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La dénommée Cassie, qui semble avoir été désignée pour me servir de garde-du-corps attitré, m’a conduit dans les quartiers résidentiels de Redoak Mons, ou, plus exactement, dans les dortoirs réservés aux gens « de passage », pour reprendre la formule utilisée par Adam lors de notre discussion. J’y ai été de nouveau invité à me laver, la troisième fois, si je ne m’abuse, depuis mon arrivée sur la colonie américaine, preuve supplémentaire qu’il était sans doute grand temps de prendre une bonne douche, pour mon propre bien et le confort visuel et olfactif de tous. Et il est vrai que me retrouver plongé sous un filet d’eau claire et tiède et voir la crasse couler le long de mon ventre, de mes cuisses, et finir par disparaître dans le siphon du bac de douche, m’a procuré un sentiment de bonheur et d’apaisement particulièrement prononcé.

Comme quoi, il n’y a rien de tel que les plaisirs simples.

Après la parenthèse enchantée de ma toilette tant attendue, j’ai enfin pu retrouver Ryu, tout propre, lui aussi, allongé sur la couchette inférieure d’un lit superposé qui me rappelle la cabine que j’ai partagé avec Ótavio lors de notre trajet vers Mars. Le beau coréen, vêtu d’un simple t-shirt blanc et d’un slip du même ton, sa chevelure noire et soyeuse joliment plaquée en arrière, dégageant son regard sombre et inquisiteur, se relève d’une traite lorsqu’il me voit entrer dans la pièce. Ses lèvres rondes semblent prêtes à étirer un sourire, mais je constate, non sans regrets, qu’il se retient.

- Alors, ce tête-à-tête avec ton ex ? demande-t-il avec empressement, d’un ton dans lequel je devine une pointe de jalousie, ce qui n’est pas pour me déplaire.

- Bof, il n’y a pas grand-chose à en dire, au final. On n’a pas parlé longtemps. Les silences et les regards étaient plus significatifs que les mots, dirons-nous... On a vite compris que l’on était passé à autre chose, lui comme moi.

- Je vois...

A entendre ces paroles rassurantes, le beau coréen se détend, visiblement, et laisse enfin le sourire qu’il souhaitant m’adresser se dessiner sur sa bouche que je viens immédiatement embrasser. Notre baiser est court, mais sublime, plein de sens. Je l’ai choisi, lui, Ryu. Il n’a plus rien à craindre. Mes mains glissent sous le tissu léger de son t-shirt, pour épouser la forme arrondie de sa poitrine. Très vite, le capitaine m’attire vers lui, un peu plus encore, au point où je bascule en avant, et tombe à genoux entre ses cuisses ouvertes. Le message est on ne peut plus clair. Immédiatement inspiré par cette suggestion sans détour, j’offre alors à mon compagnon de voyage et d’infortune, mon nouvel amant régulier, et qui sait, peut-être plus encore, la pipe qu’il quémande, et ma foi, qu’il mérite.

Plus tard, je me suis endormi avant même que le soleil ne se couche, épuisé par le voyage.

Le lendemain, au petit matin, c’est la voix douce et légèrement trainante de Cassie qui nous réveille, Ryu et moi, afin de nous escorter jusqu’à « la salle de réunion de l’état-major », pour reprendre l’expression qu’utilise la petite femme replète et, tout compte fait, plutôt sympathique. Visiblement matinale et, par ailleurs, d’une excellente humeur, notre brave Cassie nous gratifie même d’un clin d’œil appuyé après nous avoir guidé dans le dédale des couloirs de Redoak Mons, alors qu’elle nous laisse entre les mains de Adam et de son état-major, l’air espiègle, chuchotant :

« On va vous aider, ne vous en faites pas ».

Adam, toujours vêtu de l’habit rouge du marshal, le visage sérieux mais le regard que je sais plutôt doux et rassurant, je le connais, après tout, nous accueille sans effusions, avec solennité, Ryu et moi, puis nous invite à prendre place autour de la large table rectangulaire en algo-plastique imitation bois sombre qui trône au milieu de la pièce, et nous présente aux quelques membres du personnel diplomatique et militaire de la mission « Salvare » qui l’accompagnent :

- Yann Pennec, conseiller juridique de la mission « Olympus », et le capitaine Ryu Lim-Taek, anciennement employé auprès de l’entreprise coréenne Cheolseol Mining Inc. et récente recrue du programme européen, si je comprends bien...

