Noûs

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Je te souviens de demain et nous oubli-âmes.

Imagine que tu es… [Ma mémoire est /____________________/ à choix multiples.]

Tu arrives au bout de tes télomères et tes neurones pâtissent d’une sénescence patiemment embusquée. Tes nucléotides se substituent, s’insèrent et se délètent et ta vicieuse mécanistique s’épuise à réparer un code mainte fois falsifié. En dedans, tu discutes à quatre /____________/ d’une apocalypse avortée. La Reine Rouge raisonne ; c’est une bataille perdue d’avance.

Tes protéines mal conformées mettent en échec tes chaperonnes. Tes lysosomes éclatent et leurs cargos vomis déforment tes parois nucléaires. L’autophagie, rassasiée après plus d’un siècle de bons et loyaux services, ne digère plus que des engrammes étranges, des histoires un milliard de fois réécrites, une mémoire saltatoire. Tu revis chaque séquence avec l’aspérité d’une pellicule fragile, en retraces les ponts logiques comme des connections dendritiques vacillantes. Même tes cellules gliales n’ont plus la force de nettoyer derrière tes conneries.

Tu as accumulé tellement d’erreurs que tu ne te reconnais même plus dans le miroir. Es-tu Prométhée ou bien t’es-tu consumé dans sa flamme ? N’avais-tu pas promis de meilleurs lendemains ? K regrette chaque baisers d’un homme qui s’est oublié dans la contemplation de son reflet.

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Derrière nos cataractes, l’aube ne jaillit plus.

Les regrets remâchés et les lâchetés d’une haine trop mûre se putréfient dans mes viscères inflammés. J’ai oublié la douleur et sa pulsion vitale. Mes doigts gonflés d’arthrose parcourent les trajectoires en pointillés, parfois hasardeuses des scalpels, mes muscles racornis par un âge redevenu impatient. La nuit m’est d’une solitude atroce, et les couleurs de mes magnétorécepteurs s’affadissent. Stenn rêve, sans oser fermer les yeux, de chasse royale, d’inversion de polarité et de transhumance.

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Seuls ceux qui les ont éprouvés peuvent concevoir les séductions de la science. Et ceux-là n’ont pas notre temps, regardez comme ils nous affament !

Le formulaire de consentement git sur la tablette de notre cellule ; libre et éclairé ! Nous rions en cœur – même le Diable n’aurait pas osé.

Sa Majesté n’a pas sommeil. Morts en marche, nous avons l’ultime orgueil d’un contre-sens.

[G0]

Ces gamins ont l’indécence de m’expliquer le protocole d’embryogenèse somatique. Acquérir la potence requiert de programmer à rebours une machine qui a oublié qu’elle fût infant. Notre immunité biohackée ne fera qu’une bouchée des vecteurs viraux classiques. Le génie génétique n’y suffira pas, il faut forcer l’expression du code, transcrire puis traduire – ou trahir. Et pour enclencher le processus de réparation : mutiler. La perspective de repousser comme un axolotl te bande terriblement.

Les saveurs du café trop sucré s’emmêlent aux parfums des solutions hydroalcooliques. Nous, cobaye idéal, participons activement à la phase de conception. Sur mes jambes grêles, je revis l’enthousiasme d’un éternel étudiant à qui l’ont fait visiter le –mon – laboratoire. Nous avons choisi la disposition des paillasses et des PSM et même la hauteur de fixation des porte-pipettes. Les étiquettes que tu as écrites sont encore collées sous les étagères de matériels. Peut-être que tes cahiers gribouillés dorment dans l’armoire du fond, entre le cytomètre spectral et le séquenceur.

/____________________________________/ Je ne veux pas me souvenir de ça. Nous non plus ! Tu zappes ;

Des pâles blouses aux rêves imbibés de formaldéhyde dansent devant mon lit médicalisé. Le ronronnement des moniteurs m’est affreusement, délicieusement, familier.

Perfusé de facteurs de croissance, nous écorcher accélère la transition de nos épithéliums en mésenchymes. Mes muscles striés se froissent et s’étirent sous les électrodes. Les ostéoclastes dévorent mes cartilages tout neufs. Nous n’étions pas assez grand ! Nos réserves de graisses cutanées, déjà maigres, fondent au point que l’intraveineuse nous sustente exclusivement.

