CHAPITRE 4

9 minutes de lecture

Le week-end fût reposant, occupée à sortir avec mes amis ou jouer à des jeux de société avec mes parents, je ne vis pas le temps passer. Le lundi matin fût vite arrivé.

Au lycée, il ne fallut pas longtemps pour qu’un groupe d’élèves s’agglutine autour de ma nouvelle œuvre. En quelques minutes, à peine, les questions s’élevèrent dans un brouhaha significatif. Je perçu à la volée quelques-unes de ces interrogations. « Qui fait ça à ton avis ? », « Tu crois que le lycée a donné son autorisation ? », « Il faut qu’on écrive quelque chose ? » furent les plus récurrentes.

En rapport avec le thème de mon cours d’arts, j’avais décidé de donner un peu de vie à l’école. Je ne voulais pas abîmer les murs en briques de l’établissement, mais le mur gris qui encadrait les toilettes et le hangar à vélos était le support idéal pour mon projet.

J’y avais dessiné un nuage en forme de cerveau, entouré de brouillard et d’éclairs, avec des effets de mouvements comme pour représenter une tornade. Au-dessus, j’y avais écrit, dans une police travaillée, propre au graff, la phrase :

« Mur des lamentations, laisse aller ton imagination »

En effet, le journal interne de l’école ainsi que le blog sur internet et le club qui les dirigeaient étaient entièrement sous le contrôle de l’Elite. J’avais estimé qu’il était temps que d’autres puissent s’exprimer. Par cette manœuvre, j’espérais leur offrir une voix. J’étais bien placée pour savoir que les élèves les plus discrets étaient généralement ceux qui avaient le plus de choses à dire. Désormais, ce n’était plus qu’une question de temps avant d’observer un quelconque résultat. Cela dit, il y avait un risque. Je n’avais reçu aucune autorisation particulière pour peindre un mur de l’école, par conséquent la décision de le nettoyer ou de le recouvrir pourrait être prise par le Proviseur. Les élèves pourraient aussi être réticents et il se pourrait que personne n’ose ajouter quoique ce soit.

Je haussais les épaules et passai mon chemin. De toute façon, les jeux étaient faits, il n’y avait plus qu’à attendre.

Il ne fallut que très peu de temps avant d’avoir un résultat. À peine quelques heures plus tard, des tas de mots écrits au marqueur avaient recouvert le mur. Cela confirmait ce que je pensais, les gens avaient des choses à dire. Lors de la pause, encore plus de monde s’était agglutiné devant celui-ci pour y lire les messages des autres ou pour en écrire de nouveaux.

- Mission accomplie, chuchotai-je en esquissant un sourire.

Au moins, même s’ils décidaient de nettoyer ou repeindre ce mur. Tout le monde aurait eu l’occasion de voir et d’exprimer son point de vue.

Travailler sur ce projet, le mener à bien et observer le résultat en situation réelle m’avait aidé à y voir plus clair. J’avais réfléchi à beaucoup de choses. Cela m’avait permis de remettre pas mal d’ordre dans mes idées et je savais exactement ce que je voulais faire pour la suite.

Alors que je déambulais une fois de plus dans les couloirs, mes yeux se posèrent sur une de ces fameuses affiches de l’Elite. Exactement ce à quoi je pensais. Il était temps que je me préoccupe de cette fameuse invitation. L’annihilation par l’ignorance ne fonctionnait pas. J’allais donc affronter mes problèmes de face. Même si je mourrais d’envie de découvrir qui était derrière tout ça, j’avais de toute manière une excuse pour ne pas me rendre à cette soirée.

- Salut les amis !! Criai-je en me jetant au cou de mes meilleurs amis.

- Woh doucement, qu’est-ce qui nous vaut cet honneur ?

- C’est clair ! C’est bien la première fois qu’on te voir si enjouée. Ajouta Sarah.

- Eh bien, notre anniversaire arrive à grand pas et je me disais qu’on pouvait l’organiser… En plus il faut que je vous parle d’un truc.

- Victoria, vous venez de piquer ma curiosité, on ne vous a jamais vu si loquace, se moqua Emrick, du coup : ce soir chez moi ? Vous resterez dormir.

- J’apporte de quoi manger !!

Sarah, toujours très enjouée, ne cacha pas son enthousiasme. Nous étions tous les trois nés le même jour de la même année. Un 31 octobre. Le jour d’Halloween, plutôt ironique n’est-ce pas ? Et depuis le début de notre amitié, nous fêtions notre anniversaire ensemble devant des films d’horreur à grignoter.

