Chapitre 1

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Les jours sur la Terre des Géants étaient sombres, étouffés dans l’agonie d’un cycle incessant de prédateurs et de proies. Sous ce soleil terni par les nuages menaçant jusqu’à l’horizon, au sommet d’un tas de pierres informe, Gabrielle attendait. Sur sa peau d’ébène, gravées au travers de son haillon déchiré, les cicatrices de sa survie saignaient encore. Au creux de ses poings, forgée par sa rage, sa lame reposait ses dents acérées au sol. Dans le silence de cette brise sifflante, où seule sa pâle touffe de cheveux virevoltait au vent, cette guerrière guettait son prochain combat avec calme.

À ses pieds, une faille creusée dans la roche laissait entrevoir l’ouverture d’une grotte. Un groupe de goules, aux quatre pattes fourchues et au souffle rauque, en sortirent. Elles escaladèrent les parois jusqu’au sommet. La jeune femme ne fit pas un bruit et put dévisager l’une d’elle. La gueule de ce monstre, débordante de salive, montrait sa soif de chair. La meute finit par s’éloigner, abandonnant sa tanière afin de partir chasser.

Gabrielle prit une profonde inspiration et entama sa descente. Agrippée aux rares aspérités du terrain, elle gardait toujours l’une de ses mains libre pour tenir son arme. Une fois au creux de la faille, elle s’avança et pénétra dans le repère.

Le couloir qu’elle traversait s’obscurcissait un peu plus à chacun de ses pas. Elle finit par apercevoir une lueur étouffée au plus profond de la terre. Cette lumière chaude, qui semblait l’appeler, commençait à dévoiler tout autour d’elle des murs de pierres gravés. En levant les yeux vers le haut, elle vit des milliers de sculptures métalliques formant une constellation de reflets infinis.

Une fois sortie du couloir, elle entra dans une salle immense reliée à des centaines d’autres passages. En son centre, un tas de ruine abritait en son sommet une roche lumineuse, baignant de sa lueur seule tout ce qui était visible. Tout autour, des cadavres finissaient de se décomposer.

Au cœur de cette terre, perdu dans l’oubli d’une civilisation éteinte, se trouvait la seule chose qui importait encore à Gabrielle. Elle s’avança vers l’intérieur, serra ses mains autour du manche de sa flamberge et finit par s’arrêter. Une goule bondit dans son dos, la gueule ouverte et les dents prêtes à la déchiqueter. En un seul mouvement de sa lame, la guerrière lui trancha le crâne de part en part.

Aussitôt, un autre monstre lui sauta dessus. Après avoir esquivé son coup de griffe, elle lui transperça les entrailles. Deux goules rappliquèrent au même moment. L’une d’elle, avant d’être repoussée, réussit à lui mordre l’épaule. L’autre put lui entailler la cuisse avant de repartir dans l’obscurité.

Malgré sa lutte, Gabrielle continuait de voir arriver des silhouettes tout autour d’elle. Il lui était impossible de compter le nombre de monstres qu’elle entendait. Tous ces râles, dont l’écho se perdait dans la pénombre, firent trembler ses mains de rage. Sans attendre, la meute se rua sur elle. Mais la guérrière resta figée. Dans son esprit, une seule voix résonnait, vestige d’un souvenir plus lancinant encore que ses plaies ouvertes.

Je t’en prie ma fille, part, enfuis-toi de cet enfer sans te retourner…

Gabrielle assena son épée d’une force bestiale. Les monstres croisant sa lame se firent déchiqueter d’un seul coup. Malgré ses efforts, une goule survécu à son attaque et lui griffa le flanc avant de s’écrouler.

Sentant son sang couler,elle se crispa et contre-attaqua. Sa lame fendit la chair des monstres sans effort et alla s’écraser contre la roche dans un puissant vrombissement.

“Laisse-moi, laisse-nous derrière toi…

La meute finie par se disperser en fuyant la grotte. Mais la jeune femme aperçut une ombre gigantesque au loin, qui s’approchait d’elle à une vitesse folle. Il s’agissait d’une bête atroce. Ses six sabots frappaient le sol d’un brouhaha assourdissant tandis que son rugissement féroce fit trembler le sol à lui seul.

Lorsque le monstre arriva sur elle en tentant de l’empaler de ses cornes, la guérrière bondit sur le côté en préparant sa lame pour une contre-attaque. Les dents acérées de son flamberge tranchèrent l’oreille de la bête en la défigurant. En réaction, cette dernière lui assena un puissant coup de bassin.

Gabrielle fut éjectée au loin. Sonnée, elle n’arriva pas à se rattraper et lâcha son arme avant de s’écrouler contre un morceau de ruine. Le sang coulait le long de ses membres. Elle sentait ses forces partir à chacune de ses lourdes respirations.

“Il existe une terre, à l’ouest, de l’autre côté des montagnes noires. Là-bas, les récoltes sont abondantes et les Hommes règnent en maître… Je sais que tu y arriveras...

Tandis que le monstre se retournait dans sa direction, elle se releva. Sa main, appuyée péniblement contre la roche, laissa un sillon rouge sur son passage. Malgré ses jambes tremblantes, elle s’avança vers son épée.

La bête devant elle chargea aussitôt, les babines gorgées de salive et le souffle bouillant. Gabrielle bondit à nouveau pour l’esquiver. Lorsque le monstre s’écrasa contre les ruines, la guerrière ramassa sa lame tombée au sol. Elle lui fendit les pattes arrières de toutes ses forces. En hurlant sa rage, elle continua en lui transperçant les côtes et en lui broyant le crâne qu'elle finit par couper en deux.

Couverte de sang et à bout de souffle, elle lâcha son arme et tituba en direction de la pile de cadavres humains. À mi-chemin, elle s’écroula. Ne sentant plus sa jambe, elle continua d’avancer en rampant contre la roche glaçante.

Gabrielle finit par s’arrêter devant un corps portant un bandeau délavé autour de la taille. D’un mouvement timide, elle prit en main le morceau de tissu déchiré. Bercée par ce silence, elle baissa la tête au sol et laissa ses larmes couler. Dans ses sanglots, la pierre qui illuminait la pièce se mit à scintiller d’une lueur plus vive encore que celle du soleil. Lorsqu’elle finit enfin par crier sa peine, un flash éblouissant envahit la grotte.

La jeune femme perdit connaissance. Lorsqu’elle se réveilla, le poing serré sur le bandeau, son corps ne la faisait plus souffrir. Aucun sang ne s'écoulait plus le long de ses plaies. Sidérée, elle se leva et contempla la pierre au-dessus de sa tête. Sa lueur avait rougi, comme envahie par la rouille.

“Je veux que tu survives, Gabrielle, rien n'importe plus à mes yeux… Où que tu ailles, sache que je serais avec toi.

La guerrière serra ses poings et se leva. Elle attacha le bandeau autour de ses cheveux et reprit son arme en main. En sortant de la grotte, elle enjamba chaque carcasse qu’elle avait laissé sur son chemin. Arrivée hors de la faille, elle fixa l’horizon d’un regard perçant. Sans attendre, elle entama sa marche vers le soleil couchant.

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