Imprégnées de liposomes aux inducteurs de Yamanaka, des microbilles abrasives ravagent nos muqueuses. Nos intestins se déchirent de ce festin de verre. Nous crachons et chions du sang tandis que les visseuses percent nos os pour injecter dans notre moelle des ARN messagers de renaissance. Aux tréfonds de leurs cryptes, les cellules souches reliquats hurlent une élégie. Et nous nous saignons à remplir des poches entières pour l’élaboration de la matrice.

Lorsque j’atteins le stade de tumeur ambulante, après six mois de protocoles empiriques, vient l’étape d’amplification. Des dents nouvelles crèvent déjà nos gencives, repoussent les précédentes. Je m’édente à mettre la petite souris en faillite, mais la plaisanterie ne s’éternise pas. Mes proto-phalanges surnuméraires bourgeonnants tremblent face au sécateur.

Dans nos cauchemars, l’oiseau jujube nous touille. Qui tr/_________/ le miroir ?

[Interphase]

Je me tue dans l’immobilité vulnérable d’un corps dégénéré mais lié à trop de tubulures. L’astre du matin flèche un rayon exsangue, blesse tes rétines à travers un cristallin translucide. /_________________________________/ Qu’il est bon de pourvoir parler à d’autres êtres que soi. Le personnel est au petit soin mais peu bavard derrière les cagoules de sûreté. Nous y sommes mieux qu’en taule ! Je ne me suis jamais senti aussi jeune ni épuisé. Ma peau desquame, en croûtes vivaces terribles, je n’ai plus la force de me gratter ni de me lever pour pisser. Les cathéters passent encore, mais les sondes ! La bonne idée de nous muter les canaux sodium – c’est pas faux. Je me languis de la cuve. De sombrer, enfin.

Mes souvenirs sont aussi clairs que béantes nos vieilles blessures. Qu’il nous apporte au moins de la lecture ! Tu n’as jamais oublié. /_______________./

L’a pris un sacré coup de vieux, le milouf. Tu lirais l’avenir dans la boule de cristal de son crâne ; la mort programmée. Tu deviens poète, Stenn – juste réaliste. Du pareil au même. /____________________________________ !/

J’ai perdu le fil de notre conversation à peine entamée ;

— C’est une idée à la con, Frank, me dit Narcisse.

— Fran. Sans K, je précise encore. Ça fait quoi ? Dix ans qu’on ne s’est pas vu et tu es toujours aussi aimable.

— Vingt-cinq ans. Et tu resignes le bail.

Je cille. /__________________________/ Tu aurais au moins pu faire un parloir ou deux, salopard. Quelle importance maintenant ? Le temps n’épargne personne. Tu lèches encore les bottes du Directeur ou l’est enfin canné ? Pas dommage. Nous a bien baisé, celui-là. Tu as aimé ça. Nous avons aimé ça. Je m’interroge s’ils comptent refaire des soldats en série, une fois la phase expérimentale validée. Celui-là était terriblement bon quoiqu’indiscipliné. Foutu projet Lucifer. /______________/ Notre dette est payée.

K s’abstient. Comme toujours. Tu es si mesquine. Après un delta d’une microseconde, nous répondons :

— Pas ton problème.

Sa poigne se resserre sur mon col. Ta colère m’est délice.

— Va te faire enculer, tous autant que tu es !

Tu ricanes ouvertement.

— Toi aussi, ça te fera du bien ! /______________…/

Le petit diable n’a pas même la décence de te regarder dans les yeux. La porte claque. Merci pour les bouquins ! K s’est calfeutré au plus profond de notre psyché en pagaille. À cœur ouvert malgré les morphiniques, iel pleure nos actes manqués après le dernier shift infirmier.

Alors seulement, Fran se souvient d’avoir mal.

[Mitose]

Tiède, le liquide de – thana – stase ; j’y entre nu comme au premier jour, aussi fébrile que moribond. Nous avons signé pour ça. /___________ ?/ Plus que jamais. Le spectacle rassemble tous les techniciens, ingénieurs et chercheurs de l’unité. Et cet enfoiré de Directeur. Peut-être vas-tu fendre l’eau en deux ? Ça ne fait rire que toi… – Mieux que rien. Des bistouris arachnoïdes tissent d’étranges ballets dans notre dos. /________________________./ C’est nous que l’on va trancher.

