12 décembre

12 minutes de lecture

Elles ne devraient ni se connaître ni se côtoyer, leurs existences et leurs mondes n'ont pas été prévus en ce sens. Pourtant, Drina et Hedda développent des habitudes communes, comme si elles habitaient sur le même Plan. Elles ont trouvé un rythme de jours qui leur convient, et qui leur permet de se rapprocher encore un peu plus. Hedda disparaît de moins en moins sur des coups de tête, et Drina apprend à ne pas la provoquer, à ne pas la harceler de questions.

Leur emploi du temps est relativement simple. Au matin, Drina se lève pour suivre ses cours théoriques, et passer à l'atelier pour continuer son rendu artistique, qui avance bien, étant donné que la date fatidique de l'examen approche. Ce qui n'est pas forcément le cas de Viljami, Anker, Elviira ou Säde. Et, comme elle peut se le permettre, Drina prend le temps de les aider, de les conseiller, et c'est également une façon de tenter de se faire pardonner par la dernière artiste. Elle sait que ces moyens sont pauvres, mais elle voit aussi que cela touche Säde, qu'elle lui donne plus facilement son sourire, désormais. La présence de Kåre à son côté, doit aider pour beaucoup.

Après avoir répondu à ses obligations étudiantes, Drina retrouve Hedda, en milieu d'après-midi. Après une séance de méditation qui doit l'aider à renforcer la protection de son âme, les deux femmes se laissent bien souvent tenter par un café et une pâtisserie. Si Drina est seule à sa table, Hedda lui a appris à discuter avec elle via leurs pensées. Et même si cela a été d'abord surprenant au début, presque gênant, Drina est heureuse de pouvoir le faire parce que, désormais, elle peut emmener Hedda partout avec elle. Elles se découvrent, et ces instants simples sont délicieux. Surtout lorsque, quand Drina n'est pas de sortie avec ses amis, Hedda l'accompagne jusque dans sa chambre. Elle s'allonge de façon légère à son côté, dans le lit, sans froisser les draps ni faire de creux dans le matelas, et lui caresse les cheveux jusqu'à ce qu'elle s'endorme, avec une douceur, et à la fois, une mélancolie infinies.

Hedda a renforcé ses barrières tout autour de l'appartement de l'étudiante, comme dans sa vie. Lorsqu'elle n'est pas à ses côtés, elle se débat avec des calamités qui cherchent à leur nuire. Ces arrangements de leurs vies fonctionnent bien. Elles ont le temps pour tout, mais surtout pour l'autre. Drina lui fait découvrir tout un tas de nouvelles choses, et la laisse même, l'observer sculpter par-dessus son épaule, alors qu'elle déteste que ses amis le fassent.

Hedda ne peut pas nier l'attraction. Elle ne se cache plus ce flottement qu'elle ressent lorsqu'elle aperçoit Drina, sortant de la faculté, toute sourire. Elle ne contrôle pas plus les vibrations qui résonnent dans ses membres et font trembler ses mains, à vouloir attraper celles de l'étudiante. Si elle avait un cœur, il rebondirait en tous sens. Si elle avait du sang, il chaufferait jusqu'à ses joues. Mais, justement, Hedda n'est plus assez humaine pour pouvoir ressentir tout ça. Elle ne devrait pas en être capable. Pourtant, chaque nouveau jour passé à son côté, elle se rapproche un peu plus d'un faux pas. Elle sait que Drina ressent probablement la même chose, en miroir. Mais tout ça n'est qu'illusion. Hedda flamboie dans les yeux de la jeune humaine, justement parce qu'elle ne l'est pas. Alors, Hedda se contient. Elle regarde les jours défiler, parce qu'ils se rapprochent de cette dernière date. Celle qui les libérera, ensemble.

Mais ce n'est pas du tout ce qui se joue du côté de Drina, bien au contraire. Elle voit bien qu'Hedda est tiraillée à chaque lever et coucher de soleil. Elle sait que les gestes qu'elle lui porte sont retenus. Et parce que c'est dans le caractère de Drina, elle cherche à la provoquer. Elle se tient près d'elle. Elle fait s'effleurer les revers de leurs paumes, leurs épaules. Le soir, elle enfile des pyjamas qui laissent entrevoir sa peau, dans la longueur, alors qu'il neige au-dehors. Elle plonge, de longues minutes durant, son regard dans le sien, à la table d'un café, parce qu'elle est toujours la première à le baisser.

