Le train file dans la nuit, avalant les kilomètres, fuyant quelque chose. La pluie martèle les vitres et brouille les reflets. Je suis seul dans mon compartiment, enfin presque : une vieille dame tricote en silence, deux rangs plus loin. Ses aiguilles cliquettent à intervalle régulier, une seconde horloge parallèle au battement de mes tempes.
Je n’aime pas les trains de nuit. Trop de couloirs, trop d’ombres, trop de visages à moitié effacés par la lumière blafarde. Pourtant, ce soir, j’ai dû en prendre un. On m’attend à l’aube, loin d’ici.
Le contrôleur est passé il y a une heure. Depuis, rien. Juste le roulis du train, parfois une secousse, comme si nous changions brusquement de direction. La vieille dame n’a pas levé la tête une seule fois. J’ai essayé de lui sourire, mais ses yeux restent fixés sur ses mains, comme pour se raccrocher à la vie.
À un moment, je décide de marcher un peu. Les couloirs sentent le métal froid et la poussière. Pourtant, étrangement, tous les compartiments que je traverse sont vides. Absolument vides. Pas une valise, pas une veste oubliée, pas un souffle humain. J’ai l’impression que le train m’appartient.
Je retourne dans mon compartiment. La vieille dame est encore là, sauf que… son tricot a disparu. Ses mains sont posées à plat sur ses genoux. Elle me regarde enfin. Ses lèvres bougent sans un son.
Je tends l’oreille. Elle chuchote :
— Vous ne devriez pas être là.
Je veux répondre, mais ma gorge se serre. Alors je m’accroche à la vitre. Et c’est là que je comprends. Le paysage n’a pas changé depuis mon départ. Toujours la même ligne d’arbres, toujours les mêmes éclairs au loin, figés dans une boucle sans fin.
Je recule, pris de panique. Le train roule, mais il ne va nulle part.
La vieille dame se lève, se rapproche, me tend son carnet. Je l’ouvre avec des mains tremblantes. Une seule phrase y est écrite, répétée des dizaines de fois :
« Vous êtes le prochain à descendre. »
Le train s’arrête. Les portes s’ouvrent.
Et dehors, ce n’est pas une gare.
C’est mon salon.