Ryu acquiesce, et moi avec. Visiblement, les américains ne sont pas au courant des activités extra-professionnelles du beau coréen pour le compte du renseignement chinois, ou, du moins, n’ont pas jugé nécessaire de les mentionner pour le moment.

- Yann, Ryu, je ne vais pas prolonger inutilement le suspense, d’autant que je doute fortement que Cassie ait su tenir sa langue ! Nous nous sommes entretenu avec l’état-major de la mission « Salvare » et avec nos collègues de la NASA restés sur Terre. Nous avons également eu l’occasion de parler avec les services de l’Agence spatiale européenne à Bruxelles. Et nous avons décidé de répondre positivement à votre demande.

Ryu et moi échangeons un rapide sourire victorieux, soulagés, l’un comme l’autre, que notre périple autour de la planète-rouge ne se soit pas soldé par une simple fin de non-recevoir de la part des américains et de Adam. Ce dernier poursuit son monologue d’un ton directif que je ne lui connais pas, mais qui lui va plutôt bien :

- Laissez-moi vous expliquer pourquoi nous avons décider de vous aider. Comme vous, nous estimons que la présence de la République de Chine-unie sur le territoire réservé à l’Union européenne en vertu des accords de Kolkata, est un véritable péril pour le respect desdits accords sur le long-terme. Vous le savez tout autant que moi : la relation américano-chinoise n’est pas la plus amicale qui soit, sur Terre, et nous ne souhaitons pas voir la même dynamique s’installer sur Mars. Nous jugeons donc utile de ne pas laisser pourrir la situation, et d’intervenir tant qu’il est encore temps.

- Et comment comptez-vous vous-y prendre ? demande Ryu avec son habituel regard inquisiteur.

Le ton employé par le beau coréen est calme, maîtrisé, mais je note malgré tout une toute petite pointe de jalousie dans son expression, dirigée envers Adam, je suppose, lequel y est pourtant parfaitement indifférent, et continue son exposé sans se démonter le moins du monde :

- Les modalités de notre intervention sont encore à définir, capitaine Lim-Taek. Personnellement, je pense qu’il faut faire jouer l’effet de surprise, tout en évitant l’escalade. Ma proposition serait la suivant : la mission « Salvare » affrétera un nombre limité d’avions civils – peut-être trois ou quatre – à destination de Crater Europeis, avec à leur bord suffisamment d’hommes et de femmes pour avoir la supériorité numérique sur la présence chinoise. Sans armes, ou du moins, sans la cavalerie lourde, juste pour faire le poids. Nous aurions des appareils militaires en stand-by en cas de réaction hostile, bien entendu...

- Et vous n’avez pas peur de déclencher un conflit ouvert avec la Chine-unie ? demandé-je à mon tour, pas franchement rassuré par les approximations de Adam.

- Honnêtement, je pense que la sidération des chinois, en nous voyant débarquer de la sorte, devrait suffire à ce qu’ils acceptent non pas de partir sur le champ, mais à tout le moins de négocier. Et puis, nos échanges avec l’Agence spatiale européenne sont plutôt rassurants à cet égard, regardez par vous-même !

Adam pianote rapidement sur le clavier d’un ordinateur, et une image est automatiquement projetée en grand sur un mur blanc prévu à cet effet. Il s’agit d’un échange de messages entre Redoak Mons et l’Agence spatiale européenne, ou, plus exactement, entre Adam et notre « regrettée » Cecilia Dimitrova, dont j’entends encore la voix de crécelle me résonner dans les LiPlugs, lors de nos réunions dans la salle du conseil de Olympus I :

« CD : Merci pour ces informations précieuses. Notre coopération informelle avec la Chine-unie s’est fortement intensifiée sur Terre depuis l’interruption des contacts avec Olympus I. L’Agence chinoise nous offre son soutien dans l’espoir de rétablir les contacts avec la mission « Olympus ». Je comprends maintenant qu’il s’agissait d’une manœuvre de leur part »

