Miracle
Je me retourne. Rien. Pas un bruit. Pas un mouvement. Juste mon propre souffle, légèrement plus court qu’avant. Et ce petit vertige, comme quand on se lève trop vite. Je hausse les épaules. Tu dérailles, Jean. Je termine mon verre, je me dirige vers la salle de bain.
Et là, tout bascule. La porte d’entrée explose dans un fracas sec. Deux hommes. Capuches sombres. Silhouettes nettes, organisées. Un des deux me plaque au sol en moins d’une seconde. L’autre m’injecte quelque chose. Je sens à peine la piqûre. Puis le sol se dérobe. Et le néant me prend dans ses bras.
Je me réveille. Pas d’idée du temps. Pas d’odeur familière. Pas de fenêtre. La pièce est froide, grise, humide. Je suis assis, menotté à une chaise métallique. Nu sous une blouse jetable. Il y a une lampe suspendue au-dessus de moi, trop forte, trop basse. Elle me brûle les yeux. Je tente de parler. Rien ne sort. Ma gorge est sèche. Mon crâne me lance.
Et puis, une voix.
— Jean Durand. Trente-six ans. Employé de bureau. Vie ordinaire. Insignifiante.
Un type en costume noir se tient à quelques pas. Il a un carnet à la main. Derrière lui, un autre. Plus massif. Silencieux.
— Tu sais pourquoi tu es ici ?
Je secoue la tête. Lentement.
— Tu ne sais pas. Bien sûr que non. Ils ne savent jamais.
Il s’approche. Ouvre le carnet.
— Tu fais des recherches ? Tu as parlé à quelqu’un ? Tu as pris quelque chose qui ne t’appartenait pas ?
Je bredouille un “non” pathétique. Ma voix tremble. Mon corps aussi. Je ne comprends pas. Je ne comprends rien. Et eux non plus, je crois. Ils posent des questions qui ne veulent rien dire. Ils veulent me faire dire ce que je ne sais pas. L’interrogatoire dure. Des heures, peut-être. Ils me laissent dans le noir. Puis reviennent. Me posent les mêmes questions. Me traitent de menteur. De petit fouineur.
Un jour passe ? Deux ? Je perds la notion. Parfois, ils me brûlent avec un briquet. Juste un peu. Juste assez pour me faire hurler sans me tuer. Parfois, ils me mettent de la musique à fond dans les oreilles pendant des heures. Parfois, ils me laissent seul, dans un silence complet, jusqu’à ce que j’en supplie un de revenir.
Et puis un jour, il entre. Il n’est pas comme les autres. Il s’appelle Jim. Du moins, c’est ce qu’il a dit. Pas comme les autres. Pas brutal. Il est devant moi, me donne de l’eau. Un petit sourire, presque complice. Des yeux froids, mais son visage raconte autre chose. Il s’adresse à moi comme à un égal. Il porte une chemise claire, un pantalon simple. Il a les mains dans les poches. Il me regarde comme on regarde un vieil ami qu’on n’a pas vu depuis longtemps.
Il s’approche. Il me donne de l’eau. Il me touche l’épaule, doucement. Je tremble.
— Jean. J’ai lu ton dossier.
Toujours cette phrase. Mais chez lui, ça sonne différent. Comme un secret. Mon dossier ? J’en ai un ? C’est ce que j’ai pensé. Et j’ai senti quelque chose d’étrange en moi. Comme un frisson d’existence.
— Tu sais… je crois que tu es plus important que tu ne le crois. Il y a des choses que tu ne comprends pas encore. Ils pensent que t’es un pion. Un gars lambda qu’on peut faire disparaître sans que personne ne remarque. Moi je crois pas ça. Et peut-être que ça tombe sur toi, parce que justement… tu es normal. Quelqu’un qu’on n’attend pas. Un homme invisible qui peut devenir visible au bon moment.
Il marque une pause.
— Et ça, Jean, c’est ce qui fait de toi un homme précieux.
Mon cœur s’emballe. Il continue, d’une voix calme, presque douce :
— Ces gens, là, ils t’ont pris pour rien. Mais moi… je vois quelqu’un. Tu comprends ? Il y a un plan. Un projet. Quelque chose de plus grand. Et tu pourrais en faire partie.
Je ne sais pas ce qui m’arrive, mais je sens une chaleur monter. Une flamme. J’existe. Quelqu’un me regarde enfin. Quelqu’un croit en moi. Pour la première fois, je me dis que peut-être… ma vie avait un sens. Que cette horreur, ce cauchemar, n’était que l’épreuve initiatique. Le passage. Le moment où tout bascule, où je renais.
Je le fixe. Les larmes aux yeux.
— Pourquoi moi ? je demande, à voix basse. C’est une question sincère, pleine d’espoir.
Jim me sourit. Il lève le bras.
CLAC.
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