Clac.

La balle est partie comme prévu. Net. Propre. Traversante. Angle parfait. Juste derrière l’œil gauche. Le crâne de Jean éclate comme un fruit trop mûr. Un petit geyser rouge éclabousse le mur gris. Et dans cette fraction de seconde, je le vois. Le regard. Ce changement. Cette cassure. Cette étincelle de foi — puis la panique. Puis plus rien. Ça ne dure qu’un battement de cœur. Une demi-seconde. Mais moi, Jim, je vis dans cette demi-seconde. C’est là que je suis vivant.

Ils disent que je suis efficace. Ce mot me donne envie de vomir. Efficace, c’est ce qu’on dit d’un outil. Une perceuse. Un nettoyeur haute pression. Une putain de cafetière programmable. Pas d’un homme comme moi. Moi, je suis bien plus que ça. Je suis l’œil. Le jugement. L’écho du silence. Celui qui comprend ce que vous ressentez au moment précis où vous réalisez que vous n’avez plus le temps.

Jean Durand. Trente-six ans. Vierge émotionnelle. Type standard. Parfait candidat. Il ne savait rien. Évidemment. C’est ça qui rend l’exercice intéressant. Ce n’est pas ce qu’ils font, ces gens-là, qui m’intéresse. C’est ce qu’ils espèrent. Ce qu’ils projettent. Cette façon qu’ils ont de se dire : "Peut-être que je suis spécial, peut-être qu’il y a une raison…" Je plante cette graine. Je les laisse y croire. Et puis je fauche.

Pas par sadisme. Je ne ressens rien. Rien du tout. Je ne suis ni en colère, ni heureux. Ni cruel, ni miséricordieux. Je suis… vide. Et dans ce vide, je cherche des reflets. Des visages. Des cris. Des silences. Je veux comprendre ce que je suis à travers eux. Ce que je ne ressens pas, je le lis dans leurs yeux. Et ce que je lis… me construit.

Le patron pense que je m’ennuie. Que je perds le contrôle. Il a tort. Je suis en train de prendre ma place. Lentement. Précisément. Il ne sait pas que chaque mission est un pas de plus. Que chaque victime me sculpte. Me définit. Jean n’était pas un accident. C’était un test. Un miroir. Et aujourd’hui, je vois un peu plus clair.

Les autres m’appellent le fossoyeur. Par respect. Ou par peur. Mais derrière mon dos, ils utilisent ce mot de merde : efficace. Je ne veux plus l’entendre. Je ne suis pas leur outil. Je suis leur fin.

Et sa dernière remarque : manque d'empathie ! Moi, Jim le "fossoyeur" ? je manque d'empathie ? Pff ? Quelle connerie ! La vérité c'est que je n'en ai jamais eu. Je suis né comme ça et c'est tant mieux. Pas d'hésitation, pas de remords, des décisions calculées et justes. Ça fait de moi un homme raisonné et efficace. Et si ça déplaît au patron ? Qu'il aille se faire foutre ! J'ai fait le job, le problème disparaît et le but est atteint, sans complications. Et si le mec a souffert pendant l'élimination je m'en tape. C'était le moyen le plus efficace ! EFFICACE BORDEL …..putain même moi….

Jim, revenait de sa dernière mission, "un vieil ami" du patron qui devenait un peu trop gênant. Les consignes étaient pourtant claires. Se débarrasser de son neveu pour faire passer le message au reste de la “famille”. On ne trahit jamais SA famille ! Quinze ans de métier, jamais une erreur, tant de “services” rendus et pourtant, il vient m’emmerder pour une histoire de “sensibilité” !? Il y a déjà bien longtemps que Jim n’a plus confiance dans ce “père” pas assez présent pour assurer le futur de ses rejetons. On ne reste pas le leader incontesté en faisant un exemple de temps en temps. Surtout quand on ne fait jamais rien par soi-même. Jim était certain que son heure était venue. Pas qu’il en ait spécialement envie. Mais qui d’autre que lui, clairvoyant, implacable, et craint de tous, pour remettre de l’ordre là où l’incompétence avait creusé une tombe gravée au nom de cette trop douce famille.