CHAPITRE 1

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Nous étions le 21 septembre et je déambulais dans les couloirs du lycée, mon sac à dos pressé contre ma poitrine, faisant office de bouclier. J’errais sans but, tentant au mieux de ne pas attirer l’attention. Je n’avais jamais été très à l’aise avec les interactions sociales.

C’était ma deuxième année de lycée. Depuis la Seconde, j’avais toujours échappé au sort de l’Invitation et j’espérais passer entre les mailles du filet une fois de plus. Pour cela, je ne devais, en aucun cas, me faire remarquer d’une quelconque manière.

Alors que je m’apprêtais à entrer dans le hall, quelqu’un me bouscula violemment pour me dépasser, manquant au passage de me faire tomber en avant. Je me redressai vivement et cherchai du regard celui qui avait eu l’outrecuidance de me heurter sans s’excuser. Bien évidemment, cela ne pouvait être qu’un membre de ce club idiot. Je grognai et levai les yeux au ciel. Un petit groupe de Terminales était arrivé en trombe dans le hall. Ils sautèrent à pieds joints sur les tables et bancs pour placarder partout des affiches annonçant la soirée d’halloween… Chaque année, c’était la même histoire : l’Elite organisait une soirée dans l’enceinte du lycée, à laquelle seule une poignée d’élèves était invitée. L’objectif étant de recruter de nouveaux membres pour leur cercle et assurer la relève des élèves sortants. « L’Elite », c’était un club très fermé de notre école, en être membre apportait un certain prestige, même au-delà de notre établissement. Il tirait son nom du fait que seuls les plus sportifs, les plus studieux ou les plus talentueux avaient le privilège d’être invités. En plus d’assurer quelques débouchés dans certaines écoles supérieures après le bac, il offrait également une popularité certaine auprès de tous, élèves comme professeurs. De toute évidence, tout le monde rêvait d’intégrer leur bande. Tout le monde, à l’exception de moi. En aucun cas je ne voulais leur ressembler. Ils dégageaient des ondes négatives : leur simple présence me mettait mal à l’aise et leur cercle presque sectaire attirait les regards autant que les problèmes. Les membres de ce club affichaient un air supérieur et méprisant que je haïssais. Chacun d’eux représentait le cliché parfait de ces beaux gosses, égocentriques et imbus de leur propre personne. Il y avait quelque chose de sombre en eux, comme si des énergies néfastes gravitaient autour d’eux et leur procuraient le pouvoir. Sarah, ma meilleure amie, appelait ça « la classe » mais je ne voyais définitivement pas ce qu’il y avait de distingué dans leur allure, bien au contraire.

D’après l’historique de notre école, cette association avait toujours existé depuis l’édification du bâtiment au XIXème siècle jusqu’à ce jour… Evoluant avec les époques et les générations. C’était à se demander si le lycée lui-même n’avait pas été construit dans l’unique but d’abriter cette espèce de société secrète. Parce-que oui, il y avait clairement un secret derrière tout cela et ils en jouaient bien.

D’un naturel réservé et introverti, habituellement je me contentais d’esquiver la foule. Tentant au mieux de cacher mon désespoir, je faisais tout pour me rendre invisible. Mais s’il y avait bien un domaine dans lequel j’excellais, c’était les secrets. Ou plutôt leur révélation. Grâce à ma discrétion et ma faculté d’analyse hors norme, je pouvais aisément découvrir les vices les plus cachés et les divulguer au plus intéressé. Toutefois, c’était un talent dont je n’avais que très rarement fait usage. La plupart du temps je gardais ces informations pour moi, pensant que cela pourrait m’être utile un jour ou l’autre. Innocemment, cela me procurait une sorte de force, avoir une arme contre eux c’était avoir un peu de pouvoir entre les doigts. Et je comptais bien l’utiliser à bon escient, contrairement à eux.

En cette première matinée d’automne, je m’étais camouflée sous un sweat à capuche informe et un casque de musique trop gros pour mon visage, j’esquivais la cohue d’élèves qui se bousculaient pour arriver les premiers. Lorsque la sonnerie retentit, tout le monde se rua vers les couloirs et la cour se retrouva rapidement déserte. J’avais réussi à atteindre mon casier sans encombre où je déposai un maximum d’affaires, y compris mon sac. Ne gardant que les cahiers et manuels de mes premiers cours. J’en profitai pour jeter un œil à mon emploi du temps accroché sur la porte de mon casier, avec celui de mes amis et lâcha un soupir. Seigneur que je détestais cette période, il me tardait déjà d’être en vacances. Je pensais avoir retrouvé mon calme lorsque je sentis une main se poser délicatement sur mes épaules qui s’affaissaient. Je me raidis immédiatement à cette sensation, peu habituée au contact physique.

