24 décembre

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Leur dernière excursion les ont soulagé de manières différentes, mais les rendent également plus légères et ouvertes à leurs derniers moments. La violence et la furie qu'a vécu Hedda l'a rend bien moins anxieuse quant au compte-à-rebours qui arrive bientôt à son terme. Le calme et la sincérité qu'a pu observer Drina lui ont fait comprendre beaucoup de choses mais aussi faire la paix avec son propre passé, et se détacher de tous ceux qu'elle tenait pour compte dans la disparition de sa mère.

D'ailleurs, ce matin, Drina a, une fois de plus, utilisé ses nouvelles capacités extraordinaires, pour se rendre sur la tombe de sa mère. Son corps est désormais pour moitié en transparence, et elle a remarqué que personne ne peut plus la voir. Elle n'est plus assez présente dans son propre Monde pour que cela soit le cas. Elle a de plus en plus de mal à saisir les objets, et avoir un réel impact sur son monde. Mais elle laisse toutes ces choses l'approcher et prendre le contrôle de sa vie sans que cela ne l'effraie. C'est la suite logique des choses. Elle le sait. Elle s'y est préparée. Elle ne pensait pas que tout ça se ferait en étant accompagnée aussi longuement et sincèrement. La présence d'Hedda est si rassurante que Drina s'en sent privilégiée. Elle n'aurait jamais cru pouvoir se lier à une personne aussi fortement, fermement, mais également de façon commune et réciproque. Parfois, lorsqu'elle est dans ses pensées, elle est hallucinée par ce bond vertigineux dans sa vie, qui ne dure que depuis quelques semaines, qui forment presque un mois. Tout à changé depuis qu'Hedda est là. Sa vie sens dessus dessous et son cœur emmené avec.

Drina dépose un bouquet de pivoine sur la tombe d'Aline, et s'accroupit face à elle, les yeux clos. Dans le silence déposé sur le cimetière, elle formule un vœu, et souhaite à sa mère de trouver le repos, désormais. Elle ne viendra plus l'embêter, elle lui promet. Maintenant qu'elle a trouvé toutes ses réponses, elle peut la laisser tranquille. Dans une autre vie, elles se croiseront peut-être de nouveau.

Non loin d'elle, Hedda monte la garde tout en lui laissant toute l'intimité dont elle a besoin. Les calamités sont de plus en plus présentes, et collantes. Et, depuis qu'elle est éveillée, Drina a senti sa marque prendre encore un peu plus de poids, et s'étendre contre sa peau. Après un rapide coup d'œil dans le miroir de sa salle de bain, elle a vu que celle-ci s'étirait désormais jusqu'à ses omoplates. C'est un symbole complexe, entremêlé, qui forme une sorte de motif floral. Drina n'a pas pu s'empêcher d'avoir un petit sourire fier, en sachant qu'Hedda lui a confié ne jamais avoir vu un tel cas, et qu'elle ne savait pas que les marques entre Faucheurs et dernières âmes pouvaient prendre autant d'importance à mesure que leur lien se renforçait. Si elles ne se le disent peut-être pas, la marque est aussi là pour les rassurer toutes les deux quant aux sentiments forts, qu'elles se portent l'une à l'autre.

Après sa discussion silencieuse avec Aline, Drina se redresse et rejoint Hedda à la sortie du cimetière. Là, elle se saisit de sa main et la tire vers elle pour lui donner un baiser digne de ce nom. Fort. Possessif. Mais surtout empli de remerciements, de fierté et de reconnaissance. Surprise, Hedda ne la repousse pas, mais ses lèvres s'étirent en un large sourire satisfait, solaire même.

─ Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?

─ T'es là, c'est tout.

Et sans plus d'explications, les deux femmes sortent du lieu et se rendent, de nouveau, dans la ville de l'étudiante. Elles prennent le temps d'observer cette vie qui ne les voit plus. D'aller voir des lieux dont Drina rêvait. Etant donné la situation de l'âme de la blonde, elles peuvent se permettre ces fantaisies. Elles peuvent se rendre dans tous les endroits sur Terre, sans même être importunées du voyage. Mais, dans le fond de son cœur, Hedda sait très bien que la fin qu'imagine désormais Drina avec quiétude, n'est pas tout à fait correcte et vraie. Mais, pour le moment, inutile de lui révéler le précèdent pacte qu'elle a scellé avec le Conseil. Ils ont déjà été assez généreux pour l'accepter, mais également leur laisser ce temps additionnel.

Elles parcourent le site des ruines grecques à Athènes. Puis elles s'arrêtent longuement face à la Khazneh de Pétra. Elles sont ébahies par les structures millénaires dans le Yucatan. Elles arpentent les sites immenses de la vallée des rois en Egypte. Et prennent une pose dans les gradins du Colisée de Rome. Tout leur est possible et les limites n'existent plus.

