, c’est pas donné, mais ça a l’air de valoir le coup, fis-je, en éteignant le menu de mon côté.

  • Oh, quand même, avec ton nouveau travail… Tu peux bien te le permettre, grogna Mizuki.
  • Mais oui, je ne dis pas le contraire.
  • D’ailleurs, tu as pu négocier, pour ton salaire ? »

 J’avais redouté la question. En entrant aux SSE, j’allais quasi-tripler ma paie, par rapport au commissariat, mais je savais que Mizuki avait raison de demander. Qu’on négocie toujours, surtout quand on est invité.

 « J’ai pu obtenir des avantages.

  • C’est-à-dire ?
  • Voiture… On peut aussi avoir un appartement de fonction. Dans l’hypercentre, à deux pas du Palais Royal. »

 Mizuki me dévisagea.

 « Quel genre d’appartement ? »

 Les temps étaient pas évidents. À refuser obstinément de construire des blocs — je reconnais, c’est pas ce qu’il y a de plus charmant —, le Croissant tout entier se retrouvait asphyxié par sa population. D’où le besoin de se taper un Strasbourg-Bruxelles tous les jours. Et, encore, je pouvais m’estimer heureux. J’avais eu des collègues qui partaient de Lyon tous les matins.

 « Écoute, ma chérie, là, c’est pas pareil. Un 100 mètres carré, trois chambres…

  • Hm… Pour combien ? Ce serait dommage d’utiliser toute ta paie pour ça.
  • C’est un avantage, comme je te disais. »

 Elle restait sceptique. Je pouvais pas lui en vouloir. Le serveur reparut, bras chargés de gros plats en terre cuite. Dessus trônaient un cassoulet pour moi, un magret de canard pour Mizuki.

 Ce fut le déluge dans ma bouche.

 « Un excellent appétit, messieurs dames ! » sourit le serveur avant de disparaître dans les escaliers.


Tandis que je me jetai comme un ogre sur mes haricots, Mizuki picorait délicatement les morceaux prédécoupés de canard.

 « Quand est-ce que tu veux bouger ? demanda-t-elle.

  • Jan m’a dit que la boîte paiera pour le déménagement. D’ici dix jours, ça devrait être possible.
  • Et pour emmener Léo à l’école ?
  • Je peux bien prendre une aide, vu ce que je vais toucher. »

 Mizuki me scruta intensément, comme si elle avait été à la recherche d’un quelque chose caché entre les plis de mon visage.

 « Ça me va. J’aurai pas le temps de faire les cartons, je te préviens.

  • Vu ce que je vais toucher…
  • Tu peux bien payer quelqu’un, oui, j’avais compris. »

 Elle accompagna sa remarque d’un sourire furtif, avant de rapporter son attention sur le canard, gisant sur son lit de légumes et d’herbes.

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