S.

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 Je m’étais assise à ses côtés. C’était agréable, son silence aussi. Mon oncle était rare, plus présent son petit monde. Ça grouillait sous nous, lui regardait les trous dans le ciel. Et moi, j’attendais, n’avais rien à dire. Il pleurait, parfois. Et ça m’allait bien. Parce que dans ces instants-là, sa fantasmagorie fantastique m’emportait et ses mots – aux étoiles naissantes – chaviraient mon cœur. Il portait la capuche, se couchait pour larmoyer entre les cloportes. Lorsqu’il dormait, la coccinelle venait. Il ne savait pas.

 Je l’agaçais certainement. Toujours dans ses souches à ne rien faire, rien dire ; Esatari, annonce !, m’avait-il susurré. Il faisait de l’humour et j’ai ri. Je l’aimais de rien, mon oncle, et bien. J’ai dénoncé. Arriverais-je à briser le destin ? Il s’est mis en colère. Le ciel, la lune et le soleil / aussi le reste. Je suis née pour dire, je suis punie pour avoir dit. C’est pas bien grave. Je prends les choses comme elles viennent. Mon oncle s’est assis. Je me suis assise à côté de lui.

Il m’envoya aux rivières.

Lavandière de nuit, j’y suis allée et j'ai prophésie

Devins, dès l’aune,

Là nos reflets, si trouille, nageaient vers nuit d’avant ; puis.

Déclin, des lobes,

L’anneau citrouille navrait les reluis d’amants ; fuis.

 Tu ne comprends pas. Coloquinelle va tout reprendre. Lis donc, moi qui ne suis plus, bien qu’autrefois étions.

 Il était un concours de circonstances, que je conte à la cadence du miel et du blé ; ici mais aussi là-bas où vogue la porte aux reflets d’eau.

 Puisses-tu essayer avant – d’abandonner – la suite passée d’un avenir à tracer ;

Demain, dès l’aube, nous m’aimerions.

Car au creux des montagnes une rivière remonte le Col aux quinelles.

Je suis née ici-haut. Et je rêve de me tenir la main pour aller nous promener à l’autre bout de la vie.

Concentre-toi. Je commence. Ici.

L’histoire d’un pont.

 Sur l’arc de pierre suspendu, le temps s’étire, où les âmes éphémères se croisent et se retirent ; un ruban minéral sur l’abîme en dessous, clapote une danse intemporelle en murmure doux, sous les arches altières, les eaux dansent en écho, en reflets tremblants des rêves oubliés, des destins trop tôt. Nerveux, parfois, se courbe sous le poids des histoires, chargé de secrets, de joies, de peines illusoires. Le vent siffle une mélodie, entre les piliers solides, et caresse les esprits errants, les cœurs avides, de l’autre côté du gouffre ; les destins se tissent où l’avenir se hisse. Entre le passé et le futur, ce lien suspendu, témoin des luttes, des amours, des vies perdues, muet porteur d’une silencieuse torpeur de la mémoire du temps, il est ; le pont veille, immuable, malgré les tourments, mais mais.

Mais,

as-tu,

as-tu ne serait-ce que,

jeté ton âme de là-haut ?

Nous, Coloquinelle du Col aux quinelles, nous l’avons de l’en dessous.

 Et j’en somme toute morte. Car demain, dès l’aube, je revins à l’homme sentiment, sans ou sang, ou cent amantes, sous le pont dans un sens. Puis l’autre.

 Tragique, te dis-tu peut-être ?