Lorsque le soir fût venu, je me rendis chez Emrick après avoir récupéré quelques affaires chez moi. Sa maison se trouvait à l’autre bout de ma rue. Sarah, qui était arrivée avant moi, m’accueillit en sautillant. Son impatience était palpable. Elle me guida jusqu’au salon et m’invita à la rejoindre sur le canapé.

- Merci. Et où est notre hôte ?

- Dans la cuisine, il essaie de dégager son frère pour qu’on ait la maison pour nous.

- Où sont leurs parents ?

- À une soirée entre collègues, ils ne devraient rentrer que tard dans la nuit, intervint Emrick en nous rejoignant.

La soirée défila à une vitesse folle et je ne vis pas le temps passer. Sarah me lança finalement sur le sujet tant attendu.

- Alors dis-nous tout !! Qu’est-ce que t’as à nous dire ?

Je pris une profonde inspiration avant de sortir un papier de mon sac. Je leur tendis sans en dire plus. La minute qui s’écoula avant leur première réaction me sembla être une éternité, voire le double.

Il s’agissait de l’invitation que j’avais reçue dans mon casier quelques jours plus tôt. Au verso du carton, le papier était noir mat, ce qui mettait en valeur le message qui y était rédigé dans une belle écriture manuscrite avec la même encre dorée. Le texte disait :

Voici ton invitation formelle pour

La Nuit de l’Elite

Ce 31 octobre, vient célébrer Halloween en notre compagnie.

Tu es personnellement conviée à cette fabuleuse mascarade

Tenue de soirée et visage dissimulé sont donc de rigueur.

L’anonymat sera de mise, sauras-tu me retrouver avant minuit ?

A.

La lumière douce et chaleureuse qui émanait de la lampe halogène se reflétait sur les lettres, les mettant en valeur comme si elles étaient en relief.

- Oh mon dieu !! S’écria Sarah, ma meilleure amie va faire partie de l’Elite !!

Elle chantonnait déjà, en sautillant au milieu du salon comme une enfant le matin de Noël. Emrick, lui, restait impassible à cette nouvelle. Même s’il semblait s’amuser de la réaction de notre amie commune. Je me devais pourtant de mettre un terme à son enthousiasme démesuré.

- Oh doucement, ne t’emballe pas il est hors de question que j’y aille.

- Quoi ?! Mais pourquoi ?!

- Je n’ai jamais rien demandé moi ! Je n’ai aucune envie d’intégrer leur pathétique petite bande. Et puis, de toute façon, c’est le soir de notre anniversaire, je ne veux pas manquer ça.

- Tu réalises la chance que tu as ? Tout le monde rêve d’intégrer l’Elite, et toi, tu as reçu la fameuse invitation que tout le monde convoite…

- Là-dessus, elle n’a pas tort, appuya Emrick, je ne suis pas un fervent admirateur de ce club, mais il faut bien admettre qu’en être membre ouvre quelques portes.

J’affichai une mine renfrognée. Même mes amis, qui me connaissaient pourtant par cœur, semblaient être contre moi. Pensive, je cherchais un argument imparable qui les rangerait de mon côté à coup sûr. Emrick et Sarah se jetèrent un regard entendu, avant de relancer le débat.

- En plus, continua Emrick, c’est toi qui n’arrêtes pas de dire qu’il y a un mystère qui plane au-dessus d’eux. Est-ce que ce ne serait pas l’occasion de révéler tous ces secrets de l’intérieur ?

- C’est clair, confirma Sarah, qui mieux que toi, serait en capacité de réaliser un coup pareil ? Avec ta discrétion légendaire et ta curiosité maladive…

- Flatter mon égo ne me fera pas changer d’avis, la coupai-je.

- Je suis sérieuse. Et si c’est le fait de louper notre anniversaire qui te bloque, on peut trouver une solution tous ensemble.

Je jetai un regard à Emrick qui répondait à l’affirmative en hochant la tête. J’étais à court d’argument, de toute évidence ils avaient réponse à tout. Je soufflai bruyamment.

- D’accord, lâchai-je, avant de m’enfoncer dans le canapé les bras croisés.

Mes amis se réjouirent, tandis que je levai les yeux au ciel. Décidément, je ne comprenais vraiment pas l’effervescence qui gravitait autour de cette nuit. Les gens étaient toujours surexcités en abordant le sujet. Ce n’était pourtant qu’un bal de lycée, rien d’exceptionnel.