- T’inquiète Vic’ ça va bien se passer, me rassura Sarah.

Sa présence et son sourire me rassura. En un instant je me détendis et mes épaules s’affaissèrent à nouveau. Sarah était ma meilleure amie, sans savoir pourquoi ni comment, elle avait brisé les murs que je m’étais érigés. Elle s’était frayé un chemin au travers de ma carapace, pourtant bien solide. Et en un battement de cils, en un sourire, j’étais sous le charme de cette jolie fille aux cheveux châtains. À coup sûr, son joli minois avait raison de mon sale caractère. Elle jeta un œil par-dessus mon épaule pour vérifier nos emplois du temps respectifs avant de claquer la porte métallique.

- Je t’accompagne à ton premier cours ? Ma salle est dans le même bâtiment, proposa-t-elle.

J’acquiesçai en souriant et elle me prit par le bras pour m’entrainer avec elle.

La journée touchait à sa fin, mon dernier cours me parut exceptionnellement long. À travers la vitre, je pouvais observer en contrebas les premiers élèves sortir et se rejoindre devant les grilles. Je jetai un regard à l’horloge qui affichait 17 h 26, il ne me restait plus que quelques minutes à tenir. Lorsque l’aiguille afficha la demie, je me levai d’un bond et rassemblai mes cahiers, je sortis rapidement de la pièce avant que les autres n’aient le temps de se lever. Le professeur terminait à peine sa phrase que j’avais déjà quitté la classe sans me soucier de ce qu’il disait.

- Sur ce, au revoir jeunes gens et je vous prierais de bien vouloir attendre la fin du cours… avant de ranger vos affaires !

Il avait haussé le ton sur la fin de sa phrase pour qu’elle me parvienne jusqu’au couloir. Je m’étais stoppé dans mon élan en comprenant que cela m’était adressé.

- Oups… Soufflai-je en baissant la tête.

Je rejoignis finalement le hall où mes amis m’attendaient devant mon casier en discutant.

- Souris un peu, Emrick, le rôle de l’ado cynique ne te va pas du tout. C’est plutôt celui de Victoria, plaisanta Sarah.

- Je ne suis pas cynique, intervins-je en arrivant à leur niveau, je suis blasée. C’est différent !

- C’est vrai que rien ne trouve grâce à tes yeux.

Je levai les yeux au ciel en esquissant une moue faussement vexée. Par hasard, mon regard se posa sur le garçon le plus charmant de l’école. Alex, d’un an plus vieux que moi, il arborait des airs de garçon rebelle et une gueule d’ange à faire fondre un iceberg. Il avait tout pour me plaire et il me correspondait en tout point, à un détail près… Il était un membre avéré de l’Elite. Toutefois, son caractère méprisable n’avait pas eu raison de mon attirance à son égard. Déjà plus jeune, j’avais succombé à son attitude de bad-boy.

J’adressai un sourire malicieux à mon amie et l’invita à suivre mon regard.

- Bien sûr que si, certaines choses trouvent grâce à mes yeux…

- Ah oui en effet, j’oubliais le cliché type du beau brun ténébreux. Voyez-vous ça, serais-tu amoureuse ?

- Oh non. C’est tout ce que tu veux mais ce n’est pas de l’amour…

- Ta phrase est si lourde de sous-entendus… intervint Emrick l’air dégoûté. Par pitié ! Je te rappelle que tu parles de mon frère là. J’aimerais autant éviter d’avoir ce genre d’image en tête.

Il ferma les yeux et secoua la tête. Sarah et moi nous esclaffâmes. Emrick était mon deuxième meilleur ami, un garçon brun aux yeux bleu-gris, plutôt discret, qui ne faisait pas de vague. Il nous avait rejoint, Sarah et moi, tout naturellement et sans que je ne m’en rende compte, il s’était immiscé dans ma vie et était devenu la deuxième personne la plus importante à mes yeux. Depuis l’école primaire et jusqu’à ce jour nous étions tous les trois inséparables. Nous vivions dans le même lotissement, ainsi nous allions toujours en cours à pieds ensemble.

