Chapitre 7

7 minutes de lecture

 Gabrielle sentait une douce énergie parcourir son corps. Tout autour d’elle, trois guérisseuses passaient avec minutie leur magie sur chacune de ses plaies. Dans le sillon de leur mouvement, la douleur se substituait à une chaleur apaisante. Autour de leur coiffe soignée, chacune portait un diadème orné d’une étrange gemme au teint turquoise qui semblait s’illuminer de cristaux aux motifs infinis.

La jeune femme sortie quelques heures plus tard, guérie, lavée et changée. La sensation du tissu et de la soie sur sa peau l’irritait. Elle avait insisté pour garder avec elle le bandeau qui nouait ses cheveux.

On ne te reconnaît presque plus ! s’écria Aria en la voyant.

Mon bras… il ne me fait plus souffrir. En fait, je ne me suis jamais senti aussi vive. Comment c’est possible ?

Ne t’y habitue pas trop, hein. Sur le terrain, Vaïque sera bien moins tendre avec toi si tu te blesses.

Qui ça ?

Un membre de la chasse comme nous. Mais il est occupé au Mur pour le moment. On finira par te présenter tout le monde, ne t’en fait pas. En parlant de ça, il faut que je te montre ton nouveau chez-toi. Suis-moi !

L’esprit encore confus des dernières heures, Gabrielle se laissa guider. Elle passa des remparts marbrés à des jardins éclatant de couleur jusqu’aux cours bondées de nobles et de soldats marchant et revenant dans le cycle de leur quotidien. La guerrière peinait presque à croire à tout ce luxe qui lui laissait une froide impression.

Nous voilà arrivés ! s’exclama sa guide.

Les deux femmes faisaient face au portail d’une large forteresse qui traversait la muraille entourant la colline du palais. Au-dessus de leur tête, une imposante bannière bleutée et ornée d’un sigle griffique flottait au vent. En pénétrant, elles arrivèrent dans un immense hall parsemé de bibliothèques aux mille ouvrages. En son centre, avachis contre une épaisse table en chêne, un érudit au teint grisâtre se plongeait dans ses notes. À l’arrivée des chasseuses, il se releva et les salua.

Aria, te voilà enfin de retour du Mur. Écoute, il y a quelques choses dont je dois… Qui est cette nordique qui t’accompagne ? Que fait-elle ici ?

Elle s’appelle Gabrielle. C’est notre nouvelle recrue.

Plaît-il !? Depuis combien de temps ?

Ce matin, ordre du Roi.

Et lui ? C’est qui ? demanda Gabrielle en pointant l’homme du doigt.

Je me présente : Joachim Destrenzia, humble alchimiste bestiairaliste au service de la Chasse Royale et de sa Majesté le Grand Roi Gregory… Ne vous a-t-on jamais appris qu’il ne fallait jamais désigner quelqu’un de votre index ?

Hein ?

Gabrielle n’a pas tout à fait grandis dans nos mœurs, reprit Aria. À vrai dire, elle sort tout juste de la Terre des Géants.

Par Sanctia, ma pauvre âme… Je n’ose pas imaginer ce qu’il vous a fallu pour en revenir vivante.

Enfin, elle n’y revient pas exactement… Elle y est née surtout.

Qu’est-ce que… Comment… Je suppose que cela explique l’intérêt de la couronne en son égard… Quoi qu’il en soit, bienvenue dans nos rangs, Gabrielle !

Eum, merci. Et, vous faites quoi exactement vous ?

Hmmm... S’il faut vous l’expliquer simplement, je suis maître dans l’étude des espèces hérétiques. Face à un monstre, la connaissance est une arme bien plus redoutable que n’importe quelle lame.

Doonc… Vous êtes dans la divination ou les trucs du genre ?

De la divination !? Non, il ne s’agit point d’Omnimencie ici… Où avez-vous bien pu en entendre parler ?

Ma mère en faisait, pour nous aider à échapper aux monstres et pour prédire les saisons. Elle connaissait plein de choses comme vous.

Décidément jeune fille, il va falloir que nous ayons une sérieuse discussion sous peu. Mais, avant cela, je dois parler de toute urgence à la Chasse.

C’est bien l’une des rares fois où je te vois retenir ta curiosité Joachim, répondit Aria. De quoi s’agit-il ?

Le vieil homme fit signe aux deux femmes de le rejoindre. Sur la table, il montra une carte ponctuée de notes gribouillés ainsi que des piles de tomes épais exhibant divers schémas anatomiques de bêtes.

Voyez-vous, je me suis entretenue avec Ikaar ce matin. Il m’a parlé de l’attaque que vous avez subit cette nuit.

Ouais, une Vespièvre dans un tel coin, c’est troublant… soupira l’arbalétrieuse.

Pourquoi ? Ils viennent d’où à la base ? demanda Gabrielle.

Regardez sur la carte, au sud d’Azur, dans les terres de l’Empire Maérique. Ce sont de ces Taïgas que toute leur espèce proviennent. De plus, en plein printemps, durant leur période de gestation, il est impossible qu’un tel exode puisse avoir lieu.

