Garder le contrôle

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XIII- GARDER LE CONTROLE

Le contrôle était une drogue puissante, jouissive, capable de faire perdre, même momentanément la tête, à celui qui paraissait le plus doux et modéré en société. Rien ne pouvait laisser supposer que c’était précisément ce type de profil qui en devenait le plus addict, et dont les doses de plus en plus fortes, ne parvenaient jamais à étancher le dizième de sa soif. Certaines catégories sociales aussi, régnaient sans partage sur l’empire du contrôle, de pères en fils: ils pouvaient à leur guise disposer des allées et venues de groupes plus vulnérables, les femmes, les pauvres, les migrants, les noirs…. Les applications de géocalisation des cibles, sonar moderne, intuitif et complexe, n’était qu’un appui comme le fusil l’étaient au chasseur. L’instinct de la traque précédait, et dominait, tout le reste.

Else avait déjà vu, très jeune ce plaisir transgressif et animal chez des enfants en pleine dissection d’un lézard à l’agonie, ou attroupés autour d’un Nguengerou* qu’ils vilipendaient sous les rires amusés des adultes,les encourageant.

Jamais, elle ne s’était melée à ces jeux, et face à son incompréhension alarmée, son arrière-grand-mère ne pouvait que lui dire en haussant les épaules, qu’il en allait ainsi dans le monde: la cruauté en faisait partie.

Un lézard,peut-être même une fourmi, c’était exactement ce qu’elle représentait à l’echelle spatio-numérique des pisteurs, de plus en plus nombreux dans ce qu’il considérait être un jeu divertissant. A chaque époque ses jeux, et ses joueurs.

Elle avait aussi connu des jeux interdits par les grandes personnes « civilisés » parlant un gros français sans accent, mais que sa arrière-grand-mère lui autorisait quand ils étaient au travail, d’un hochement de tête complice, devenu code entre elles.

Ils étaient des enfants de toutes conditions, chrétiens, et musulmans, riches et pauvres, beti, bami, douala et bassa. Et l’instant d’après ils devenaient , sous le clapotis tranquille de la pluie battant tambour, un essaim serré de joyeuses tourterelles déployant leurs ailes, en chansons.

L’averse avait endormi les odeurs de la ville, le temps de son passage et éveillé chez les enfants un espace de liberté naturel.

L’asphalte, à présent terre ancienne sous leurs pieds nus et corps déliés, se souvenait lui aussi des danses oubliées des enfants qu’autrefois leurs aieux avait été. Moussio souriait, en machant au calme son kalaba.

Ces enfants réconciliés sous la pluie, étaient les mêmes qui lançaient des cailloux, une fois le sol sec et leurs vetements retrouvés, aux albinos qui se hasardaient à passer sur la place publique.

La cruauté était finalement peut-être bien la chose la mieux partagée. Des années plus tard, des kilomètres plus loin, Else était la paria au milieu d’enfants devenus grands et dont la lactification, décrite par Fanon, était parfaitement achevée. Lui, avait été enterré avec toute la tradition de lutte politique et solidaire qu’avait connu sa génération. Et eux, avaient fini par detester, au delà de toutes formes de mépris, leur goutte de sang noir, parfois invisible, à laquelle Else les renvoyait par sa seule présence. Ils la haissaient comme seuls savent vous hair les proches. C’était une haine de soi. Else, et ses semblables, étaient le seul moyen d’évacuer la frustration.

Le seul moyen d’aplanir les rivalités internes et creer le consensus autour d’une detestation familière et commune.

Face à cette haine, il lui arrivait de suffoquer, ne plus avoir aucun espace pour respirer. Else ne retrouvait son calme qu’en entrevoyant dans ses souvenirs, le doux sourire de Moussio.

Dans la tradition sawa, ceux qui partent ne nous quittent jamais vraiment et continuent de cheminer à la marge de toute vie capable de les convoquer:

A ses côtés, son père, sa grand-mère, Moussio, son arrière-grand-mère, sa grande-tante et son grand-oncle, ses cousines, ses oncles et tantes disparus, …A ses côtés Dieu, qui ne l’avait jamais abandonné quelque soient les épreuves traversées.

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