LOG19_LOUISA

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J’ai reçu l’ordre d’évacuer la maison la veille pour le lendemain. Par message automatique, envoyé directement sur mon LiPhone par les autorités.

ALERTE – OURAGAN LOUISA

Mise à jour 09:33. Dégâts importants prévus dans votre zone. Risque d’inondation et d’effondrement. Merci de quitter les lieux et de vous rendre en lieu sûr.

Pour la première fois de son histoire, Austin va être frappé par un véritable ouragan, lesquels n’ont pas l’habitude de s’aventurer aussi loin dans les terres. Il fallait bien que ça arrive un jour. Le trait de côte ne pouvait pas reculer indéfiniment sans que l’on en souffre les conséquences.

J’ai prévenu Iké. Lui n’a pas reçu d’alerte. Son immeuble est de construction récente, aux normes anti-ouragan, et situé sur une petite colline, qui ne craint pas les inondations. Nous avons convenu que je passerai la nuit chez lui.

Je rassemble quelques affaires. Quelques vêtements, de quoi tenir quelques jours. Une semaine, s’il le faut. Mes papiers. Le kit de premiers secours, qui contient également ma trousse à médicaments. J’entasse le tout dans le coffre du e-truck, avec les rations de survie et d’eau potable récupérées dans le garage. Puis, je monte les appareils électroniques à l’étage, coupe le courant et l’eau du robinet. Je demande à l’assistant virtuel de fermer les volets, les portes, et d’armer la maison.

Pas de réponse.

Je répète.

Toujours rien.

Evidemment, puisque j’ai coupé le courant. Je peste, agacé par ma propre bourde. Et m’attèle à la fermeture manuelle de chacune des ouvertures de la maison, chose que je n’ai jamais faite, et qui prend un temps fou, à se demander comment faisaient les êtres humains avant les progrès de la domotique. Une fois la maison mise en sécurité – du moins, autant que faire se peut pour une bâtisse du siècle dernier, dont le style néo-espagnol n’est pas particulièrement adapté aux événements climatiques extrêmes, avec ses grandes baies vitrées, ses volets en bois sombre et son toit en tuiles – je monte dans mon e-truck et quitte le pâté de maison avec empressement. Un peu nerveux, je ne vais pas vous mentir.

La nuit est tombée tôt. Plus tôt que d’ordinaire. Sans doute était-il difficile de distinguer un coucher de soleil derrière l’épaisse chappe de nuages noirs qui obstrue l’horizon. Iké a préparé un riz wolof. Ou, pour être exact, Iké a décongelé un riz wolof, servi dans de belles assiettes. La table, qu’il a dressé avec soin, est animée par la lumière chaude et vivante des bougies de sécurité, allumées en vue de la coupure générale de courant, imminente selon le compte OneFeed de la municipalité. Le rendu est déroutant. Quelque part entre le dîner aux chandelles et la dernière cène, avant l’apocalypse.

Le beau métis est assis en face de moi. Il porte une chemise légère, en lin blanc, largement ouverte sur sa poitrine sombre et imberbe. Les tresses perlées ramenées en catogan sur sa nuque, comme souvent lorsqu’il s’apprête à manger. Dégagé de la sorte, son beau visage semble encore plus serein qu’à l’ordinaire. Il arbore un sourire radieux, la lèvre supérieure retroussée, qui soulève joliment la moustache qu’il s’est laissé convaincre de faire pousser par son barbier. Jusqu’à ce qu’il s’en fatigue, ce qui ne devrait pas tarder. Comme toujours, je suis frappé par sa beauté presque irréelle, par le magnétisme de son regard, par la délicatesse de ses gestes, tout en grâce.

- Je suis content d’être avec toi, Yann, me dit-il d’une voix douce, grave, presque un murmure.

- Et moi donc ! C’est notre premier ouragan, toi et moi, ce n’est pas rien dans une relation !

Iké pouffe de rire. Son sourire s’élargit un peu plus encore, dévoilant un rang supplémentaire de ses belles dents, droites et blanches, parfaitement alignées, produit de la police d’assurance dentaire avantageuse offerte par OneHealth à ses employés.

- Tu es bête... Je suis content d’être avec toi de manière générale, pas seulement quand les conditions climatiques l’exigent !

- Certes... réponds-je, sur le ton de l’excuse. Moi aussi, Iké, je suis content qu’on soit ensemble. Vraiment.

Iké accepte ma réponse, l’air satisfait. Il avale une bouchée de riz wolof, puis une gorgée d’eau. Le regard dans le vide. Il semble hésiter à poursuivre la conversation, comme s’il avait quelque chose sur le cœur. Je le note immédiatement. Son visage est si franc, si transparent, il est incapable de dissimuler le moindre doute, la moindre émotion. Je lui fais signe de la tête, pour l’inviter à ne pas torturer plus longtemps, et me dire ce qui le tracasse.

