7 décembre

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─ Est-ce que c'en est un aussi ?

Drina demande, assise dans un des nombreux parcs de la ville. Dos à un chêne centenaire, elle est Hedda profitent des derniers rayons d'un soleil sur la descente. Depuis leur nouvelle entente, Drina est capable d'appeler Hedda dès qu'elle ferme les yeux et se représente son visage assez fort pour qu'ils se matérialise dans sa réalité. Comme cet après-midi ensoleillé, où l'artiste se trouve être seule, un gobelet de café vide et un kanelbullar bien entamé, à son côté. De plus en plus, Hedda la fait entrer dans son monde. Drina a eu la chance inestimable de pouvoir admirer son instrument de travail de plus près, sous toutes les coutures, et désormais, en restant dans son champ d'action, Drina perçoit les personnes qui sont passées de l'autre côté. Hedda lui a expliqué que tous les vivants qui connaissaient cette expérience, les discernaient de façon différente, de la même manière que chaque personne se représente les couleurs selon la sensibilité de leurs rétines. Pour Drina, les morts lui apparaissent comme des masses informes, à la manière de nuages terrestres, de masses de poussières, dont les reflets solaires les parent de nombreuses couleurs, comme les différentes teintes d'une palette de paillettes.

Avec la présence rassurante d'Hedda qui l'accompagne, les âmes qui sont restées dans leur monde n'osent pas s'approcher trop près. A la suite de sa question, Hedda hoche doucement la tête, attendri par l'émerveillement de la jeune femme. Morceau par morceau, lentement, Hedda se complaît à pouvoir faire découvrir tous les aspects du royaume insoupçonné qu'elle parcourt. Elle n'avait pas réalisé que toute cette magie est incroyable pour les vivants. Cela fait si longtemps qu'elle y vit, qu'elle ne pensait pas qu'il possédait tant d'aspects incroyables.

─ Pourquoi est-ce qu'ils sont toujours là ?

La sculptrice l'assaille de questions comme une enfant, et plus Drina engrange de la connaissance, plus Hedda peut sentir le lien qui les unie se renforcer. L'ombre s'adosse au tronc de l'arbre, les mains jointes sur ses cuisses.

─ Soit parce que quelque chose ou quelqu'un les y retient, soit parce qu'ils ont fait le choix de voir le monde évoluer sans eux.

Drina hoche doucement la tête. Depuis qu'elles se côtoient de façon plus prolongée et répétée, leurs regards restent longuement cimentés l'un à l'autre. Depuis le presque baiser qu'elles n'ont pas échangé dans l'atelier, et dont elles n'ont pas reparlé non plus, une sorte d'attirance, de gravitation les habite de plus en plus, et répand sur elles une sérénité qu'elles n'avaient sans doute jamais connu auparavant. Hedda sait très bien que cet attachement, qu'importe où il aille et ce qu'il devienne, est forcément voué à l'échec, à la rupture. Dès le départ. Elles en ont toutes les deux conscience, mais préfèrent néanmoins chasser cette pensée de leurs esprits. Drina observe la Mort dans les yeux d'Hedda, et cette dernière retrouve des monceaux de vie à travers Drina. Un échange de bons compromis qui n'a pourtant aucun avenir.

Lorsque les amis de Drina viennent la rejoindre, une fois leurs cours terminés, celle-ci affiche une mine désolée envers Hedda, qui s'est déjà redressée, prête à partir. Elle ne lui a pas encore assuré que cela ne la dérangeait en rien qu'elle reste auprès d'elle même en la présence de ses autres regards qui ne peuvent pas la percevoir. Mais lorsque Drina tend la main pour attraper son poignet, Drina n'intercepte que du vide, puisque l'ombre s'est déjà évaporée dans la nature. Sans pouvoir le retenir, Drina a le visage gris, triste de devoir la contraindre à la quitter de cette manière, à chaque fois. Le groupe d'artistes se dirige alors vers un bar, déjà bien occupé. Evidemment, Säde s'assoit à son côté, et ose même déposer une main sur sa cuisse, par-dessous la table où ils sont installés. Drina se mordille la lèvre sans la repousser pour autant, les yeux bas. Elle n'a pas encore eu le courage de lui dire les choses. Elle sait très bien qu'elle lui a envoyé des signaux diamétralement opposés, et qui lui font sans doute croire que bien plus est possible entre elles. Mais Drina se sent déjà vidée de ses forces d'avoir provoqué sa chance pour invoquer Hedda, pour ensuite lui demander pardon. Elle ne se sent pas encore de devoir décevoir, encore une fois, et repousser Säde. Alors, pour ce soir, elle laisse faire, et agit comme si elle n'en était ni gênée, ni mal à l'aise.

─ On sent que les partiels approchent.

Säde raille en visant le visage de Kåre, souligné de cernes épaisses. Le menton dans une main, celui-ci relève la tête vers elle, par-dessus sa bière déjà bien entamée.