 Dans l’obscurité voilée des destinées, se cache un écho éternellement poignant, une rumeur sombre qui transcende le temps : c’est le tragique !, force invisible qui, marée impitoyable, engloutit les espoirs et les rêves les plus audacieux. C’est la danse inexorable de la souffrance et du désespoir, tissant une toile complexe de destins brisés et de chagrins incommensurables. Et ça s’immisce ici, ça tousse bas, et ceci se dessine en cycle dissonant, car le tragique se dresse spectre inévitable, défiant les aspirations de bonheur éternel. C’est la révélation soudaine de l’absurdité de la vie, un éclat de lumière qui déchire le filigrane illusoire de l’harmonie, fragile existence. Un destin cruel qui se joue de l’innocence des êtres, érigeant des montagnes infranchissables là où se dressaient autrefois des horizons infinis. Dans l’éclat d’un regard éteint ou dans le silence pesant d’une insurmontable absence, réside l’empreinte indélébile d’une lutte vaine contre les forces cosmiques, une danse tragique entre l’homme et le divin. C’est l’écho d’une mélodie dissonante, résonnant dans les cœurs des hommes, les poussant à affronter l’inévitable et à embrasser la beauté fragile de leur propre finitude. Le tragique, dans toute sa grandeur lugubre, révèle la quintessence même de l’existence humaine.

 Assieds-toi sur la berge. Gamberge. C’est facile. Regarde. Vois.

Vois-tu !

?????

Un pont, le tragique !

Alors, qu’as-tu ? Un lieu, une émotion, que manques-tu !!?

Des acteurs ! Oui !!!

Qui… ?

Des amoureuses, oui, impossibles aussi, oii, un baiser, iiiii !!!!, de la baise !, ooooOOOOOOÔÔØ |||| NØN

 Parce que l’histoire sous le pont, quoique tragiques soient sept amours impossibles, débute à la lune et chute au soleil.

 Donc, es-tu prêt ? Puisqu’ici s’entame l’amour.

 Il était une fois la demoiselle habillée d’une robe au col quinelle. Elle était à genoux sur le sable. La vie s’écoulait ; elle y trempait ses mains ; laver ses péchés. Elle rêvait de nuit, de son attrait discret et de sa fulgurance endormie. Car à cet instant, les primes émotions patientaient tapis dans les fourrés. Ses idées noires, elle les empêchait à sa tête, mais un jour la brume glissait d’en bas et allait au ciel. La demoiselle la salua. Silencieuse. Comme l’autre. L’une. Silencieuses.

 Ainsi voyageait l’eau. De bas en haut pleurait. À tir-mont d’une volupté fardeau. Et la demoiselle s’entristait des peines, plus que les siennes. Car elle avait un cœur, grand comme ça, tu vois, plus que le tien, plus que le mien. Alors, son linge elle laissa à la dérive et se leva. Trempée de l’effort, elle décolla la robe de son corps transpirant du labeur. Quelques pichenettes aux grains de sable, se redressa. Poings fermés, posés au creux des hanches, solide, en appui, elle osa mots. Je m’en souviens / Toi, qui pleures en silence, tu attends la brume pour geindre, extirpe-toi et viens avec moi. On sera deux. Et le temps passera mieux. Et je l’ai rejointe.

 Sourire. Sourires. Puis ensemble, nous avons lavé le linge. Nous, Coloquinelle et Esatari. Heureuse. S.

 Il était une fois une demoiselle habillée d’une robe au col quinelle et la lavandière de nuit. Elle et moi, et l’émoi des premiers maux ; qu’elle rompit en même temps que les flots ; mon nom. Des brumes durant elle ne parlait pas et je venais avec elle frotter mes bas. Elle m’avait dit ne pas poursuivre la discussion tant et temps que je ne pleurerais pas mon nom… Alors mon nom, au non de non, je le prononçai. Et elle s’arrêta. Rondes fesses aux talons posa. Vers moi se tourna. Pleura. Avec elle moi et sa tare innommable.

 C’est ici que tu ne comprends pas. Concevable ; aussi qu’elle pleure. Puisque Esatari, moi du demain d’hier, de la nuit lavandière, je suis venue la voir, elle, la demoiselle habillée d’une robe au col quinelle, afin de noyer son chagrin, mais elle pleura. Tu le sais, c’est écrit deux fois, ah !, mais il faut sept. Et sans compter moi qui donne trois, non quatre, relis, tu verras ; elle se jeta à moi et m’enlaça. Tu comprends, c’est ici le moment du cœur gros, comme ça j’avais dit, parce que c’est ici que je devais expier mon dernier péché et que je me condamnai.

 J’expliquons.