Nous continuâmes de discuter tout en marchant en direction de la sortie. Devant les grilles du lycée, la masse d’élèves se dispersa peu à peu, il ne restait plus que deux ou trois groupes d’individus qui flânaient. Parmi eux, les membres de l’Elite, évidemment. J’essayai de ne pas y prêter attention mais les voix de mes amis devinrent presque inaudibles, comme un léger bourdonnement à peine perceptible, un bruit de fond. Je ne les écoutais plus. Mon champ de vision se focalisa sur Alex, en un instant je ne voyais plus que lui. Il dansait d’un pied sur l’autre, les mains dans ses poches arrière tandis qu’il discutait avec sa clique. De temps à autres il baissait la tête pour sourire et la relevait en un petit coup sur le côté pour replacer une mèche de cheveux rebelle. Quand il écoutait ses amis parler, sa langue passait sur ses lèvres pour venir jouer avec le piercing en fer à cheval qui ornait cette bouche insolente. Le moindre de ses gestes me faisait craquer. Le temps était comme ralentit. Tout, autour de moi s’était presque figé.

- Allo, la Terre appelle Victoria ! M’interpela Emrick.

Je repris mes esprits en voyant sa main s’agiter devant mes yeux. Gênée, je redirigeais rapidement mon regard vers mes amis qui affichaient un air amusé. Je levai les yeux au ciel et engageai la marche, suivie de près par mes acolytes. Sur le trajet du retour, Emrick et Sarah échangèrent sur divers sujets. Je marchais entre eux tandis que je les écoutais d’une oreille distraite. Même entourée de mes deux meilleurs amis, j’avais encore du mal à trouver ma place. Je n’étais pas particulièrement timide ou réservée mais j’aimais rester en retrait pour les voir briller. Ils semblaient tellement à l’aise : à l’aise avec les autres, à l’aise avec eux-mêmes, à l’aise avec leur environnement. Quand je les voyais évoluer si naturellement, c’était comme s’ils étaient exactement à la place à laquelle ils devaient être. C’était beau à voir. J’admirais cette aisance en eux sans l’envier pour autant.

À cette saison, les jours raccourcissaient, mais la nuit n’était pas encore totalement tombée lorsque j’arrivais à la maison. L’ambiance du crépuscule automnal m’apportait un réconfort doux et silencieux.

Une fois postée devant chez moi, je me retournai pour prendre mes amis dans mes bras et leur déposer un long baiser sur la joue.

En passant la porte, la chaleur de la maison m’enveloppa et la douce odeur du dîner vint chatouiller mes narines.

- PAPA, MAMAN, je suis rentrée, hurlai-je dans la porte d’entrée, je monte me changer !

J’escaladai les marches de l’escalier quatre à quatre pour regagner ma chambre. Je me déshabillais rapidement et jetai mes vêtements au sol, une fois dans la salle d’eau, j’allumai la douche en réglant la température au maximum. Je m’observais dans le miroir, je n’aimais pas ce que je voyais. J’avais les cheveux ternes, le teint pâle et le regard fatigué, trop maigre pour être jolie. J’attendis que la buée ait entièrement recouvert la vitre avant de me hisser dans la cabine.

Une bonne demi-heure plus tard, je ressortis et m’enroulai dans un peignoir et descendis rejoindre mes parents dans la cuisine. Ils m’embrassèrent le front avant de s’installer à table.

Pendant le repas, nous échangeâmes quelques banalités auxquelles je répondais poliment sans rentrer dans les détails. Même avec mes parents, j’étais peu loquace. À vrai dire, je trouvais si peu de choses intéressantes que je ne voyais pas l’utilité de le verbaliser. En revanche, lorsqu’un sujet m’animait, je devenais soudainement plus expressive et plus enjouée. Malheureusement pour mon entourage, peu d’entre eux connaissait mes hobbys et je me gardais bien de les partager.

À la fin du repas, je débarrassais la table en silence avant de remonter les marches d’un pas rapide, pour rejoindre ma chambre. Une fois renfermée dans mon cocon, je m’installais à mon bureau pour faire mes devoirs rapidement. Je n’y accordais pas beaucoup d’importance et ne m’investissais que très peu dans mes études mais faire le strict minimum m’accordait une moyenne raisonnable tout en m’évitant de trop attirer l’attention. Lorsque la nuit fût totalement tombée, je relevais enfin le nez de mes cahiers. Les rayons lunaires qui perçaient au travers de ma fenêtre furent le signal que j’attendais. Je rangeai rapidement mes affaires dans mon sac et me changeai en vitesse.

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