- Et pour notre anniversaire, ce n’est pas compliqué : Emrick et moi on s’occupe de tout ! Toi, tu te concentres sur la fête et sur l’identité du mystérieux « A. » qui a signé cette lettre.

Sarah m’adressa un clin d’œil pour ponctuer sa phrase, comme si la réponse était évidente…

- Et je fais comment pour être aux deux endroits à la fois, le même soir ?

- Rien de plus simple !! On passe toute l’après-midi et le début de soirée ensemble, tu te prépares ici avec nous et tu n’auras plus qu’à te rendre à la fête pour minuit. Puisque tu connais déjà l’identité de ton admirateur.

- Ce n’est pas un admirateur. Et d’après toi qui est-ce alors, puisque c’est si évident ?

- Vicky tu sais, par élimination ce n’est pas difficile à trouver, répondit Emrick, tu en connais beaucoup toi, des membres de l’Elite dont le prénom commence par la lettre A. et qui te connaissent en retour ?

Il y eut un long silence…

- Alex ?! M’écriai-je.

- Chut !! Oui, Alex, chuchota Emrick.

- Mais pourquoi est-ce que ton frère m’inviterait, moi ? À moins que ce ne soit encore une manière de me chambrer ?! Et si c’était un piège ?

- Un piège ?! S’esclaffa Sarah, tu y vas un peu fort, non ? C’est vrai qu’il te charrie souvent mais à ce point…

J’étais dubitative. Je ne voyais absolument aucune raison pour qu’il m’invite. J’étais la cible de ses railleries depuis presque quatorze ans et il accordait un soin tout particulier à me mettre hors de moi en toute circonstance. Peut-être était-ce cela, justement, la raison de son invitation : une occasion supplémentaire de m’agacer. Je grognai. Même à distance, il trouvait le moyen de me rendre folle.

- Ce qu’il peut être insupportable ! Râlai-je.

- Qui est insupportable ? Demanda Alex, qui venait de faire irruption dans la pièce.

- Tu choisis toujours ton moment, c’est à croire que tu le fais exprès.

Il leva les deux mains en l’air pour signifier son innocence.

- Doucement, je viens en paix. Je prenais juste un verre d’eau.

Je le fusillai du regard. Un silence pesant s’installa alors qu’il avalait son verre à grandes gorgées. Lorsqu’il ne resta plus une goutte il claqua son verre sur le bar et lâcha un long soupir dans une démonstration théâtrale. Il afficha un sourire en coin.

- Donc, vous parliez de moi.

- Je ne vois pas ce qui te fait dire ça, répondis-je, feignant une assurance qui me faisait défaut.

- Tu mens très mal Victoria… Heureusement que tu as d’autres talents, bien moins évidents si tu vois ce que je veux dire.

Et il s’en alla, laissant sa dernière phrase en suspens. Une phrase si lourde de sous-entendus qu’elle alerta mes deux comparses. Ils se tournèrent vers moi, en apnée avec de grands yeux ronds. Ce fût à mon tour de lever les mains pour me défendre.

- Je ne sais pas de quoi il parle, je vous assure.

- Et c’était quoi, ça ? Insista Emrick.

- Arrête, tu connais ton frère il en fait toujours des caisses. Je croyais qu’il devait sortir d’ailleurs ?! Râlai-je d’un ton accusateur.

Emrick haussa les épaules. Bien entendu, je savais qu’Alex faisait allusion à mon activité clandestine de graffeuse, mais je n’avais pas l’intention d’en parler. Je savais qu’il ne garderait pas le secret indéfiniment, savoir cela lui offrait un certain pouvoir sur moi. Mais je n’allais pas me laisser faire, il était hors de question que je le laisse dominer la partie. Il voulait jouer ? Alors nous allions jouer…

- Ok c’est décidé ! La mission Nuit de l’Elite est en marche. Je vais y aller et découvrir ce qui se trame, même si c’est à mes dépends.

Plus déterminée que jamais, j’avais finalement trouvé de quoi me divertir ces prochaines vacances. En attendant, le reste de la soirée s’écoula tranquillement en compagnie de mes deux meilleurs amis. Nous passâmes la nuit entière à regarder des films tout en grignotant. Le tout entrecoupé de fous rires et longues discussions. Pour la première fois depuis longtemps, un sentiment de soulagement m’envahit, je n’étais plus du tout préoccupée, comme si chaque chose avait sa place. Je profitais de ces instants de quiétude et de légèreté.

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