« AS : Nous pensons que la Chine-unie craignait une alliance euro-américaine sur Mars et a préféré prendre les devants et installer une relation de dépendance asymétrique avec l’Europe. Nous envisageons une intervention ponctuelle, non-militarisée, limitée à Crater Europeis avec renforts éventuels, avec pour but d’initier un dialogue préalable à une coexistence pacifique »

« CD : Je soutiens fortement cette idée. L’hypothèse d’une intervention militaire doit être évitée à tout prix. Je serais en contact avec les autorités chinoises sur Terre pour éviter tout débordement. Notre relation est bonne. Nous estimons qu’une coopération de long-terme sur le plan scientifique peut être une offre intéressante pour la Chine-unie. A rediscuter en temps voulu »

Je dois avoir être un peu confus.

Je ne m’attendais pas à être submergé d’information de la sorte, il m’est difficile d’y voir clair dans ce méli-mélo de propositions et d’interdépendances. Le plus discrètement possible, je me tourne vers Ryu et sonde son regard pour y déceler de quoi me rassurer, ou du moins, m’aiguiller vers une solution. Le beau coréen m’a l’air plutôt serein.

- Tu en penses quoi, toi ? chuchoté-je à son attention, quelque peu intimidé par le regard soutenu des hauts-gradés de la mission « Salvare », qui ne perdent pas une miette du spectacle.

- Je pense qu’on a pas vraiment de meilleure solution que de leur faire confiance, non ?

- Non, tu as raison... Je veux juste éviter d’être le responsable du déclenchement de la première guerre martienne...

- Demande à parler à Dimitrova, elle te confirmera si elle est bel et bien capable de calmer les éventuels ardeurs chinoises.

Ryu marque un point, et pas des moindres ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé moi-même ? Puisque les américains semblent en mesure de discuter avec Bruxelles, je dois pouvoir le faire aussi. Il serait grand temps que j’enfile le costume de chef de la mission « CODERED » et que j’agisse en conséquence... Je rassemble donc rapidement mes pensées puis, me raclant la gorge pour ajuster ma voix, m’adresse à Adam et ses collègues avec assurance, peut-être même un soupçon d’autorité :

- Est-ce que je peux m’entretenir directement avec Cecilia Dimitrova ?

- Bien sûr, répond Adam d’un ton poli, mais je te préviens, Yann, nous n’avons pas de lien de communication en direct possible avec Bruxelles... il faudra se contenter d’un échange d’emails, avec un décalage de cinq minutes entre chaque envoi.

- Ça ira très bien comme ça !

Adam demande alors à un membre de son état-major de me conduire à un poste de communication, lequel sera situé dans une pièce dédiée, « afin que je puisse avoir un peu d’intimité ». Tu parles. Je me doute bien que la conversation sera enregistrée. Toujours est-il que j’apprécie le geste. Il est toujours plus agréable de discuter avec quelqu’un sans avoir cinq paires d’yeux dans le dos. La réunion ayant atteint son objectif, elle touche également à sa fin, et l’assemblée se lève alors comme une seul homme et se sépare sans un mot. Adam, avant de retourner vaquer à ses occupations, nombreuses, j’en suis sûr, en tant que marshal, me glisse un rapide mot à l’oreille, s’attirant un regard noir de Ryu, qu’il ne remarque pas, fort heureusement :

- Yann, je me suis peut-être mêlé de ce qui ne me regardait pas, mais je n’ai pas pu résister... J’ai demandé des nouvelles de tes parents à Cecilia Dimitrova. Je n’ai pas montré ça aux autres pour ne pas qu’ils pensent que je soutiens l’intervention en raison de notre passé commun... Bref... Dimitrova m’a confirmé qu’ils étaient en pleine santé, bien que très inquiets pour toi, comme tu t’en doutais... Mais rassure-toi, ils ne campent pas devant l’Agence ! Ils sont trop vieux pour ça, Dimitrova a eu pitié, je pense, et leur a trouvé une chambre d’hôtel...

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