CHUTE ENTROPIQUE
CHUTE ENTROPIQUE
Elle avait pourtant bien pris le temps de s’informer sur le projet associatif de l’entreprise qui la reçevait en entretien, sur leurs réussites, leurs échecs qu’elle avait renommé « leurs succès ajournés », sur leur organigramme, leur culture d’entreprise et le parcours des recruteuses. Else et elles avaient en commun une foi messianique en l’économie solidaire et sa capacité de transformation sociétale: placer l’homme au cœur du projet économique.
Elle avait choisi sa tenue avec soin, décontractée mais pas trop. Surtout en fibres naturelles, régulant les pics soudains de transpiration et accès anarchique de sueur, face aux questions génantes ou épineuses. Mais qui au 21ème siècle posait encore des questions ineptes sur la composition familiale d’une candidate, ou pire sur ses 3 défauts: « Personnalité sociopathe- Parfois sujette à des pulsions de meurtres- Très (bonne) cachottière » Bienvenue dans l’entreprise Mme Dahmer.
Qui a jamais donné ses vrais défauts en entretien? La plupart des gens ne serait même pas en poste si on connaissait leurs véritables travers. La sphère professionnelle a cela de particulier qu’elle est supposée rester bien sagement à l’écart de la sphère privée. Même si 1 couple sur 3 se forme curieusement sur le lieu de travail. Else, pour qui la courtoisie n’impliquait pas de proximité excessive, une relation amoureuse, ou même amicale, au boulot était inconçevable.
Elle ne saisit cependant jamais très bien à quel moment la bascule entre « Bonjour Else, vous allez bien » et « Cas psy, trav, t’as rien à faire ici » avait pu avoir lieu. Ni même pourquoi.
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Son index doigt tapotait nerveusement la souris, tandis que son regard balayait l’écran à la recherche de la moindre faute. Son mail pour la RH était rédigé depuis l’ avant-veille, mais elle hésitait encore à l’envoyer. Devait-elle vraiment envoyer ce mail de signalement, lançant une procédure irréversible d’enquête suivie de mesures disciplinaires, alors que son cas de harcèlement relevait peut-être simplement de la blague potache entre salariés, ou d’ une forme archaique de sadique bizutage, un rite d’attardés partageant le même neurone en wifi, qui refusaient de grandir?
Dans les films dont l’aspect procédurier occupait la moitié du scénario avec une impeccable bande-son, tout comme dans les cours de droit social dispensé à la fac par un prof sexy, le parcours judiciaire pour la défense de ses droits devant une juridiction comme celle des Prud’hommes, parraissait tellement plus simple et accessible:
Pas d’avocat qui se désiste. Pas d’avocat qui escroque. Pas de demande d’ Aide juridictionnelle qui n’aboutit pas, en raison du mauvais acheminement systémique du courrier par la Poste. Des talons hauts noirs qui assurent une démarche chaloupée sans effort. Pas de réseau communautaire transverse chargé de vous pourrir. Pas de menaces sur la voie publique. Un rouge carmin découvrant des dents éclatantes. Pas de policiers refusant de prendre vos plaintes. Pas de juge qui classe vos dossiers dans les oubliettes de son chateau de paille, le TGI.
Sachant que la machine n’était qu’au tout début de son déraillement, et que les atteintes et exactions iraient de plus en plus loin, au point de rendre toute vie digne,complétement impossible. Un mentacide….pas tout à fait techniquement un francocide selon les critères de l’extrême droite car, bien que française, elle était noire, ce qui n’interessait même pas les médias distribués gratuitement aux abords du métro.
En faisant aller et venir la roulette de la souris aussi grosse qu’un rat sous stéroides, à la vaine recherche d’un conseil que le mail, prêt-à-l’ envoi, ne lui donnerait pas, elle n’imaginait même pas le tourbillon entropique dans lequel elle s’engouffrait, à vouloir se croire en état de droit! Une avalanche chaotique que rien ne pourrait plus arrêter:
Le blacklisting qui allait suivre, plus noir qu’un cachot de l’ancienne Bastille, le viol punitif, le harcélement tentaculaire délégué à une organisation communautaire aguerrie à cette pratique, la spoliation de l’ ensemble de ses droits, y compris son droits d’auteurs sur lequel de séculaires vendeurs d’esclaves s’étaient assis….Rien de tout ça, depuis le calme de son bureau parisien, n’aurait pû être sérieusement envisagé par une employée sobre et dénuée de toute imagination déplacée.
Si Else avait su à ce moment là qu’elle n’aurait pas pu compter sur le soutien du petit-ami qu’elle fréquentait depuis 5 ans, ni sur sa famille, sa fratrie ou ses prétendus amis, ou encore sur celui des institutions françaises, des syndics et assos, de la société-civile complétement dépourvue de contre-pouvoir, alors, elle aurait certainement rabattu l’ écran de son ordinateur portable, après avoir balancé le mail à destination de la RH, dans la corbeille digitale.
