There's no sunshine when he's gone

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X- THERE’S NO SUNSHINE WHEN HE’S GONE….

je ne pus m’empêcher de faire le constat, ce matin là, que les journées de fin août avaient, avec leur soleil radieux et malgré un ensoleillement raccourci, la tragique insouciance des enfants ne réalisant pas encore que la rentrée s’apprêtait à leur tomber dessus. J’avais eu mon père en ligne, dès mon réveil. Deux jours plus tôt, l’hôpital nous avait appelé en catastrophe pour lui faire nos adieux. Il avait la respiration courte et sa beauté de prince sawa était soulignée par des pommettes que la maladie avait rendu saillantes, comme tous les angles de son corps, désormais en lignes droites et triangles. J’avais été tellement bouleversée par sa douleur que j’avais accepté l’imminence de son départ, pourvu qu’il ne souffre plus jamais. Le lendemain, il allait déjà mieux et le soulagement, peut-être égoïste, avait très vite succédé à la résignation. J’avais donc repris le chemin du travail, des transports, des rendez-vous avec les clients dont les exigences étaient toujours, même si une météorite s’abattait sur la terre, une urgente priorité sans égard pour les vôtres. Ce matin-là, j’ai quand même demandé à mon père s’il voulait que prenne ma journée, et sa nature d’ancien professeur, imprégné jusqu’aux os de son sacerdoce, m’a encouragé à y aller et venir le rejoindre l’après-midi. Il m’accueillait toujours avec une joie tranquille, d’un « Ah maman, c’est toi ? »

Il ne m’avait jamais appelé autrement que « maman », car je portais le prénom de sa mère, morte alors qu’il était agé de 7 ans. J’avais moi-même déjà ressenti ce paisible tressautement lorsqu' enfant, ma mère apparaissait dans mon champ de vision, et que le monde reprenait alors son ordre cosmologique. « Allo, maman, c’est toi ? Nous nous verrons cet après-midi, va travailler. Je t’attends. »

J’ai mis un temps incroyable dans les transports, l’hôpital étant à l’autre bout de Paris. J’étais impatiente de voir mon père, avec la conscience aigue qu’il était encore, par chance, toujours parmi nous. Avec l’espoir insensé, rivé au cœur, qu’il en serait toujours ainsi, puisque nous avions déjà vaincu la mort une première fois. Je gardais mon père dans toutes mes prières. Lorsqu’il m’aperçut depuis son lit où il se rasseyait, ma mère debout derrière (elle souriait….donc les choses n’allaient pas si mal), il me dit avec cette joie sereine et familière :

« Maman, tu es là ? »

Ce furent ses dernières paroles. Ses dernières paroles fûrent pour moi.

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Le dédale des longs couloirs de l’hôpital me semblait interminable. Je demandais régulièrement aux infirmières mon chemin. Si seulement je l’avais trouvé plus tôt.

Je commençais à perdre espoir, songeant à retourner sur mes pas, près de la dernière indication fléchée, en direction du service oncologique, lorsque je tombai finalement sur la chambre, grande ouverte, de mon père. Il était debout, non loin de ma mère. Il m’accueillit d’un signe de la main, avec les salutations d’usage habituelles. Kassa. Le terme douala pour ces salutations à l’attention particulière de celui ou celle vous honorant de sa présence. Il en avait pour une pour chacun de nous « Did’ tu es là », « Indigène, wa po », « Blé, tu es venu ? », « Pépé, ma fille, te voici », « Miss Huguette… », « Vannouchko… », « Leptop…. » pour ma fille cadette, qui avait selon lui un disque dur intégré en guise de mémoire.

J’étais attendue par mon père, ce jour-là. Il avait ses coquetteries d’homme sawa, doublé de dandysme anglais. Et n’avait, en revanche, aucune intention de rester couché comme un gisant. Il portait un élégant pyjama rayé en coton égyptien, et s’apprêtait à tenir audience, dignement assis sur son lit d’hôpital comme s’il s’agissait d’un trône coutumier du chef du village qu’il n’avait jamais cessé d’être, malgré son long exil européen.

J’avais hâte de les rejoindre. Le couple royal. Je ne les ai jamais vu autrement. Mon père et ma mère étaient inséparables : on ne voyait pas l’un sans l’autre. Comment mon père aurait-il pu mourir ?

Ils avaient été éprouvés par l' adversité, le temps, les tentations, mais avant même le soleil, c’était parfois leurs rires d’adolescents qui me réveillaient certains matins : ma mère s’activant déjà autour de la préparation des repas de la journée, et mon père sirotant un café ou un verre de vin, en partageant avec elle les anecdotes de leur jeunesse. Ils n’étaient jamais à court d’ histoires drôles à partager, comme celle de l’« ami personnel de Bill Clinton », une de leurs connaissances communes qui ayant opportunément découvert Photoshop, fit circuler un maladroit montage photo de lui et Bill Clinton, qu’il prétendait avoir rencontré.

Comment un homme qui étendait ainsi sa royauté jusqu’à cet impersonnel lit d’hôpital, pouvait-il mourir ?

J’étais tellement heureuse de les rejoindre et être encore pour un temps indéfini et suspendu, l’enfant de mes deux parents. Je m’avançais déjà vers eux. Une infirmière s’interposa fermement entre moi et la chambre. Elle me tendit une blouse stérile : « C’est obligatoire ! ». J’enfilais rapidement la blouse, sans la nouer à l’arrière. L’intraitable dame m’ indiqua le panier à chaussons plastifiés , qu’il fallait mettre par dessus les chaussures avant d’accéder à la chambre. Je m’exécutai avec une impatience clairement affichée.