Drina ne perd pas espoir. Elle est persuadée qu'Hedda ne pourra pas tenir la distance. Il y aura ce moment suspendu dans le temps, presque sacré. Si elle s'invente des scénarios, la tête sur l'oreiller, Drina sait qu'elle devra également provoquer sa chance. Elle devra tendre la main, pour saisir ce qu'elle désire.

Et elle se sent de provoquer sa chance ce soir. Leur groupe a décidé de manger au restaurant avant de se rendre dans une boite de nuit. Evidemment, aussi proches de leurs dates de rendus, ce n'est pas ce qu'ils devraient faire, mais ils savent également qu'il s'agit de leurs dernières soirées ensemble avant que certains ne prennent l'avion pour rejoindre leurs familles pour les fêtes de fin d'année. Séparés pendant une dizaine de jours, ils se doivent de profiter jusqu'au bout. Et ils ont tous un attrait plus fort pour ce qu'ils ne devraient pas faire, de toute façon.

A la table du restaurant italien, les neuf étudiants se répandent à une table, et commencent à discuter. Linn a la main sur la cuisse de Vil'. Elvii' dépose un bras à l'arrière de la banquette où ils sont installés, tout près de Pia. Anker porte un regard amoureux à Bryn', le menton dans une main. Quant à Säde, elle a tenu à s'asseoir à côté de Kåre, et quelque chose a dû changer entre eux, puisqu'auparavant, cette proximité n'aurait pas été. Ils ont des regards l'un pour l'autre, mais n'ont pas encore passé la barrière du contact. Säde veut sans doute prendre son temps, et Kåre lui laisse tout ce dont elle a besoin. Seule reste Drina, les joues déjà rosies par les nombreuses bières qu'ils ont bu avec le repas, un large sourire au visage, parce qu'elle sait que même si elle est seule à ce moment, quand elle passera la porte de sa chambre, ça ne sera plus le cas.

─ Ma mère va encore préparer trop de plats, alors que tout le monde emmène les siens.

Pia se plaint en roulant des yeux. Naturellement, ils ont dérivé sur le sujet de leurs départs. Ils y pensent tous. Ils travaillent d'arrache-pied pour pouvoir faire leurs valises, l'esprit plus léger.

─ Mon père et mon papy ont loué une cabane dans le Nord, en pleine forêt, sans eau courante.

─ Tu vas nous revenir mi homme mi bête.

Les rires montent après l'annonce d'Anker, suivie de la remarque de Säde. L'ambiance est chaleureuse, mais tout vire quelque peu lorsque les regards se tournent vers Drina. A part Säde, personne n'est au courant de sa situation familiale. Alors, lorsqu'on lui demande ce qu'elle a prévu, Drina hausse simplement les épaules en terminant un nouveau verre, qui lui inspire un mensonge.

─ Je reste ici, on n'a jamais vraiment fêté Noël, dans ma famille.

Evidemment, c'est entièrement faux. Il y a plusieurs raisons à ce que Drina ne parte pas rejoindre son père. D'abord parce que toutes les préparations venaient de sa mère, et que depuis qu'elle n'est plus là, la fête a comme été annulée de façon permanente. Evidemment, Erik et son mari, Thom, lui ont envoyé des messages, pour savoir s'ils devaient la compter à leur table, qui lui était grande ouverte. Mais elle a refusé. Théo et Hugo en ont fait de même. Mais elle a refusé. Tout comme Cam et son conjoint Florian. Mais elle a refusé. Le plus difficile a sans douté été d'avoir Cassie au téléphone, pour l'informer de ses non-projets, alors que le deuil l'a frappé une deuxième fois, avec son amie d'enfance, après l'amour de sa vie. Une conversation qui l'a fait hésiter. Rien que pour Acacia, et le souvenir d'Aline, sa mère, elle aurait pu céder. Et puis, elle s'est rappelé que si elle remettait les pieds dans sa ville natale, il lui faudrait vivre avec son père, et elle ne se sentait pas capable de le faire, ni de le supporter.

Mais à bien y réfléchir, Drina sait déjà qu'elle ne sera bientôt plus de ce monde. Est-ce qu'un tel choc propulsera Vadim à sa suite ? Rien que d'y penser, elle en a ressenti une gigantesque culpabilité, et a commencer à lui rédiger une lettre. Un aveux. Une excuse. Un pardon. Un long monologue pour lui demander de changer, de se reprendre, de s'ouvrir. Elle ne sait pas si cela aurait les effets escomptés, qu'elle cherche à provoquer chez lui. Mais elle aimerait simplement être capable de soulager ses maux, d'apaiser ses douleurs, et de calmer ses angoisses. Parce qu'elle reste sa fille, mais qu'elle n'a aucune peur de mourir.