Oui, mais tout ceci, elle ne le savait pas à ce moment précis: Elle appuya donc sur l’icône en forme d’envellope et envoya le mail.
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Ils ne lui avaient même pas laissé le temps de vider son bureau, qu’ils avaient entassé dans un petit bout de couloir à l’occasion d’un de ses arrêts-maladie:
« Else, il faut venir prendre tes affaires aujourd’hui…Ca prendra qu’une dizaine de minutes: on a tout mis dans un carton. Et puis, au fait, pas la peine de venir la semaine prochaine, ni celle d’ après. Elles seront payées, mais c’est pas la peine de venir. »
Elle n’opposa même pas de résistance à cette micro-agression déguisée en faveur condescendante, et accepta passivement de venir débarrasser le bureau de son carton. Un air de déjà-vu. C’était en effet la deuxième fois que cette scène se répétait en moins d’un an.
Quelle probabilité il y avait-il pour qu’elle se fasse virer de la même façon dans deux boites différentes, suivant strictement le même schéma? Le même entretien d’embauche, le même accueil chaleureux, les mêmes « anomalies » avec les mêmes accroches, le même harcélement frontal, le même rejet après signalement de ce harcèlement, même enquête interne fantomatique, même procédure d’ éviction bien réelle, et surtout le même déni. Else ne savait pas encore , en ramassant ses affaires en échange de son badge et ses cléfs de bureau, qu’il s’agissait tout simplement d’un mode opératoire. Elle s’inquiétait davantage de ne croiser aucun de ses nouveaux « anciens » collègues , navrés pour certains, et soulagés voire moqueurs pour la plupart. L’élément perturbateur dont le seul tort était d’exister, allait définitivement disparaitre.
Else plongea ensuite dans une phase d’euphorie: plus de rames de métros surchargées, de levers matinaux, des plages horaires libres de tout engagement qui lui permettaient d’explorer la patisserie, la couture, le yoga et finaliser son mémoire de deuxièle année de Master d’une grande école, avec plus d’implication.
Cette période survoltée et énergique était souvent suivie de phase d’apathie et de prostration, face à l’impossibilitté dans laquelle elle se trouvait, d’accéder à la justice.
Sa compréhension de la résilience s’inscrivait dans la capacité de transformation de l’épreuve subie en force créatrice, et bien que femme, mère et hétéro, ou précisément parce que tout cela à la fois, elle s’engagea en faveur d’un plaidoyer militant contre les violences faites aux LGBT. Elle se rapprocha aussi, peut-être à tort là encore, d’une association de défenses des droits des afrodescendants où elle siégea quelque mois au Conseil d’Administration, mettant ainsi son temps libre à profit.
Cela lui permit surtout de comprendre les enjeux politiques inhérents à l’action associative, et l’isomorphisme institutionnelle auquel elle était confrontée. Les choses n’étaient jamais toutes blanches, ou toutes noires: plusieurs gradations de gris oscillaient entre compromis et compromissions. Et il était fort probable que l’information qu’elle avait relayé aux associations, en particulier la fédération noire, ait été instrumentalisée et échangée par le président alors en exercice, contre des avantages en nature, visant sa promotion personnelle.
L’implication de mafias communautaires sous-traitant son harcèlement coincidait avec le tout début de mandat de l’actuel président de la républiqu, qui avait été soutenu par le patron de son ancienne boite qu’elle n’avait jamais réussi à confronter aux prud’hommes. De lourds moyens avaient alors été alloués à sa surveillance et à son élimination sociale: il était difficile de ne pas y voir les effets d’une « main invisible ».
Mais cela coincidait surtout avec une forme de « neutralisation » par les acteurs de la société civile qui auraient du défendre ses interêts, et qui par cupidité, avaient plutôt négocié leurs avancements de carrière, en paralysant toute action communautaire en sa faveur. Voire même en impliquant d’autres organisations communautaires, plus puissantes, mieux organisées y compris au niveau européen, dans son harcélement.
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Else nota hativement sur une feuille libre, de son écriture ronde aux boucles serrées, sans la trier, ni la censurer, l'intuition qui l'animait:
Chronologie des faits
1ère anomalie: -Tentaive illégal d’internement impliquant ex-conjoint, famille, personnel médical corrompue
Nota.Bene: Mort suspecte de mo père en milieu hospitalier + Contamination volontaire lors de mon accouchement en milieu hospitalier.
Trois hopitaux différents impliqués dans des faits graves.
2éme anomalie: - Viol sous GHB, normalisé par l’entourage et autres groupes communautaires, comme si pas de droits humains…
Abus et atteintes allant de plus en plus loin avec de nombreuses atteintes à mon intégrité physique, et des choses inconcevables, inimaginables…
Je crains qu’ils ne reculent pas un jour devant le féminicide. Le meurtre de sang froid.
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