15 décembre

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Il faut croire que la fermeté de Drina a été plus que convaincante, étant donné qu'elle ne trouve Hedda nulle part. Elle ne la rejoint pas dans la soirée, elles ne se croisent pas dans la ville, au détour d'un café, ou à la sortie de ses cours. Drina essaie de la convoquer, en vain, personne ne répond à son appel et leur ligne directe semble avoir été coupée. Drina est quelque peu touchée par le fait qu'Hedda lui laisse son espace, une distance nécessaire à la réflexion, mais aussi une absence pour que son cœur se serre moins de son manque. Mais, maintenant qu'elle a besoin d'elle, qu'elle doit lui parler, la Faucheuse se fait très discrète voire même invisible.

Elle se sent idiote et désolée d'avoir eu des paroles aussi violentes, et de l'avoir repoussé avec une fermeté aussi dure et froide. Drina n'était tout simplement pas prête à entendre que les rebondissements inattendus de son cœur n'étaient en fait, qu'une feinte. Mais désormais, elle a le moyen de prouver son hypothèse. Théorie gribouillée contre un tableau noir, elle se doit de réunir tous les éléments nécessaires afin de pouvoir la mettre en pratique.

Les pieds douloureux, Drina s'arrête dans le parc où elles ont déjà partagé plusieurs soirées. Elle a parcouru la ville de long en large à sa recherche, mais aucune trace d'Hedda. Alors, assise sur un banc, Drina commence à se demander si elle ne se trouve pas de l'Autre Côté, et donc inaccessible, invisible à elle. Un long soupir, tandis que l'étudiante se frotte les yeux. Hedda lui a parlé des dizaines et des dizaines de fois de cet endroit. Elle lui en a raconté les histoires et les mythes, mais ne lui a jamais dit s'il lui était possible de s'y rendre, mais surtout d'en revenir. Elle s'est bien gardée de lui expliquer comment elle pouvait la retrouver là-bas.

La tête dans les mains, la blonde cherche une porte de sortie, un moyen de la rappeler à elle quand toutes communications sont coupées. Avant qu'elle ne l'obtienne, Drina n'avait trouvé que la provocation. Elle se penchait un peu plus près de sa mort personnelle pour pouvoir l'invoquer plus vite. Mais étant donné le nombre moyen de calamités qui continuent de lui tourner autour, et de la scruter comme bêtes affamées, Drina se dit que ce n'est peut-être pas la meilleure idée, et que cela sera peut-être plus dangereux qu'elle ne le pense. Alors, elle continue de chercher, en silence. Elle se balance d'avant en arrière pour se bercer, et revoit une scène qu'elle a partagé avec Aline, sa mère.

Ils habitaient encore dans leur maison de bord de mer. Son père était au travail, et Aline avait pris sa journée pour pouvoir s'occuper de sa fille. Cassie était venue les voir, des dossiers plein les bras. Leur entreprise de traiteur fonctionnait bien, mais Drina avait aussi compris que sa mère commençait à s'en lasser. Aline a toujours été cette enfant sauvage, qui avait du mal à se fixer, et était toujours à la recherche de nouveaux horizons, de nouvelles choses à découvrir et vivre. Alors, de se retrouver au bras d'un homme à la situation stable, avec une enfant à charge et des responsabilités professionnelles ; tout ne collait pas avec ses désirs, et ses envies. Et même si ALine essayait de les masquer le plus possible, Drina la trouvait souvent à la fenêtre de la cuisine, les yeux dans le vague, en se languissant du dehors, des espaces et de l'inconnu.

Puis, avec les beaux jours, la visite de ses amis se faisait plus rares, ils avaient du travail par-dessus la tête, pour autant, Aline était de plus en plus souvent à la maison. Et Aline se souvient de jouer dans la cabane que son père avait construite de ses mains, aidé d'Hugo, Théodore et Florian. Une petite structure en bois accolée au tronc de leur cerisier. Drina s'amusait déjà à sculpter en argile des formes, des animaux, des dérivés de vaisselle. Puis un toc toc contre la petite porte et sa mère qui la rejoint, toute sourire, mais également avec cette aura mélancolique qui a tout de suite rempli la petite pièce en hauteur. Drina n'a rien dit. Elle sourit simplement à sa mère, et la laisse se placer dans son dos, pour la tirer contre elle. Comme à son habitude, elle a posé le menton contre le sommet de son crâne et a senti ses cheveux à pleins poumons. A ce moment, Drina a bien senti qu'elle se transformait en éponge émotionnelle, et qu'elle se devait de rassurer sa mère, de calmer ses peurs irrationnelles mais qui prenaient également le pas sur son mental, et ses réactions.

─ Je n'ai pas envie de partir, mais l'extérieur m'appelle.

─ Tu es dehors, là.