En revanche, Drina remarque très bien qu'Hedda lui parle de moins en moins, au gré de leurs visites fantomatiques, et que son visage s'est fermé. Sans qu'elle ne le voit au début, Drina lève les yeux au ciel pour comprendre une ébauche de ce qui inquiète Hedda. Le ciel s'est couvert d'un épais manteau nuageux sombre et orageux. Le Conseil n'est peut-être tout simplement pas d'accord avec la direction qu'à pris leur Faucheuse, et tient à la mettre en garde. Mais plutôt que de l'angoisse, Drina croit déceler de la frustration et de la colère. Drina la sait prête à tout pour la protéger, et encore plus quand elles profitent au maximum de ces dernières heures. Elle ne semble plus supporter d'être conseillée, dirigée, mais surtout aux mains d'un Conseil avec lequel elle ne s'est probablement jamais entendu. Sonne l'heure de la rébellion et de son entrée dans l'histoire de l'Autre Côté.

Un premier roulement de tonnerre se fait entendre, et dans la paume d'Hedda se matérialise sa faux. Tout son corps se pare dans son long manteau d'ombres. Elle se redresse et Drina ne peut arrêter de la fixer des yeux. Mais elle n'a pas peur, en voyant Hedda aussi prête et déterminée, elle ne s'inquiète absolument pas de savoir ce qui va leur arriver. Elle lui fait une confiance aveugle, elle ne doute de rien. Aucune idée s'il s'agit des derniers effets de sa marque, mais elle ne scille pas, et se lève à son côté, elles font front. Rien ne peut les arrêter.

Au centre du Colisée, se matérialisent plusieurs calamités. Elles sont quelque peu différentes de celles qu'elles ont croisé dans les rues de la ville d'accueil de Drina, mais Hedda ne se démonte pas, et se jette dans la bataille.

Elle découpe, elle tranche, elle envoie valser de larges coups de pied rageurs. Hedda se transforme en guerrière d'une rage sourde et qu'on ne peut stopper. Elle ne se fatigue pas. Ne perd pas sa concentration. Les ennemis redoublent, et pourtant, ils ne font pas le poids. Elle les repousse. Elle les envoie directement en aller simple de l'Autre Côté.

En revanche, tout se corse, lorsque les calamités avancent jusqu'à Drina, et parvient à la chahuter, la projeter en bas des gradins. Aussi étonnant que cela puisse paraître, elle ne ressent aucune douleur. Ni du choc, ni des coups. Alors, elle se dit qu'il faut autant qu'elle profite de cette situation, et de ce corps qui a l'air bien plus puissant. Drina donne elle aussi des coups, et laisse libre cours à sa rage. Les deux femmes, par intermittence, trouvent le temps de se sourire, mais aussi de s'assurer que tout va bien pour elles, malgré la débâcle.

De nouvelles colonnes d'ennemis sont projetées jusqu'ici, et ils commencent à être en surnombre, que les deux femmes ne peuvent que se faire submerger. Mais avant que tout ne vire au noir, et qu'elles ne ferment les yeux, elles parviennent à attraper la main de l'autre, de serrer et de ne plus se lâcher.



Mais lorsque Drina parvient à rouvrir les yeux, malgré la douleur lancinante qu'elle ressent à la tête, aux tempes, la paume d'Hedda n'est plus dans la sienne. Autour d'elle, de l'obscurité, sans fond et infinie. Drina est incapable de savoir si elle se tient dans une pièce ou si on la projetée dans un trou sans limite, ressemblant à un ciel de nuit. Sous elle, le sol est pourtant matériel et rugueux. Elle se redresse, dans un grognement rèche, sa gorge obstruée et râpeuse. Une fois que ses yeux se sont accoutumés à la noirceur ambiante, elle peut distinguer une porte en fer, des barreaux. Son cœur se met à tambouriner quand elle comprend qu'elle se trouve dans un endroit qu'elle ne connaît pas, mais surtout qu'Hedda n'est plus présente pour étendre sa protection sur et autour d'elle. Drina serre les dents et parvient à se redresser, malgré cette sensation que son corps est mal froissé, courbaturé.

La jeune femme s'approche de la porte de sa prison, et lorsqu'elle penche la tête, elle découvre un couloir où de nombreuses autres cellules sont présentes. Eclairées par de faibles torches brûlantes, ce sont de véritables geôles. Elles ne sont pas toutes remplies, mais Drina peut très bien voir, d'où elle se tient, que des silhouettes en habitent certaines. Sans doute des âmes, comme elles. Les récalcitrants, ceux qui ont manipulé leur condition ou ont tourné au ridicule leurs propres Faucheuses. Ou qui refusent peut-être tout simplement de disparaître.

Alerte, Drina écoute les moindres bruits. Elle entend des pleurs, des injures frustrées ou tout simplement le silence assourdissant, rompu par de nouveaux bruits de métal. Leurs fers. A bien y regarder, Drina porte les mêmes, aux poignets, aux pieds, et même à la gorge. Encore groguie de son arrivée, elle n'avait pas ressenti tout de suite le poids, et les inflammations contre sa peau, que ces chaînes ont provoqué sur elle. Mais elle n'a pas le temps d'essayer de s'en défaire que déjà, elle entend des pas dans le couloir, et une nouvelle torche mouvante s'arrête bel et bien devant sa porte.

