LOG18_19042055

4 minutes de lecture

Les matins sont calmes, paresseux, même, depuis que je suis sans emploi. Je traine au lit bien après le départ de Iké. Me laisse bercer par le ronronnement du CleanBot qui s’active au rez-de-chaussée vers dix heures. Parfois, je me rendors et ne me réveille qu’une fois midi passé. Et alors ? Pourquoi se faire violence ? Je n’ai rien à faire. Rien à accomplir. Personne à qui parler. Personne à qui rendre des comptes. Le ciel est bas. L’air extérieur est moite, pestilentiel. Je ne vois pas ce que je pourrais faire de mieux que de dormir.

Je dors, donc. Je somnole. Je mange, si j’ai faim. Sinon, je saute les repas. Je lis, parfois. Je rattrape le retard accumulé pendant des années sur les sorties de films. En revanche, j’ai arrêté le porno en réalité augmenté. Plus besoin, depuis que Iké partage mes nuits, et, quand le travail le lui permet, un partie de mes soirées. Inutile, même, de faire appel à mon imagination pour ma séance de masturbation quotidienne. Je n’ai qu’à piocher dans ma mémoire vive. Me repasser l’image d’un sourire. D’un baiser. De notre étreinte la plus récente. La plus tendre. La plus torride. Souvent, celle du matin même. Parfois, celle de la veille. Ça me suffit amplement. Sur ce plan-là, je suis un homme comblé.

Et heureusement, d’ailleurs, car ce n’est pas vraiment un euphémisme que de dire qu’il ne se passe pas grand-chose d’autre dans ma vie, depuis un certain temps déjà. Mon chômage s’éternise. Je crains que l’oisiveté devienne une seconde nature, chez moi, mais je ne parviens pas pour autant à trouver en moi assez de volonté, assez d’énergie pour me forcer à remettre un pied à l’étrier. Je suis perdu. Complètement perdu. Je ne sais pas quoi faire, ni de mes deux mains, ni de mon cerveau, qui, je le crains, doit se ramollir un peu plus chaque jour passé dans les affres de mon apathie chronique.

Une chose est claire, au moins. Je n’ai plus l’envie, plus la force d’enseigner. La simple idée de me retrouver seul face à une salle de classe pleine à craquer de candidats à l’exploration spatiale, à débiter des banalités sur le droit de l’espace d’un ton monotone, dépassionné, fait naître en moi une profonde déprime. La nuit venue, quand je me retrouve seul face à mes pensées noires, la déprime se transforme en angoisse. Qui me serre la gorge. La poitrine. Je peine à respirer. J’écoute mon cœur qui s’emballe. Mon ventre qui se tord dans tous les sens. Je perds le sommeil. Et quand je le trouve enfin, j’en fais des cauchemars.

Iké me dit que je marmonne dans mon sommeil. Toujours la même chose.

« UTex »

« Salvare »

« Mars »

« Adam »

Ma vie d’avant m’obsède. Pourtant, je n’en suis pas particulièrement nostalgique. J’ai pleinement conscience du fait que je dois tourner la page. Passer à autre chose. Définitivement. Me réinventer pour de bon. Je ne peux pas vivre le restant de mes jours à chercher le sommeil la nuit, à le chasser le jour, et, entre-temps, à me branler dans des draps sales en attendant le retour de mon petit-ami, jusqu’à ce que ce dernier en ait assez de m’entendre murmurer le nom de mon ex au beau milieu de la nuit. Ça ne fait aucun doute. Mais c’est évidemment plus facile à dire qu’à faire. Et pour ainsi dire, je ne sais pas par où commencer.

Je traîne sur uWork sur mon LiPhone, de temps en temps, pour me donner une idée du marché du travail local. Rien de bien engageant. On recrute à tours de bras pour la construction de la Grande Digue-Sud, censée stopper la progression de la mer sur la plaine texane. Les pompiers, les électriciens et les infirmiers de premiers secours semblent également être des profils particulièrement recherchés. Les catastrophes naturelles sont décidément les premières pourvoyeuses d’emploi dans la région. Pour le reste, OneGroup propose la quasi-totalité des offres qui ne sont pas liées à l’effort de reconstruction permanent auquel se vouent les pouvoirs publics. OneLaw, OneHealth, OneShop – et même OneSchool, la branche éducation du conglomérat, qui vient de remporter le marché passé par le gouvernement pour reprendre l’ensemble des écoles publiques de l’Etat. Les temps sont durs, les caisses sont vides.

D’ailleurs, la plupart des salaires annoncés sont dérisoires, bien inférieurs à celui auquel je pouvais prétendre à UTex. La demande est trop forte. S’il y a bien une chose pour laquelle il n’y pas de pénurie, c’est bien les demandeurs d’emploi. Les anciens du secteur pétrolier, du gaz et de l’élevage intensif de bovins sont prêts à tout pour trouver un job et rembourser leurs dettes. Les employeurs du coin n’ont aucun mal à recruter de la main d’œuvre bon marché.

Les perspectives paraissent donc bien lugubres. De plus en plus souvent, et plus encore après avoir passé quelques heures sur uWork, je me demande s’il ne vaudrait pas mieux partir, sans plus attendre. Retourner en France. Je l’ai déjà évoqué, je sais. L’idée n’est pas morte, pas totalement, en tout cas. Les opportunités n’y sont pas plus nombreuses, au contraire, même, mais la concurrence y est moins rude. La nature y est encore moins brutale, l’air moins saturé de méthane, la vie plus douce. Et puis, ça me permettrait de changer de décor.

S’il n’y avait pas Iké pour me retenir, je serais déjà en train de faire mes valises.

Je repose mon LiPhone sur la table de chevet, pas vraiment plus avancé. D’un ton las, je demande à l’assistant virtuel quel temps il fait dehors.

« La pression atmosphérique est de 990 hectopascals, la température extérieure de vingt-huit degrés à l’ombre et l’humidité de 80%. Le ciel est nuageux. La qualité de l’air est médiocre à très-médiocre. Il est prévu qu’un vent de sud, sud-ouest se lève en fin d’après-midi, apportant de nouvelles précipitations, possiblement une tempête tropicale de catégorie un ».

La routine.

Annotations

Vous aimez lire GBP ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0