Chapitre 2

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 Gabrielle souriait en crapahutant le long d’un marais. Sur son dos, elle portait avec fierté la carcasse d’un animal au pelage épais et aux bois fendus. En passant entre les arbres d’un chemin qu’elle avait connu toute sa vie, elle arriva chez elle.

C’était une clairière, abritée par un flanc de colline qui protégeait quelques cabanes du vent. À l’entrée, accroupi sur son établi, un homme aux larges épaules travaillait une lame dentelée. Au creux de son front, il affichait une profonde marque formant la lettre « A ». Lorsqu’il vit la jeune femme rentrée de sa chasse, il la salua :

– C’est un beau morceau que tu nous ramènes là Gabrielle !

– Il m’a fallu toute la journée pour le débusquer, mais ce soir on va enfin pouvoir manger à notre faim.

– Eh bien toi alors, tu lâches rien. Je suis très fière de toi petite.

La chasseresse posa l’animal sur une table et commença à le dépecer.

– D’ailleurs, tu as vu maman ce matin ?

Le forgeron poussa un soupir et se retourna.

– Ta mère essaye encore la divination. Elle se fait aider par Feirild cette fois-ci. Ne me demande pas comment elle a réussi à le convaincre, je n’en sais rien…

– Quoi !? Ça recommence… Je n’aime pas l’état dans lequel ça la met à chaque fois. Pourquoi elle s’entête… On a une maison ici.

Une femme, à la peau pâle et aux oreilles pointues, sortit de l’une des cabanes. Son visage, creusé par la fatigue, portait lui aussi la même cicatrice que le forgeron. En s’asseyant sur un tronc d’arbre coupé, elle rétorqua à Gabrielle :

– Personne n’aime lutter pour survivre tu sais. Cassandra fait ce qui lui semble juste pour nous donner les meilleures chances. Toi aussi, regarde-moi ce beau morceau que tu viens de nous attraper. Il doit peser une bonne centaine de livres !

– Tu tiens à peine debout, rentre à l’intérieur s’il te plaît. Gabrielle peut s’occuper de la chasse comme tu peux le voir. Tu n’as nul besoin de te tuer à la tâche.

– Arnaud, Arnaud, ArnaudJe ne suis pas si têtue que ça. L’air de ce marécage puant commençait simplement à me manquer, voilà-tout.

Sur ces mots, le forgeron prit en main l’épée sur laquelle il travaillait et répondit :

– Au moins, ta lame est rafistolée. Je n’arrive pas à faire grand-chose contre la rouille avec ce que j’ai ici, mais le manche et la garde sont à nouveau fixés.

– Du grand art, comme toujours avec toi ! Mais, je commence à me faire un peu vieille pour porter cette flamberge… Je pense qu’il faudrait mieux que tu la donnes à Gabrielle.

– Quoi !? À moi ? S’exclama la chasseresse.

– Oui, je vois bien comment tu la regardes depuis toujours. Tu as prouvé ta force, et pas seulement aujourd’hui. Moi, je devrais arrêter les frais et me contenter de t’assister.

– Merci… Je ne sais pas trop quoi dire. J’en prendrais soin pour toi ! Et j…

Gabrielle se tut. Elle fixait d’un regard vide sa nouvelle épée. Le sang en empreignait sa lame. Il coulait le long des visages éteins de ses amis. Il recouvrait ses mains. Il bouillonnait dans ses veines.

“Ce monde n’est pas tel qu’il parait être… Tu le comprendras toi aussi un jour. D’ici là, tu continueras à avancer. Car tu as toujours été la plus forte d’entre nous.

Le ciel se teint au rouge. Les râles résonnaient dans la clairière.

“Cours, ne t’en fait pas pour nous !

La chasseresse fuyait à pleins poumons, passant d’arbre en arbre sans regarder derrière elle. Mais au bout de son chemin, elle ne trouva qu’un précipice infini. Sans autre choix, elle se laissait engloutir dans ses ténèbres.

Aucun murmure ne sortit de la pénombre.

Gabrielle se réveilla, haletante. À ses côtés, sa lame brillait des quelques braises qui animaient encore le feu rudimentaire qu’elle avait allumé la veille. Bercée par la brise, elle se mit en boule. Dans son esprit, les échos de sa vie passée continuaient à résonner sans répit.

Mais rien ne pouvait importer plus que son voyage. La guerrière se leva, pris son arme en main et sortie de la petite grotte qui l’avait abrité du froid pendant la nuit. Tournant le dos aux premiers rayons de l’aurore, elle avança.

Elle escaladait les collines escarpées, buvait l’eau des marécages et se nourrissait des prédateurs qui essayaient de la chasser. Au fil des jours et des nuits, sous les pluies et les bourrasques glaciales, elle marchait, scrutant l’horizon à la recherche d’un lendemain nouveau.

Mais à chacun de ses cauchemars, de ses combats et de ses pas ses forces diminuaient. Après une semaine d’errance, elle arriva face à l’inespéré. Au loin d’une vallée, engouffrée entre deux pieds de montagne, une muraille à la taille inhumaine se dressait.

Le long des épaisses briques, des milliers de meurtrières semblaient scruter chaque recoin des terres fertiles. Au sommet du rempart, des bannières gigantesques affichaient un emblème aux couleurs du ciel éclairci. En son cœur, la lettre « A » était gravée d’argent.

Gabrielle posa son épée au sol et s’écroula à genou. La vision troublée par ses larmes, elle sourit.

Héloïse, Arnaud, Feirild, Maman, j’ai réussi. Je l’ai trouvé, la frontière entre les mondes…

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