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La forêt était profonde, comme le tapis de mousse élastique dont l’équateur moite gardait le sein et le germe des étés farouches et sauvages, la sylve éprouvée, plus vieille que pluvieuse, née de déluges anciens et oubliés même des souches aux cercles effacés, noirs de putrescence micellaire, grouillante et souple. Le soleil archer chassait en ces frondaisons les orées et clairières qu’il constellait de ses traits fauves et lançait les chiens de l’aube à l’assaut des troncs moirés de rosée et d’aiguail dont les écorces aux runes végétales sourdaient comme des cascades adamantines gorgées de veines. Veines et veneur, à l'affût du vol étourdi de l’étournelle étreignant l’étaie amentifère des saules et des aulnes auréolés. Glissade fragile de l’aconit maculée qui soupire aux ventres des myrrhes cinglantes comme des épées sans fourreaux et griffe de ses gueules vermeilles l’émerveillement de l’œillet sage et discret, tapi d’atmosphère sourde sous le signe glorieux et philistin de ceux qui en reconnaisse la valeur. Ceux-là vont de charités en florilège, fuguant au gué comme au moulin le long des périssoires, la paille au cheveux et une chanson à l’eau de la bouche, gazouilli de ru ou d’émissaire, venus d’étangs immémoriaux, des refrains laconiques et lacustres, aquatiques comme la prêle et le calame, mélodie de jonc qu’on mirlitonne un pied dans l’eau, chatouillé par les algues lascives comme les cheveux verts de sirènes rassasiées. Et sous l’ombre des arbres saillants, assaillant le ciel libre de leurs échardes d’écriture qui poussent l’onde à la réflexion, l’éclusier sirote, la gigue à l’air et la bedaine d’autant, éventrée de poils comme un chat énorme et assoupi, gonflé d’aise dans sa somnolence comme dans une auge orgiaque, le rouge à la joue et la joue dans la main. Plus loin c’est les broussailles palustres et héronées, où se perd le regard le long des bourbes et des bourdes, où s’enlise encore les cadavres flottants et gonflés, pareils aux ballons oubliés, échappés des mains enfantines et des légendes enchanteresses. Là c’est la vouivre, cette vieille souche immergée qui vous fixe de son regard d’opaline, sucrée comme le rubis d’une feuille d’érable à son front pourrissant, guettant la nuit pour sinuer dans les remugles et hulluler à la lune des sabirs d’orients et d’orpiments. Et ce reflet rouillé, méconnaissable détritus de futaille rongé par les marais acides ou authentique artefact marquant les dernières foulées et goulées d’airs d’un alchimiste oublié dont les arcanes impérissables hantes le repos trouble de l’eau qui dort sans sommeil. Et quand vient le soir, son chapelet d’ombres et les cris odieux des grenouilles qu’on égorge, le frou frou assassin de l’effraie pêcheuse sur les roseaux immobiles, les borborygmes inquiétants de la vase que les poissons remuent, le tumulte du silence qu’on découpe comme des pattes d’insectes, l’on surprend les lueurs fantômes et falotes des feux follets, émargeant l’inquiétant spectacle de leur funèbre signature incandescente. Et bien des secrets jonchent les lieux comme des fruits de noyers, attendant l’eautomnale récolte qui jamais ne vient.

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