Chapitre 1 Une calme soirée
À l’heure calme et mystérieuse à laquelle le soleil se couchait, le silence recouvrait doucement la nature. Un dernier rayon effleurait d’une lueur dorée la cime d’arbres lointains et semait des paillettes sur l’eau glacée de la rivière.
Accroupie, Samantha frottait ses pierres à feu pour en tirer quelques minuscules étincelles qui enflammeraient l'ammoncellement de mousse, d’écorces et de branchettes.
Une flamme claire s’éleva et la guerrière rejeta en arriere les mèches blondes tombées devant ses yeux. Le lien de cuir qui maintenait d'ordinaire ses longs cheveux agrémentés de tresses s'était relâché pendant le voyage.
La jeune femme se redressa et observa ses compagnons de route. Deux d’entre eux profitaient des dernières pâles lumières offertes par le soleil pour étudier une grande carte dessinée sur un parchemin. Les deux frères se déplaçaient en compagnie de leur neveu, Fem, qui revenait de la rivière, les cheveux humides brillants du bain. Il avait le visage rougi par le froid.
Il croisa le regard de la damoiselle qui ne baissa pas les yeux et continua de l’observer tranquillement. Il rejoint sa famille et Samantha se tourna pour jeter quelques branches dans le feu crépitant.
Elle se leva, frappa le sol du pied pour secouer l’engourdissement qui l’envahissait et marcha lentement vers sa monture. L’étalon broutait. La longue chevauchée du jour l’avait fatigué. Le groupe avait durement cravaché pour être sûr de parvenir le lendemain dans la matinée à la capitale d’Astror, Belsir.
Les trois hommes s’y rendaient pour affaires. La jeune femme les savait honnêtes bourgeois et leur compagnie, si elle ne rendait pas le voyage beaucoup plus agréable, lui assurait sécurité et discrétion. Les femmes seules étaient des proies faciles des brigands et aisément soupçonnées de sorcellerie ou de prostitution. Elle soupira à cette pensée ; elle n’avait pas le choix.
D’un geste de la main, elle écarta ces préoccupations et détacha une sacoche de la selle de cuir de l’animal. D'une lenteur calculée et assurée, elle descendit à la rivière.
Le ciel s’ornait de rouge et d’orangé alors que le soleil ne dessinait plus qu’un demi-cercle pourpre à l’horizon. En pénétrant dans l’eau froide, un frisson désagréable lui glissa le long de la colonne vertébrale.
Elle se félicita d’avoir pensé à emporter un morceau de savon, mais renonça à se laver les cheveux : trop longs, ils n'auraient pas été secs pour l'audience du lendemain.
Elle caressa d’un doigt un mince tatouage ornant son poignet droit et qui se trouvait habituellement dissimulé sous un bracelet de cuir. Pensive, elle glissa une mèche blonde derrière son oreille.
Si sa nature elfique lui permettait de dégager une douce odeur de forêt citronnée en toutes circonstances, elle n'en restait pas moins métissée humaine, et même l'usage de la magie ne la dispensait pas de se baigner.
Surtout ne pas se faire remarquer. Si je reviens les cheveux propres sans être humides, ils vont trouver cela étrange.
Elle sourit à cette pensée.
Quelle ironie.
Une femme soldat, ne pas attirer l’attention.
Réfléchissant à la journée qui l’attendait, la damoiselle revint au campement. Sur le feu, un chaudron de métal sombre frémissait doucement, emplissant l’air d’un fumet de viande séchée mise à tremper avec des pois et quelques herbes sauvages.
Samantha huma la vapeur avec délice. Affamée, les senteurs qui s’en échappaient lui mettaient l’eau à la bouche. Elle resserra son équipement, puis tira de petites bourses de cuir d’une poche de l’un de ses sacs : des pincées d’épices et de sel, qu’elle tendit à l’homme qui cuisinait, Shui.
Ses mains larges et solides portaient les marques du travail manuel. De caractère taciturne, il parlait peu et souriait encore moins. Pourtant, il avait l’art d’accommoder des vivres de voyage austères avec tant d’habileté qu’elle se serait damnée pour ses bouillons et ses galettes de fortune.
Samantha sourit encore. Elle aimait beaucoup cet homme calme mais actif. Sans un mot, il prit ce qu’elle lui offrait et l’analysa attentivement.
Il hocha la tête en signe d’approbation et articula un merci rapide dont la jeune femme ne se formalisa pas : le parfum d’épices et de plantes mêlé à celui du plat suffisait à la récompenser, de même que le bol brûlant qu’il lui tendit bientôt.
Son frère et son neveu se joignirent à eux pour un dîner silencieux, que seul le crépitement du feu et les murmures de la forêt vinrent troubler.
Quand la jeune femme leva les yeux de son repas, elle croisa le regard curieux, interrogateur et inquiet de Fem. Il l’avait acceptée sans rien dire dans le groupe, mais sa présence, sans le gêner, l’intriguait.
Samantha le regarda tranquillement dans les yeux. Elle savait déjà que le calme permettait d’éloigner soupçons et méfiance.
Son camarade avait certainement remarqué quelque chose d’étrange chez elle. Elle espérait qu’il mette cela surle fait qu’elle voyageait seule et ne cherche pas plus loin. Elle se souvenait d'une mésaventure où seules ses aptitudes lui avaient évité le viol et la mort. Accusée de magie noire, le groupe d'individus dont elle partageait le bivouac avait voulu la pendre. Il s'en était fallu de peu et elle restait prudente désormais.
Elle osa un petit sourire qui fit rougir son vis-à-vis, et il baissa la tête, se concentrant sur son écuelle. La guerrière se leva, remercia poliment le cuisinier, et s’éloigna de quelques pas. Là, elle respira profondément : elle avait failli éclater de rire devant la mine du garçon si gêné pour une minauderie de sa part.
Son moment de gaîeté passé, elle prépara le nécessaire pour l’entrevue du lendemain. Elle choisit de se coucher tôt, pour être bien en forme dès le matin. Elle lança un dernier coup d’œil prudent alentour puis s’enveloppa dans sa couverture près du feu.
Un bref regard lui permit de s’assurer que Fem et son oncle dormaient, tandis que Shui veillait consciencieusement, assis près du feu et une lame à portée de main. Samantha sombra à son tour dans un calme sommeil sans rêves.
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