─ M'en parle pas, les répétitions se terminent à pas d'heure.

─ T'as voulu un rôle principal, aussi.

Viljami en rajoute, rieur, en passant le bras autour des épaules de Linn qui s'applique à déposer une paire de baguettes devant chacun, étant donné qu'ils ont opté pour un restaurant asiatique ce soir.

─ Nous au moins, on a déjà passé nos exams.

Pia annonce, triomphale, les mains derrière la nuque, tandis qu'Elvii' se tient collée à elle, un petit sourire aux lèvres.

─ J'entends pas beaucoup de fierté pour ceux qui travaillent dur.

Drina glousse en entendant la remarque à demi vexée d'Anker.

─ Celle qui est le moins dépassée, c'est toi Olek.

Drina fait mine de lui balancer ses couverts dessus en entendant le surnom qu'il utilise toujours avec elle, ce qui fait également rire Säde.

─ T'es pas mal non plus. Elvii' aussi avance bien.

Drina souligne, tandis que tous les regards se tournent doucement vers elle. Celle-ci hausse simplement les épaules.

─ J'ai fait le choix de reprendre un de mes anciens tableaux, j'ai pas vraiment de mérite.

─ Le tableau fait tout le mur, entre parenthèses.

Drina en rajoute pour la soutenir et expliquer aux autres qu'elle se donne pour ce projet, même si elle essaie de le cacher, et de feindre le peu de son investissement. Pia, gonflée de fierté, la serre un peu plus fort contre elle, et embrasse sa joue. Comme inspirée, Säde, à l'abri des regards, remonte un peu plus sa main le long de sa cuisse, et Drina se raidit. Tendue, elle saisit son poignet pour la stopper dans son geste. D'un simple regard entre elles, elle lui fait comprendre d'arrêter ce petit manège tout de suite. Contrainte, Säde obéit, et feint d'aller fumer une cigarette en compagnie de Vilj', Pia et Anker. Ceux qui restent à la table reprennent la conversation.

─ Je te l'ai pas encore dit, mais je crois que ta sculpture actuelle est la plus aboutie que t'es faite jusqu'ici.

Les joues de Drina se colorent doucement de gêne en entendant le compliment de Kåre.

─ C'est gentil de le penser.

Drina répond d'un ton léger, quand, à l'intérieur, en son for intérieur, elle se dit que c'est une bonne chose qu'il l'apprécie, puisque cela sera sa dernière. Mauvais frisson contre son dos, Drina termine son verre et en commande bientôt un nouveau.

Lorsqu'ils sortent tous ensemble du restaurant, tout le monde est assez alcoolisé pour avoir le cœur léger, mais pas au point de divaguer dans la rue en hurlant. Tous les couples se forment. Vilj' attrape doucement la main de Linn, Pia entoure la taille d'Elvii' d'un bras et Anker glisse un bras tout contre les épaules de Bryn. Seules Drina et Säde ne se touchent pas. Elles marchent côte à côte, en fin de peloton, mais ne se regardent pas plus. Ceux qui n'habitent pas dans leur résidence prennent le bus, les autres se font héberger. Et lorsque toutes les portes se ferment et qu'il ne reste qu'elles deux dans le couloir. Drina va pour ouvrir sa porte, mais est bien vite rattrapée par la présence écrasante de Säde. Celle-ci attrape son poignet pour que Drina lui se tourne face à elle. Son dos se plaque contre la porte close et Säde se rapproche dangereusement. Son corps pressé contre le sien, leurs lèvres s'effleurent, mais Drina s'en détourne. Interloquée, Säde fronce les sourcils, mais ne la lâche pas pour autant.

─ Qu'est-ce qui se passe ? Je croyais que c'était ce que tu voulais.

─ J'ai fait une bêtise, j'aurais jamais dû te laisser croire qu'on était plus.

─ On couche ensemble, c'est tout.

─ Säde, me prend pas pour une idiote. Je sais très bien que t’espères plus.

Pas de réponse. Même si Drina a les yeux au sol, elle sait très bien qu'elle vient de la blesser de nouveau. Un large coup de couteau dans sa poitrine, et Drina enfonce encore un peu plus la lame, elle déchire la chair. La pression de Säde contre son poignet se détend et elle la lâche. Elle se recule d'elle.

─ Je suis désolée.

─ Tu sais quoi ? Ne dis rien. Tu sais pas ce que tu veux, Drina.

Drina ne peut pas se permettre de lui répondre, parce qu'elle sait très bien que Säde a raison. Sans en dire plus, elle tourne les talons et s'avance jusqu'à sa porte. Drina l'imite, à distance, mais avant qu'elle n'ait pu entrer, Säde lui lance des dernières paroles.

─ Je te souhaite pas de finir toute seule, mais essaie d'abord de travailler sur toi avant de faire entrer quelqu'un.

La porte claque et ces mots résonnent douloureusement en Drina.

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