Lorsque mon père défaillit, j’avais presque entièrement revêtu leur stupide combinaison, perdant de précieuses secondes qui m’auraient permis de le rejoindre et l’embrasser une dernière fois. Je n’eus même pas le temps de m’avancer vers la chambre qu’une équipe médicale surgit de derrière les murs avec le professionnalisme affairée d’une équipe de cinéma…Même les figurants de la série « urgence », avec leur arsenal clignotant, ne seraient pas apparus aussi rapidement. Notons que les figurants de cette série mythique apprenaient leurs textes et se préoccupaient assez de leur vraisemblance pour ne garder aucune personne, autre que le malade au moment de la réanimation. Curieusement, ma mère fût autorisée à rester dans la pièce. Les minutes qui passèrent me semblèrent alors être des heures, et lorsque la porte se rouvrit et que la médecin-chef nous annonça son décès, mon cerveau refusa de l’admettre comme si ça ne faisait définitivement pas partie du script. Notre chef sawa, notre si discret roi….Je m’avançais vers lui, étendu, en parcourant ces impossibles mètres qui m’avaient séparé de lui, de son vivant. Je devais pleurer sans le réaliser car ma vue se brouilla un moment, seule sa main- identique aux miennes, mes mains sans beauté que j’exhibais fièrement car elles nous reliaient- m’apparut avec une évidente clarté.

Je saisis sa main, toujours chaude en vérifiant le témoin de son activité cardiaque : une ligne plane. Il était bien mort. Sa main chaude, me sembla t-il, refroidissait lentement.

- Tu peux partir tranquille, papa. Ca va aller pour moi. Je saurai me débrouiller dans cette vie, trouver ma place, éduquer mes enfants aussi bien que tu m’as élevé. Ala na musango. Je t’aime.

Au-delà de la mort, mon père serra ma main à deux brèves reprises, rapprochées.

L’ Amour au-delà de la mort.

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Le cœur est l’organe qui s’arrête le premier.

Des années après la mort de mon père, j’ai cependant découvert qu’il y’avait un décalage entre le moment de la mort, et celui de la Mort. Cet ultime moment où toutes les fonctions vitales stoppent définitivement toute activité et où le défunt entre dans le repos éternel. Ce moment où il n’a plus, n’aura plus jamais l’apparence des vivants. Il est curieux de constater que de nombreuses croyances spirituelles, avant même la médecine moderne, évoquaient depuis des millénaires, cet « entre-deux ».

Après le cœur, la respiration et la circulation sanguine, les cellules du corps interrompent leurs activités. Les organes, foie, pancréas, rein, tirent l’un après l’autre leur révérence. S’installe alors au bout de deux heures, la rigidité cadavérique figeant à jamais la mâchoire, la nuque, les paupières du défunt, dans une expression qu’on ne lui a jamais connu.

Je suis restée assise près de mon père, qui avait l’air de dormir paisiblement, tout le long de ce processus. L’équipe médicale avait accepté que la famille proche vienne lui faire ses adieux, avant de le descendre à la morgue. Je suis restée près de lui, en m’extasiant sur son profil altier, son nez à la fois large et aquilin, lèvres fines, peau cuivrée, paisible. Egal à lui même. La tristesse m’avait complétement déserté : je trouvais miraculeux d’avoir été la fille aimée d’un homme de cette qualité, élégant jusque dans la mort. Sa voix me manquait déjà, mais résonnait en moi, chacun, même le plus infime, de ses enseignements. Chacune de ses paroles.

Comme ce jour où je l’avais conduit, en empruntant le fauteuil roulant de ma grand-mère qui nous avait quitté 6 mois plus tôt, au parc. Je voulais qu’il profite du soleil, sans se soucier du regard des gens qu’il fuyait.

Nous eûmes en famille une parfaite balade ensoleillée autour du lac…qui fût malheureusement gâchée par les rires gras de deux individus, que j’ai vertement réprimandé pour leur conduite indécente devant une personne manifestement malade. Ils s’excusèrent aussitôt. Mais mon père inquiet, se mit lui aussi m’enguirlander comme si j’avais cinq ans, pour mon manque de prudence. Au-delà de l’inquiétude, il me prodigua de précieux conseils qui m’apaisent, encore aujourd’hui, à chaque fois que je sens poindre la colère. Je crois que même enfant, il ne m’avait jamais engueulé aussi longtemps : il savait qu’il ne serait plus là pour me protéger. Puis, exactement comme lorsque j’étais gosse et que je le suivais penaude face à sa deception, il me dit : « Allez viens, je te paye une glace ». Je lui répondis que j’avais….genre 36 ans, quoi !

- Et on est dispensé de savourer une glace, en compagnie de son père, à 36 ans ?

Je savais que je n’aurai jamais la précision ciselée du langage de mon père. Je ne parvenais même pas à mettre de mot concis sur le dernier moment que nous passions, lui allongé, et moi assise à côté, consolant les proches venus le pleurer. Mais j’avais décidé d’essayer, comme il me l’avait appris.

Toute ma vie, j’essaierai, en sa mémoire.

Puis, à un moment précis, j’ai su que j’étais seule, et qu’il était parti. J’étais assise depuis près deux heures.

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