Mais c'est également sans compter le fait que ces vacances, lui permettront également de passer des journées entières auprès d'Hedda. Sans impératif, sans examen, sans ami. Drina ne rejette pas complètement tous ces éléments qui font sa vie. Mais, étant donné qu'elle voit, elle aussi, la date se rapprocher furieusement, elle aimerait avoir cette pause avant qu'Hedda ne l'emmène, sans qu'elle ne puisse revenir.

Säde se racle la gorge, et c'est ce qui fait recoller Drina à la réalité. La jeune femme la question des yeux, en silence, face à elle. Elle cherche à savoir si tout va bien de son côté, étant la seule dans la confidence, et Drina lui répond d'un franc sourire. Peut-être un peu trop. Elle est touchée que, malgré leurs déboires, Säde reste une amie sincère, inquiète, pour qui Drina porte encore une certaine affection. Tout n'est pas à jeter dans leur relation.

Tous se lèvent pour aller payer leur part de l'addition, et dehors, commence le grand bal des cigarettes et des briquets. Drina se laisse tenter, simplement. Elle tient sur ses jambes et marche droit, mais elle se sent déjà plus légère que lorsqu'ils sont partis.

Drina, Viljami et Linn ouvrent la marche, dans les rues d'une ville plongée dans le noir, mais allumée et animée dans tous ses recoins. Ils sont suivis par Elviira, Bryn, Pia et Anker, qui sont en plein débat pour savoir quelle chanson ils se doivent absolument de demander au DJ quand ils seront dans le club. A l'arrière, Säde et Kåre ferment la marche, main dans la main.



La musique est assourdissante. Elle bat contre les murs et résonne dans le sol, jusque dans leurs pieds, directement au cœur. Ils s'amusent. Ils rient. Ils boivent. Ils dansent. Ils se prennent dans les bras et s'embrassent sur les joues. C'est un de ces soirs qui possède une certaine mélancolie, alors que personne n'est encore parti. Alors que personne n'est libéré de ses devoirs étudiants.

Drina a eu une bonne descente au restaurant, et continue sur sa lancée. Elle fait des allers retours entre le bars et les canapés où ils s'installent pour récupérer de leurs sessions de danse. Drina croise des visages inconnus, et d'autres qu'elle a déjà croisés. Elle accepte des danses pour en rire, pour s'amuser. Mais elle ne se laisse charmer par personne. Son cœur et ses pensées ne sont plus à prendre. Elle tremble déjà de rentrer et de retrouver Hedda. Mais ce n'est pas pour autant qu'elle demande à rentrer tôt, bien au contraire. Drina aime bien trop cette ambiance extraordinaire, cette espèce d'élévation. Ce monde euphorique où tout est possible, invincible, et où rien de mal ne peut arriver. Elle est comme protégée ici, auprès de ses amis.

Arrive un moment où Drina feint d'aller fumer dehors pour prendre l'air. Elle renfile son manteau, et dans son dos, Säde l'imite. Elles se retrouvent à l'extérieur, et se sourient comme deux idiotes. Crépitements de pierres de briquets et souffles épais, jusqu'au ciel. Pendant les premières minutes, elles ne se disent rien, c'est Säde qui se lance, parce qu'elle a la sensation que Drina ne veut pas la brusquer. Et c'est le cas.

─ Je te trouve incroyable ce soir.

Drina pense d'abord qu'elle vise sa tenue, en lui offrant ce compliment. En effet, Drina a fait le choix d'une robe sombre, ouverte dans le dos, et fendue sur l'une de ses cuisses. Mais lorsqu'elle tombe sur le regard de Säde, bien dans le sien, elle comprend qu'elle fait allusion à son attitude. Alors, Drina hausse les épaules, simplement, en soufflant sa fumée.

─ Tu m'as demandé de bosser sur moi, tu te rappelles ?

Drina fanfaronne parce que d'un point de vue extérieur, de vivants, oui, elle travaille seule sur son propre bien-être. Evidemment, elle ne peut pas lui avouer que tout ça est lié au fait qu'elle côtoie une faucheuse. Sa faucheuse. Même avec l'alcool, Säde n'y croirait pas. Alors, elle lui laisse croire qu'elle a parfaitement entendu et écouté ses conseils. Ce qui n'est pas complètement éloigné de la réalité non plus.

─ Ça te va très bien.

