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Je suis au bord des larmes. Une énorme boule de tristesse et de rage coincée au travers de la gorge. Je suis incapable de dire quoi que ce soit, aucun son ne sortirait de ma bouche. Un gémissement, peut-être. Un cri d’animal blessé. Le spectacle qui s’offre à moi est tout simplement ahurissant. Il ne reste rien. Louisa a tout emporté. Là où, il y a à peine vingt-quatre heures, se trouvait une maison, pas la plus belle des maisons, certes, mais la mienne, celle que j’ai habité pendant plus de dix ans, celle que j’ai rempli d’effets personnels, de souvenirs, bons et mauvais, accrochés aux murs, ou, de manière imagée, attachés à un coin de table, à un placard, à une chaise bancale, il n’y a plus rien. Plus rien d’autre qu’un tas de décombres.

Une immense mare de tuiles cassées, éparpillées par terre, dans le désordre le plus complet. Un pan de mur qui tient encore debout, seul, détrempé, nu, inutile. Un fatras de bois, de ferraille tordue, de verre brisé, de faïence réduite en morceau, de fils électriques sectionnés. Une canalisation émergée du sol, qui déverse ce qui semble être le contenu des égouts du quartier dans ce qui fut, jadis, pas plus tard qu’hier, le jardin et l’allée principale. Ma vie, réduite en miettes, emportées par le vent ou recouvertes de boue. C’est tout le quartier qui a été rasé par la tempête. Les rafales de vent, d’une violence inouïe, ont littéralement soufflé les maisons, une par une, comme de simples châteaux de sables. Puis, la montées des eaux s’est chargée de rendre les décombres inutilisables. Et non-identifiables. L’eau s’est retirée tout de suite. Ne laissant derrière elle qu’une succession d’amas de terre mouillée, nauséabonde.

Quand je suis arrivé devant les ruines de ma maison, j’ai tout de suite compris ce qui allait se passer. Pour moi. Le ciel, en me tombant sur la tête, ne m’a pas assommé. Pas cette fois. Bien au contraire, il m’a réveillé. Pour la première fois depuis des semaines, j’ai les idées claires. Je sais exactement ce qu’il me reste à faire.

J’ai demandé à Iké si je pouvais rester chez lui quelques nuits de plus, il a bien évidemment accepté.

J’ai téléphoné à mon assureur. Je lui ai annoncé que je ne chercherai pas à être relogé. Que j’avais une solution. Un plan. Et qu’il me fallait simplement toucher la police minimale d’assurance sur la maison. L’employé de OneSure m’a prévenu, d’un air embarrassé, ce ne serait que quinze mille dollars. J’ai accepté. Il se trouve que c’est exactement ce dont j’ai besoin. Même un peu plus.

Le jour même, dans la foulée, j’ai préparé les papiers. Effectué toutes les démarches nécessaires. Inutile de prévenir le notaire, OneSure et OneLaw communiquent automatiquement les données. J’ai appelé mes parents, leur ai tout expliqué, et ai rapidement raccroché, juste à temps pour pouvoir consacré toute mon attention à Iké qui rentre tout juste du travail.

Et je lui ai annoncé.

« Iké, je rentre chez moi. Je rentre en France ».

Son beau visage aux traits tirés par une nuit sans sommeil et une journée de travail épuisante qu’il vient sans doute de passer à la clinique OneHealth de la ville sans dessus-dessous, s’est décomposé lentement, comme une image au ralenti. Il reste sans dire un mot. Me fixe seulement de son regard noir et doré, à la fois triste, ébahi et, je crois, compréhensif. Je lui dois une explication plus étayée. Après tout ce qu’il a fait pour moi, après tout ce temps passé ensemble, ces derniers mois, c’est la moindre des choses. Je prends mon courage à deux mains, me racle la gorge, encore un peu enrouée par les sanglots du matin, et me lance :

- Je suis désolé, Iké, sincèrement. J’ai vraiment beaucoup aimé passé du temps avec toi, tu m’as fait un bien fou, et j’espère c’était réciproque, mais je n’ai pas d’avenir ici, je n’ai même plus de maison, je n’ai plus rien du tout. Je dois rentrer, j’ai besoin de rentrer, et je crois que ce sera pour de bon.

Iké a fait preuve d’une humanité, d’une dignité et d’une abnégation hors du commun. Je ne peux pas dire que je sois vraiment surpris. Il ne m’a pas habitué à moins que ça. Il n’a pas fait de scène. Il ne m’a pas fait culpabiliser. Il a compris. Il a pardonné. Il a soutenu ma démarche. Il m’a souhaité bonne chance. Il m’a dit qu’il serait là si jamais je changeais d’avis, dans un délai raisonnable, bien entendu. Il m’a serré dans ses bras. Je n’aurais pas pu souhaiter meilleure manière de se dire adieu.

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