Et… Qu’est-ce que tu as trouvé de ton côté ? reprit Aria.

Quelque chose d’extrêmement perturbant. Peu avant l’attaque du Mur, le nombre de monstres répertorié dans la région a grandi de façon troublante. Et cela des deux côtés de la muraille. Les incidents des bois de Viazur des quatre derniers jours se rapprochent également de l’Est. Quelque chose a attiré le mal en direction de la frontière. Si cette Vespièvre venait bel est bien d’aussi loin, cela signifie un danger énorme !

Merde… Va falloir enquêter sur ça au plus vite… Je pense que ta première mission est toute trouvée Gabrielle.

Qu’est-ce qu’on attend alors ? Partons ! s’exclama la guerrière.

Cela ne se passe pas tout à fait de la sorte. Il va d’abord falloir l’avale de notre Souverain et préparer l’équipement… D’ailleurs, maintenant que cela me vient à l’esprit, nous avons reçu une étrange livraison peu après votre arrivée. Une longue boite, il a fallu deux hommes pour la soulever. Personne ne m’a dit ce dont il s’agissait, simplement que je n’avais pas la permission d’y toucher. Est-ce que cela vous dit quelque chose ?

Ça doit être mon épée ! Elle est où !?

Dans l’armurerie, je vous laisse vous y rendre. Moi, je vais aller m’entretenir avec le Chambellan au sujet de notre nouvelle opération.

D’accord Joachim, je vais préparer ce qu’il faut… Allez vient Gab, on finira ta visite une autre fois.

Sur ces mots, l’érudit attrapa sous ses bras quelques notes et sortit. Les deux femmes, quant à elles, passèrent par une lourde porte au fond de la pièce et entrèrent dans un petit entrepôt décoré de centaines de lames. Le long des rangées, des pièces d’armures de tout type et de toutes tailles étaient entreposées. Contre quelques parois, des établis bondés côtoyaient des piles de tonneaux gravés de multiples marques.

Devant cet arsenal, la guerrière était subjuguée. Elle resta figée en passant devant une cuirasse éclatante, ornée d’épaulettes gravées et d’un surcot écarlate. Quelque chose en elle la criait de la mettre. Sans dire un mot, elle l’attrapa.

Impressionnante collection, je te l’accorde ! Eum, qu’est-ce que tu fais ?

Cette armure, je la prends. On m’a dit que mes désirs seraient comblés, non ? Je me battrais pour le Roi ou je ne sais quoi d’autre comme convenu, je veux juste l’avoir.

Ok, ok, ok… Mais qu’est-ce qui t’attire tant à propos de cette… Attends que j’ai fini au moins avant de te déshabiller !

Gabrielle se mit à enfiler l’armure, ajustant à la perfection chaque pièce dans des mouvements précis semblant simuler toute une vie de service.

Ma mère en avait une comme ça… Je me sens mieux dedans… en sécurité en fait.

Comment tu sais équiper des armures de mages ?

Je n’en ai jamais vraiment mis, mais j’aime bien celle-ci, c’est tout.

Décidément, tu n’arrêtes pas de m’étonner… Par contre, t’es consciente que ça n’est pas adapté à la mêlée ?

Ce n’est pas grave, elle me laisse libre de mes mouvements, ça me suffit.

Bon, heureuse que tu aies pu trouver ton bonheur aussi vite alors… Ah, et voici ton arme, reprit Aria en pointant une table au centre de la pièce.

D’accord, merci !

Gabrielle s’approcha, ouvra la boite et défit la couverture dans laquelle sa flamberge était enroulée. Sous le manche, un fourreau élégant de chêne et d’argent avait été rajouté. La jeune femme la dégaina et la contempla, le regard gorgé de souvenirs et le cœur lourd. Pendant qu’Aria remplissait ses carquois, elle y jeta un coup d’œil discret.

Je n’ai jamais vu une lame aussi épaisse… C’est donc avec ça que tu as tranché une vouivre en deux ?

Oui… Enfin, je ne sais pas trop. C’est encore tellement flou dans ma tête… Tout ce dont je me souviens, c’est cette force que je n’avais ressentie avant.

Et est-ce que cette incroyable « force » peut m’aider à charger le chariot et les chevaux ?

Oui, j’arrive…

Après avoir préparé leur voyage, les chasseurs quittèrent la capitale sous les chants et les acclamations de la foule. Il était de vigueur pour les nobles et petites gens jusqu’aux mendiants de saluer leur passage. Certains, comme Ikaar, trônaient fièrement sur le dos de leur monture et imposaient avec aise la grandeur de la Providence. Aria, elle, chevauchait avec calme en fixant l’horizon par peur de croiser à nouveau le regard d’un enfant des rues, ou de sonder l’horreur creusant le sourire dissimulé d’un prophète.

Il s’agissait d’un spectacle particulier, auquel Gabrielle tentait d’échapper, cloîtrée dans son chariot, la boule au ventre. Son bandeau au creux des mains, elle laissa ces voix s’étouffer dans la pénombre et pensa à nouveau à ceux qu’elle avait laissé derrière elle.

Annotations

Vous aimez lire Mr.Bleu ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0