 Mon oncle, c’est le petit taciturne qui vit dans les montagnes, Erle il se fait appeler ; des bestioles il a l’amitié. Et moi je savais pas trop quoi faire de mon éternité, alors j’ai dit et j’ai été punie de l’aider. Il avait fait un pacte avec sa mère, je l’ai jamais vu de si-bas, mais elle est là parfois dans le ciel nuit. Un détail à mettre de côté, là n’est pas l’explication ; il suffit de se rappeler que Erle vient chercher les perdus pour allumer le ciel. Mais le monde, c’est grand, et y avait Igitai – le cousin de l’oncle – qui faisait tout à l’envers. Pour ça la déprime tourmentait mon oncle. Donc voilà pourquoi j’ai pleuré.

 J’expliquons encore.

 Pas parce que Erle pleurait, mais parce que Coloquinelle pleurait, qu’elle savait que je l’aidais, lui aux montagnes et aux prés, et moi aux rivières et traits d’eau. Elle pleurait parce qu’elle savait mes bêtises d’avant, elle savait aussi qu’à Esatari, il ne restait qu’une âme à accrocher au collier de la lune, qu’ensuite je disparaîtrais.

 Il était une fois la demoiselle habillée d’une robe au col quinelle et la lavandière de nuit, toutes deux arrivées à la fin de la vie. On s’est pris la main, on s’est embrassées aussi, elle était belle, j’étais jolie.

Sourire. S.

Sémillante. S.

Silencieuse. S.

 Sous l’arceau, là où résonnent les échos du tragique, deux âmes se sont rencontrées dans un mélange d’ombre et de lumière. Coloquinelle et Esatari, nos noms se mêlaient dans la nuit embrasée par les reflets de la rivière. Au souffle d’un silence d’émotions, leurs mains se cherchaient, s’entrelaçaient et trouvaient la chaleur de l’autre. Le vent murmurait douce mélodie, témoin de leur étreinte, tandis que le pont, fidèle gardien de leur histoire, enveloppait leur amour issant dans son étreinte. Abyme au gouffre béant, leurs cœurs battaient à l’unisson, déjouant le destin alentour en promesse d’amour éternel. La robe au col quinelle, glissa des épaules aux seins, du ventre aux fesses, et de là à l’eau, flotta gracieusement sur les flots sombres, s’emporta au bas du col en témoin pudique afin de chuchmurer la mémoire à venir de leur histoire d’amour gravée à jamais dans les creux du Col aux quinelles. Nous avions révélé la pureté de nos peaux à la fraîcheur de la mort, et ses doigts effleurèrent la mienne, traçaient des désirs invisibles, éveillaient à moi sensuels frissons d’une tendresse incommensurable. À cet intime instant, le temps s’est suspendu. Écrin poétique. Avant que les cœurs s’accordent, les corps vibrent, à l’assaut, à l’unisson, de nos chevauches enchevêtres. Je ne sais plus dire quel temps c’était, hier là ou demain, mais les étoiles ont brillé d’une intensité nouvelle, pour nous, pour notre union, notre éclat de fuite éternelle.

Nous avons eu peur.

Coloquinelle, que je la prenne à Erle / Esatari, que je disparaisse.

 Donc. Nous avons fui. Nous avons remonté le flux, cachées par la brume, nous avons exploré les sous-ponts, que la lune nous cherche, que Erle aussi ! Nous s’en fiche, car là où nous-sommes, derrière l’anneau citrouille, rond parfait au reflet du pont dans l’eau, personne nous voit vivre notre amour. Nous étions vouées à s’évaporer, alors on a décidé de s’aimer. Et pour trace depuis, n’y a que sa robe au col quinelle qui descend les flots les nuits de pleine lune, car je la déshabille pour l’aimer et du monde me moquer.

Esatari est morte.

Coloquinelle est morte.

S.

Ici, coule notre amour pour toujours.

Et les gens parleront de la légende du Col aux quinelles.

Tragique.

Heureuses amoureuses qui laissent glisser la robe au courroux de la lune.

À la citrouille caprine.

Mes hommages.

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