Facilement, du haut de ses dix ans, Drina parvient à faire rire de façon mélodieuse sa maman, qui se trouve être chamboulée. Aline la serre encore un peu plus fort contre elle, tandis que Drina continue de modeler des formes, du creux de ses mains.

─ Tu as raison.

Drina essayait de ne pas y faire attention, mais elle entendait très bien la tristesse dans la voix de sa mère. Ce ton brisé, perdu. Aline l'a toujours plus ou moins été, mais elle est toujours parvenue à regrouper les morceaux. Mais s'ils ne se tenaient plus en un même ensemble, ils étaient au moins au même endroit. Le seul problème étant que plus Aline vieillissait, plus elle avait le sentiment que ces morceaux d'elle se perdaient dans la nature, se dispersaient, sans qu'elle ne puisse les rattraper ni même les retrouver.

─ Je t'ai déjà parlé de l'Askafroa ?

Sa curiosité piquée à vif, Drina lâche alors ses boules d'argile pour vivement se tourner vers sa mère, qui est toujours pleine d'histoires de folklore et de mythologie. Attentive, Aline prend le temps de passer une main dans les cheveux blonds de sa fille, avant de mieux l'installer contre elle.

─ C'est la femme du frêne. On dit que si l'on veut lui demander sa protection, il faut faire un sacrifice, mais elle est aussi malicieuse et dangereuse.

─ Tu en as déjà fait un ?

─ Evidemment ! Avant le lever du jour, j'arrose notre frêne pour qu'elle ne vienne pas t'attaquer toi ou papa.

─ Et est-ce que ça marche avec d'autres créatures ?

─ Bien-sûr. Il faut simplement connaître les mots.

─ Les mots ?

Drina revient à la réalité, dans la ville, et seule sur son banc. Elle relève un regard dur, mais déterminé. Elle pense avoir trouver la solution. Elle se souvient encore de l'incantation comme si elle avait été tatouée dans sa peau, et se lève déjà, la tête levée afin de reconnaître les feuilles qui s'apparentent à celles d'un frêne. Elle parcourt lentement le parc, et lorsqu'elle trouve enfin l'arbre qu'elle cherche, elle s'accroupit, et dépose les paumes dans la mousse et les feuilles afin de s'en imprégner. Là, elle ferme de nouveau les yeux, et inspire pour se concentrer. A voix basse, comme si elle marmonnait pour elle-même, elle récite des paroles qui lui reviennent après de nombreuses années, précieux, et qu'elle n'oubliera sans doute jamais.

Nu offrar jag, så gör du oss ingen skada.

Je t'offres aujourd'hui ce sacrifice pour que tu ne nous fasses aucun mal. Là, dans un creux sous la mousse, Drina vide une bouteille d'eau, pour qu'elle se répande jusqu'aux racines de l'arbre. Elle expire une nouvelle fois et rouvre très lentement les yeux, comme tout droit sortie d'un rêve, d'une transe. Elle se redresse doucement, parce qu'elle a une sensation de vertige. Et quand elle va pour s'écrouler, épuisée, c'est Hedda qui la rattrape par le coude, en silence, et un léger sourire amusé aux lèvres.

─ Je vois que tu en sais bien plus que ce que tu voulais bien me dire.



Epatée par ses qualités de croyances et d'invocations, Hedda qui vient tout juste de la retrouver, n'ose d'abord rien dire. Assises sur l'un des bancs du parc qui commence à se parer de nuit, elle laisse l'étudiante reprendre ses esprits, en sachant qu'elle recouvre ses forces, rien que d'être en présence de sa Faucheuse. Le contrat qui peut être scellé entre elles à quelque chose d'effrayant, mais n'est-il pas déjà en place ? Rien que de voir les réactions que son absence puis son retour provoquent chez l'artiste, Hedda se demande si une marque n'a pas déjà été déposée sur elle, imposée par les évènements, comme marquée au fer rouge.

Hedda saisit donc le poignet de Drina, sans rien dire, et la guide dans la ville pour qu'elles rejoignent l'appartement de la jeune femme. Amusée, mais surtout soulagée et fatiguée, Drina ne peut pas s'empêcher de rire lorsqu'elles se trouvent face à face, assises sur son lit, désormais. Hedda ne fait pas attention au fou rire nerveux qui monte chez la jeune femme. Elle la scrute des yeux. Elle cherche n'importe quel élément qui pourrait montrer qu'un pacte a déjà été accordé. Elle inspecte son cou, ses poignets, ses clavicules, mais est interrompue par Drina.

─ Tu voulais vraiment me voir nue, pour être revenue si vite ?

Mais la Faucheuse ne lui répond pas. Elle continue ses recherches, et en la faisant tourner dos à elle, elle trouve.

─ Bingo.

Là, logée dans le creux de sa nuque, au commencement de sa colonne, elle peut effleurer des doigts, un sceau déposé contre sa peau. C'est celui d'Hedda, mais il n'est pas très voyant. Il se loge sous les couches d'épiderme, et fait froncer les sourcils d'Hedda.