- Tu promets de ne pas te fâcher ?

- Je ne me fâche jamais...

- Hmm... C’est une manière de voir les choses. Bon, je sais que tu m’avais dit de ne pas le faire, mais j’ai parlé de toi à Edita, la correspondante ressources humaines de la clinique, et elle a dit qu’ils pourraient être intéressés par des juristes.

- Iké !

Je me revois lui dire de manière claire, sans la moindre équivoque possible, que je n’étais pas intéressé par un poste chez OneHealth. C’était il y a quelques jours. Il avait acquiescé, l’air interdit, sans rien ajouter. J’aurais dû me douter qu’il ne s’en tiendrait pas là. Ces derniers temps, je me suis rendu compte que le beau métis, tout arrangeant et docile qu’il était, avait également un trait de caractère beaucoup moins agréable. Il est têtu, terriblement têtu. Et quand il a une idée en tête, aussi mauvaise soit-elle, il est impossible de lui faire entendre raison.

- Je sais, je sais... Mais écoute-moi une seconde ! C’est vraiment une bonne boîte, avec des avantages comme tu n’en trouves nulle par ailleurs, en ce moment. Tu pourrais lui passer un coup de fil, ça ne t’engage à rien, juste histoire pour discuter, et en savoir plus un peu plus sur ce qu’ils peuvent te proposer.

- Je sais très bien ce qu’ils peuvent me proposer, Iké. Ils ont besoin de juristes pour les procès en erreur médicale. C’est le pire métier du monde !

- Tu exagères...

- Non, je n’exagère pas du tout. Déjà, je ne suis pas qualifié pour ce genre de job, et en plus, je me vois mal me démener pour qu’une entreprise comme OneHealth paye le moins de dommages et intérêts possible aux personnes à qui elle a ruiné la santé, ou la vie tout court. Tu sais pertinemment que c’est inhumain, ce qu’ils font, les juristes de OneHealth...

Je marque une pause. Iké en profite pour reprendre la main sur la conversation.

- Je comprends tout à fait que, pour toi, ce n’est pas aussi bien, aussi noble que d’être prof de droit. Mais Yann, tu n’as pas envie d’y retourner, à UTex, tu le dis toi-même, et tu ne peux pas passer le rester à rien faire.

- Je ne fais pas rien, je cherche du boulot.

- Passer une heure de temps en temps sur uWork ce n’est pas vraiment chercher du boulot...

- Tu...

Soudain, le noir. Ou presque. Le temps que l’œil s’habitue à l’absence de lumière artificielle, et réapprenne à se contenter de celle, plus douce, diffusée par les bougies de sécurité. Le courant a enfin été coupé, conformément aux annonces de la ville. Ce qui veut également dire que l’ouragan se rapproche, je suppose. Pourtant, le souffle du vent ne semble pas encore avoir gagné en intensité. Chaque chose en son temps.

Etrangement, la plongée dans la semi-obscurité a fait disparaître tout animosité, entre Iké et moi. Le ton redescend. Et se fait plus aimable. Plus tendre, même. Presque protecteur. Comme si, ramenés à notre condition animale par les caprices des éléments, il nous fallait à présent enterrer la hache de guerre et s’entendre pour protéger la meute. Ce n’est pas pour me déplaire. Je n’ai aucune envie de m’attarder sur un sujet qui fâche, d’autant que je sais que Iké a raison, au fond.

Une fois le repas terminé, on quitte la table pour se blottir l’un contre l’autre sur le canapé du salon. Bercés par le bruit du vent. Et celui de la pluie, protagoniste indispensable de l’ouragan, arrivée sur le tard, mais qui vient désormais fouetter les volets à l’horizontale, avec une violence étonnante.

Iké a allumé une nouvelle bougie de sécurité, pour éviter d’être plongés dans le noir complet. Je discerne ses traits. L’arrête de son nez. Les contours de ses lèvres. Il a libéré ses tresses, qui reprennent leur position habituelle, de chaque côté de son visage, que je ne peux résister à l’envie de prendre entre mes mains. Je l’embrasse. Il répond présent, comme toujours, avec toute la douceur dont il est capable.

- Excuse-moi pour tout à l’heure... chuchote-t-il.

Je pose un doigt sur ses lèvres pour le faire taire. Il y dépose un baiser. Et commence à défaire les boutons de sa chemise, dévoilant la silhouette galbée de son torse svelte.

Une fois de plus, je sens la sève monter en moi, et je ne peux m’empêcher de dégrafer son jeans pour me faciliter l’accès à son intimité. Iké ne proteste pas. Me laisse faire. Le regard brûlant et les lèvres avides.

On fera l’amour trois fois, cette nuit, incapables de trouver le sommeil au milieu des hurlements du vent et du fracas des trombes d’eau qui s’abattent sur la ville.

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