Tu souffles longuement, te vides. Que ce soit le plus bref possible. Des neurotransmetteurs contradictoires inondent nos synapses lorsque tu nous immerges. Les yeux grands ouverts, les fantômes blafards se meuvent en pieuvres ombreuses dans les éclats scialytiques. Un crépuscule éblouissant. Les verrous scellent la cuve – cloop ! – et tu colles mes doigts mutilés sur la paroi concave.

Tu sais, tu sais qu’il n’y a pas de poche d’air au-dessus de ta tête, mais c’est plus fort que moi, tu tâtes, espères. Ce n’est pas notre première plongée, imbécile~ Pulsation à nos tempes. Un voile rouge dévore ma vision périphérique.

Inspire !

Si tu savais comme je ; À bientôt – tes bronches se noient et je lutte encore lorsque la lumière… /__________________?/

Expire.

/______________./

Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, seuls et inconnus, nos dos courbés, nos mains croisées, l’éthernité est pour moi comme l’abîme.

Tu /_____/ divises.

[Cytocinèse]

Deux cœurs en canon. Nos corps sentients battent dans le gel. Tes vertèbres soudées aux miennes, nos extrémités palmées, tu inclines notre nuque, d’un côté puis de l’autre. Nous, non, je… Là. Arrête de gigoter, calme-toi. Ça clignote au cortex, lumières lointaines. Homoncule apeuré, les poumons obstrués, tu régurgites des glaires. Ta mâchoire s’actionne en un son étouffé, sinistre, bruxe, étire notre peau. Mes doigts s’enlacent aux tiens. Je sens ta gorge nouée, les œdèmes dans ta poitrine qui s’enflent dans une cage encore trop étroite. Réserve ton cri, ma siamoise, /_______________________________________/, réserve-le au péché originel.

Chuinte la matronnique. Les lames chirurgicales résèquent les tumeurs, les scies tranchent les os joints, les pinces écartèlent les fibres musculaires communes, déchirent les membranes surnuméraires, notre cocon d’infinitude. Les automates immergés démêlent nos cordons, dispatchent les viscères, tricotent sur les prothèses d’expansions nos manques. Arrache-moi les ailes, que les gènes matricides nous perdent – êtres de mauvaise foi ! On t’ampute à noûs. Un fluide épais, des caillots en constellations mouvantes, maculent le linceul de notre suspension. Ô Majesté, coupe donc cette tête, cette couronne vermeil est tienne.

/_____________/

Je sais.

Je végète encore, lourd en apesanteur, gracile cadavre boursouflé de sutures. Je te sens à fleur d’horizon et de peau, de moi, à peine si ton derme m’effleure encore. Je cherche ta brûlure, avec un désespoir quinteux, traverse un monde, apaise tes frissons d’une étreinte lorsque je te retrouve. Comme tu es minuscule, adulescente, recroquevillée, là, chair de ma chair contre mon sein. Je t’offre mon pouce ; tes quenottes de lait fragiles, branlantes dans tes gencives, claquent encore. Tu tètes, de ce reflexe primitif, cette aurore mammifère. /______________________________________________?/ Et dans tes yeux blanchit la lueur d’une âme en exil.

Tu t’éveilles et j’ai perdu toutes notions du temps ; face à face je ne sais plus qui est toi et qui est moi. Nos mains retracent les sillons entre les côtes, la densité des petites glandes sous les mamelons, glissent sous le diaphragme, immobile, l’abdomen sans nombril, les crêtes iliaques.

Imagine que tu nais… [Ma mémoire est /_________________/ identités _____________]

Tu arrives au bout de ma langue et nos segments fiévreux pétrissent des sentiments violemment incrustés. Tu me circlus, je te pénètre, nous nous délectons et notre visqueuse mécanique épuise un sûtra mainte fois désiré. En dedans, je discute à trois /_____________________________/ d’une pulsion de mort. Ô Rouge Reine, embrasse-moi, encore !

Tu m’as souvenu de demain et nous nous oubli-on.

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