─ Merci. Ton traitement de Kåre a l'air de bien se passer aussi.

Säde rougit furieusement, ce qui déclenche un rire clair, sincère, chez Drina. Les deux femmes se sourient, les lumières de guirlandes multicolores leur glissent sur la peau. Même si elles ont, toutes les deux, fini leurs cigarettes, elles ne rentrent pas. Elles ont besoin de ce moment, toutes les deux. Comme une réconciliation après leur guerre-froide. Parce qu'avant d'être amantes, elles sont avant tout amies.

─ J'ai enfin compris ce que tu me disais.

─ J'ai dit tellement de choses, et pas que des bien. Un petit aiguillage ?

Säde lui sourit pleinement, tandis qu'elle lui explique qu'avant ses remarques, elle ne comprenait pas que son bien-être puisse passer avant. Drina lui avait donné des clefs, mais elle ne l'avait jamais vraiment expérimenté. Auprès de toutes les personnes avec qui elle a eu des relations, elle se sacrifiait. Elle faisait en sorte d'être celle à céder, à tomber le genou, pour satisfaire l'autre. Ce n'est plus le cas. Désormais, avec Kåre, tout le monde est à voix égale. Drina est alors gonflée de fierté, elle pourrait presque avoir les yeux humides.

─ Contente d'avoir pu aider.

Elles rient de nouveau, les épaules bien plus légères. Säde glisse les mains dans ses poches, et Drina porte les yeux au ciel.

─ Et toi, qu'est-ce que tu comptes faire ?

Drina comprend très bien que Säde lui demande si elle a quelqu'un dans sa vie, ou des vues sur une personne. Elle ne lui avouera rien. A ce moment, tout ce qui la frappe, c'est qu'elle se sent vivante, électrisée, et que bientôt, elle mourra. Elle n'a pas peur. Elle n'est pas triste. Elle ne regrette rien. Et le fait que tout s'arrête ne lui donne même pas une fine impression d'injustice. Elle sait simplement qu'elle sera heureuse de passer ces derniers moments auprès d'Hedda, et qu'il s'agit là des fondements majeurs de ses sentiments forts pour elle.

─ Pas besoin de chercher, quand on sait où on va.

La réponse est cryptique, mais Säde n'a pas le temps de lui demander de plus amples explications, puisque Drina a déjà tourné les talons et entre de nouveau dans la boîte.



Le retour à leurs appartements se fait dans des chants faux de musiques qu'ils ont entendu ce soir. Ils rient beaucoup et ne passent pas inaperçus dans les rues. On danse. On crie. On se prend dans les bras. Ils pourraient fêter la fin du monde que Drina n'en serait pas étonnée. Lorsque tout le monde est raccompagné, et en sécurité, Drina passe enfin la porte de son appartement, et pousse un long soupir, appuyée contre la porte. Même si elle l'a feint, l'alcool s'est déjà dissipée de son système. Elle retire ses chaussures qui lui font mal au pied, et retire ses collants. Dans la salle de bain, elle rassemble ses cheveux et se démaquille. Elle se débarrasse bientôt de la sueur répandue sur sa peau. La porte est ouverte, et Drina frissonne rien que d'imaginer Hedda dans l'autre pièce. Quand elle en sort, une serviette tout autour d'elle. C'est effectivement le cas. La brune est assise sur son lit, le visage lisse, calme. Drina lui sourit, debout face à elle. Les palpitations de son cœur viennent de s'emballer de nouveau et jouent au ping pong dans son corps.

─ T'as passé une bonne soirée ?

─ Plutôt, oui.

La voix d'Hedda est si grave, rauque, qu'elle couvre la peau visible de Drina. Des frissons qui n'échappent pas à la faucheuse et la font sourire. Drina se mord la lèvre, parce que cette scène représente parfaitement l'instant suspendu qu'elle se représentait. Alors, elle se penche sur Hedda et glisse une paume contre sa joue, jusque dans sa nuque. Hedda ouvre alors des yeux ronds, une expression d'incompréhension lui glissant au visage.

─ Qu'est-ce que tu ..?

─ Laisse faire.

Drina chuchote, les yeux clos, avant de déposer ses lèvres sur les siennes avec une douceur immense. Hedda obéit. Elle répond à ce baiser qu'elles attendaient toutes les deux depuis très longtemps. Hedda passe une main dans ses cheveux détachés de nouveau. Drina dépose les doigts contre son épaule. Un gémissement en forme de soupir.

Quand elles se séparent, la serviette que portait Drina vient de tomber au sol.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Betty K. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0