─ Je comprends pas.

─ Qu'est-ce que t'as trouvé ?

─ Tu es déjà marquée. Alors que je n'ai fait aucun rituel.

─ Et qu'est-ce que ça change ?

─ C'est comme si tu avais eu le choix de l'avoir, sans que je t'y oblige.

Quand elles se trouvent de nouveau face à face, Drina a un petit sourire conquérant qui vexerait presque Hedda. Elle fait la moue, et Drina glisse une main contre sa joue, tendre. La blonde plonge le regard dans le sien, et parle d'une voix douce.

─ C'est plutôt une bonne nouvelle, non ? Je suis protégée, et tu deviens pas un tyran.

La réflexion de Drina la fait sourire, elle se déride. Drina se penche et fait se coller leurs lèvres dans un baiser d'une lenteur et d'une douceur infinie. Elles expirent. Elles se détendent enfin. Hedda ne pensait pas ce cas de figure possible, mais d'un autre côté, il n'a jamais été acté qu'une telle relation entre âme et moissonneur soit possible aussi. Tout se déroule facilement entre elles, pour la première fois depuis des millénaires. Elles sont les premières, des pionnières, et pourront sans doute inspirer lorsqu'elles disparaîtront. Un soupir de soulagement. Elles s'allongent entre les couvertures. La tête de Drina de le creux de l'épaule d'Hedda, tandis que cette dernière lui caresse les cheveux, tranquille, rassurée.

─ Kåre m'a dit que tu l'avais ... Interpellé.

Drina roule des yeux, se serrant un peu plus contre elle, leurs jambes mélangées sous les draps. La main libre d'Hedda repose contre le plat de son dos, et bouge de haut en bas. Drina se fend d'un petit rire.

─ Ça me paraissait bizarre qu'il puisse te voir, alors que tu m'avais assuré que j'étais la seule à être une folle qui parle au vent.

Au tour d'Hedda de se mettre à rire, attendrie. Elle dépose un baiser contre son front et dans la chaleur que leurs deux corps produisent, même si l'un est immatériel, Drina se sent enfin rassurée et à sa place. Pour la première fois depuis quelques jours, elle ne doute pas, elle ne se dit pas qu'elle a fait le mauvais choix, ou qu'elle a été aveuglée par l'entièreté du nouveau monde que lui a montré Hedda.

Plus elles passent du temps ensemble, et plus Drina peut sentir la marque chauffée dans sa nuque. Elle se demande alors si elle va grossir et devenir plus nette, ou, au contraire, disparaître à mesure que les jours avancent, tout comme la date fatidique. Mais, pour le moment, elle repousse toutes ces pensées de trop, et se laisse aller à ce corps que son cerveau lui fait croire comme plein, et saisissable.

Les deux femmes regardent le soir, puis la nuit tombe lentement aux fenêtres. Si Drina prépare un repas sur sa petite plaque chauffante, à même le bureau, Hedda ne répond pas à ce besoin. Elle est quelque peu ébahi par tous les nouveaux films, les nouvelles séries qui continuent de voir le jour tandis qu'elle n'a plus aucun effet sur le Monde des Vivants. Drina lui parle de Culture, d'Art, de Musique. Elle lui décrit tout ce qui s'est passé, grossièrement, dans ce monde qu'elle a été forcé d'abandonner il y a de cela trois ans déjà.

Et puisque l'ambiance détendue et rassurante s'étend sur elles et le permet, Drina, assise à côté de sa Faucheuse, dos contre le mur, se sent de lui parler un peu plus d'Aline. Du moins, le sujet est amené, lorsque Hedda lui pose une question.

─ Comment tu connais cette incantation ?

─ Par ma mère. Elle croyait encore aux sacrifices, au fait que des êtres se cachent partout, dans la Nature. Elle n'a jamais cessé de voir des choses que d'autres ne rencontreront jamais.

─ Mais l'Askafroa vraiment ? C'est comme ça que tu me vois ?

─ C'est tout ce que j'ai trouvé !

Drina geint et cela fait rire Hedda, qui cherche à la taquiner. Et quand celle-ci la chatouille, Drina tombe allongée sous elle, et leurs lèvres se trouvent de nouveau durant un long baiser. Un baiser possessif, un baiser qui est soulagé de savoir qu'elles sont revenues dans la vie de l'autre. Un baiser qui sous-entend qu'elles se possèdent l'une l'autre, même si ce n'est plus le rôle de la marque. Un baiser d'Hedda qui veut faire comprendre à la blonde qu'elle la protégera, quoi qu'il arrive et jusqu'à la fin. Un baiser de Drina dans son cou, pour lui soutenir que ses sentiments sont sincères, et qu'elle lui suivra, partout, toujours, où bon lui semble.

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