Là, elle découvre une ombre, cachée sous un large voile brun. Drina ne peut pas voir le visage de cet être qui saisit des clefs précédemment attachées à sa taille, et qui les glisse dans la serrure. Un, deux tours, et la porte s'ouvre dans un large crissement, presque un hurlement. Ensuite, l'ombre fait un signe de tête pour lui indiquer de sortir, et Drina ne se fait pas prier, paralysée par la peur, mais également l'angoisse de savoir où peut bien se trouver Hedda, et si on lui réserve le même traitement.

Sa question trouve vite une réponse puisque lorsqu'on emmène Drina dans une large salle ovale, et qu'on l'allume grâce à de nouvelles torches, elle découvre une Hedda affaiblie, mal en point, le dos nu et mal, martelé de coups de fouet répétés, et dont les blessures sont encore fraîches et brillantes. Drina retient son souffle, les yeux ronds et le cœur battant à tout rompre. Elle se retient de l'appeler, elle serre fermement les mâchoires pour se contenir. Elles se retrouvent ici pour y être jugées, inutile d'aggraver leurs cas à toutes les deux.

Alors, Drina se détourne de sa Faucheuse pour porter les yeux vers une estrade. Derrière elle, se tiennent trois ombres. Elles sont similaires à celle qui l'a sorti de sa cellule, mais elles portent un châle noir, et déchiré sur les bords. Les trois silhouettes sont identiques, et Drina les fixe, sans bouger, paralysée par la force qu'elles induisent sur la pièce, presque à la faire tomber à genoux.

Une sonnerie résonne subitement, et fait sursauter Drina qui se retourne pour en chercher la source. Sonne le début de leur procès. L'ombre la plus à gauche des trois prend la parole, Drina le comprend aux vibrations qui secouent son voile.

─ Chefs d'accusation : association d'une âme avec une Faucheuse, utilisation non réglementaires de pouvoirs occultes, déploiement d'une protection abusive, voyage dans les souvenirs d'une défunte, utilisation du Chemin des Calamités ... Et j'en passe.

─ Coupables !

L'ombre la plus à droite s'écrit vivement, la voix enrayée. Mais puisque les deux autres ne réagissent pas, Drina en déduit que cela doit souvent être comme ça.

─ Âme, nous vous écoutons.

Quand tous les regards se posent sur elle, Drina se retrouve figée, tétanisée par la peur. Elle va pour ouvrir la bouche, mais sans que rien n'en sorte, c'est celle d'Hedda qui prend le dessus.

─ Elle n'a rien fait ! J'ai utilisé son sursis à mauvais escient.

─ Nous vous l'avions pourtant accordé à une condition. Condition que vous n'avez pas encore remplie.

Hedda respire péniblement et Drina ne peut pas empêcher l'eau qui commence à lui monter aux yeux de la voir si mal en point. Elle baisse la tête, piteuse, mais surtout furieuse d'être aussi impuissante. Elle tire sur ses liens, mais sa chair ne fait que devenir encore plus abrasive.

─ Toutes les âmes mériteraient un sursis.

Hedda relance, parvenant enfin à se redresser malgré ses fers et son dos lacéré. Elle les défie littéralement des yeux. Elle inspire des cendres pour en recracher du feu. Drina ne l'avait jamais vu comme ça, avec une telle lueur dans le regard. Elle en frissonnerait presque.

─ Vous avez failli à votre mission, Faucheuse. Et qui plus est, en vous liant à cette âme !

─ Coupable !

─ C'est vrai, mais elle est la première et la dernière. Vous connaissez très bien ma position quant à ma condition. Je veux rendre ma faux.

─ Et cela vous a été accordé. Alors, pourquoi ne pas avoir moissonné cette âme avant ?

─ Parce que ...

Les mots d'Hedda meurent sur ses lèvres, avant même qu'ils ne puissent s'échapper dans les airs. Drina en a le souffle coupé. De la voir autant à court de mots, lui prouve encore une fois la preuve de leurs sentiments, parce qu'elle sait très bien que c'est de cela qu'il s'agit. Alors, emportée par cet élan, Drina décide de renverser la vapeur, et de porter cette culpabilité avec elle.

─ Parce que j'ai repoussé la date ! Je l'ai convaincu qu'une porte s'ouvrirait si elle me laissait encore en vie.

─ Et est-ce le cas ?

─ Evidemment. Vous ne la voyez pas ?

Là, dans le creux de la poitrine de Drina, une torche s'allume. Elle brille et chauffe contre sa peau. Et, par mimétisme, il en est de même pour Hedda. Leurs deux cœurs battent à un unisson parfait, un rythme, un tempo comme une symphonie. La lumière prend de plus en plus de place à chaque seconde. La salle est couverte d'une lueur blanche et dorée. Elle éclaire tout sur son passage, et force les membres du Conseil à se protéger les yeux d'un bras. La force de ses sentiments réduisent tout à néant.

Jusqu'à ce que vide total se fasse.

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