CHAPITRE 6

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Etonnamment, la semaine suivante se passa sans encombre et ce fût avec soulagement que nous arrivâmes aux vacances tant attendues. Il ne restait plus que quelques minutes avant que la dernière heure de cours ne se termine. L’attente était insoutenable. Lorsque la sonnerie retentit enfin, une effusion de joie et de soulagement éclata. Tout le monde couru à l’extérieur où je rejoignis mes amis.

Emrick était déjà posté devant les grilles, seul. J’étais pourtant l’une des dernières à être sortie. Le hall était vide et les lumières éteintes. Je regardai autour de moi.

- Elle est où Sarah ?

D’un signe de tête, il m’indiqua le parking un peu plus loin. Une voiture de sport jaune y était garée, je la reconnue immédiatement, un véhicule pareil cela ne courrait pas les rues par chez nous. Il s’agissait de la même voiture que j’avais croisée en pleine nuit plusieurs jours auparavant. Sarah était penchée en avant à côté de celle-ci. Les deux coudes appuyés sur le rebord de la fenêtre, offrant à son conducteur une vue plongeante sur son décolleté.

- D’accord, je vois, dis-je d’un ton amusé. Sur qui elle a jeté son dévolu cette fois ?

- Un pote de mon frère. Il est étudiant il paraît.

Emrick avait l’air particulièrement agacé, je l’avais rarement vu aussi irrité par quoique ce soit. Nous savions tous que Sarah était une séductrice née, elle avait l’avantage de son physique et savait user de ses charmes. Ce n’était pas surprenant de la voir s’exposer de la sorte. Nous avions d’ailleurs tendance à nous en amuser. Je tentai de détendre l’atmosphère en plaisantant.

- Tu la connais. Elle n’est pas très regardante sur ses conquêtes. Il lui suffit d’un garçon plus âgé pour qu’elle dévoile ses atouts.

- Plus âgé et plus friqué surtout ! Regarde-moi cette bagnole, encore un gosse de riche né avec une cuillère en argent dans la bouche.

- Ça, je ne te le fais pas dire. Mais on est quand même élèves dans le lycée privé le plus réputé de la région, on ne va peut-être pas trop se plaindre…

Contrairement à Sarah. Emrick et moi n’étions pas issus d’un milieu aisé. Nos parents respectifs avaient fait beaucoup de sacrifices pour nous offrir la vie que nous avions. Ils avaient lutté et travaillé d’arrache-pied nuits et jours pour gravir les échelons un à un. Ils dépensaient un gros pourcentage de leur salaire dans nos frais de scolarité.

Je lui assénai un coup d’épaule et le bousculai légèrement pour lui arracher un sourire.

- Si tu veux mon avis, ajoutai-je, ton frère aussi devrait revoir ses fréquentations. Il n’a pas l’air de choisir ses amis avec le plus grand soin non plus.

Quelques minutes plus tard, Sarah revint vers nous, le sourire aux lèvres. Exhibant fièrement un petit bout de papier sur lequel était inscrit « Dimitri » avec un numéro de téléphone. Je mimais des applaudissements et entamai la marche en direction de chez nous.

C’est ainsi que commencèrent officiellement nos deux semaines de vacances, à la fin desquelles tout serait différent, d’une manière ou d’une autre. Le compte à rebours était lancé. Il me restait une quinzaine de jour pour me préparer à cette soirée grandiose et à l’achèvement de celui qui m’y avait invitée. J’étais fin prête à faire la lumière sur tous les évènements liés de près ou de loin à l’Elite et à mettre un terme à cette comédie.

Le lundi matin, je me réveillai doucement à la lueur du jour. Les rayons du soleil, déjà bien hauts dans le ciel, perçaient au travers de mes rideaux et venaient caresser mon visage. La pièce était emplie de lumière et d’une chaleur stimulante. J’ouvris la porte vitrée et me rendit sur mon balcon pour profiter cette météo particulièrement douce. Malgré le temps ensoleillé, la saison automnale se faisait sentir. C’était un froid sec mais agréable.

- Enfin une belle journée. Soufflai-je, en respirant profondément.

- Salut dormeuse…

Une voix masculine s’était élevée depuis le jardin en contrebas. Je sursautai. Par réflexe, je resserrai la ceinture de mon peignoir. En me penchant un peu par-dessus la rambarde, je constatai qu’Alex était là, au beau milieu de ma terrasse, installé à mon salon de jardin.

- Ne sois pas pudique ce n’est que moi.

- Non mais qu’est-ce que tu fais là ?! Chuchotai-je, en alerte.

- Ne t’inquiète pas, tu es seule, j’ai vu tes parents quitter la maison ce matin.

Je me retournai pour voir à l’intérieur de ma chambre. Mon réveil affichait onze heures. Pour leur part, mes parents n’étaient effectivement pas en congés et embauchaient à neuf heures le matin.

- Tu plaisantes ? Ils ont dû partir il y a deux heures et demie !! Depuis combien de temps tu es là ?

- Longtemps. J’espérais te surprendre pendant une de tes escapades nocturnes.

- Comment tu es au courant de ça ?

- Je t’ai vue un soir. J’étais sorti avec mon pote Dimitri et tu escaladais ta gouttière quand il m’a ramené à la maison.

- La voiture jaune, ponctuai-je, me remémorant la peur que j’avais ressenti en croyant qu’elle me suivait.

- Je peux entrer ?

- Attends, je descends t’ouvrir.

Je m’éclipsai dans ma chambre et refermai la baie vitrée et les rideaux derrière moi. Je me précipitai dans la salle de bain pour me rendre légèrement plus présentable : je me brossai les dents, me coiffai, me passai de l’eau sur le visage. Je terminai par du parfum et un peu de déodorant, espérant que cela suffise avant de prendre une douche. Rapidement, je me vêtis d'un pyjama en soie composé d'un débardeur et d'un short. C'était une tenue de nuit légère, mais dans laquelle j'étais plus à l'aise que mon seul peignoir à même la peau.

Une fois prête, je descendis donc lui ouvrir la porte d'entrée. Je lui fis signe d'entrer et le guidai jusqu'à la cuisine. Je bénis mon père d'avoir laissé une cafetière pleine et encore allumée pour la maintenir au chaud.

- Assieds-toi. Tu veux un café ?

- Avec grand plaisir !

Pour une fois, je ne décelais pas la moindre forme d'ironie dans l'intonation de sa voix. Son enthousiasme était sincère. Je nous servis à chacun une tasse avant de m'asseoir en face de lui.

Il retira ses lunettes de soleil et rabattit sa capuche dévoilant son visage. Pour quelqu’un qui avait veillé toute la nuit dehors il semblait plutôt radieux.

- Alors, qu'est-ce qui me vaut l'honneur de ta visite ?

- Rien de spécial. Je passais dans le coin.

- Tu passais dans le coin. Répétai-je, sceptique. On habite l’un en face de l’autre.

- Tu vois que j’étais dans le coin.

- Ce que tu peux être chiant ! Grognai-je.

- Hey doucement ! Pourquoi tu t’énerves ?

- Alex, en quatorze ans d’amitié avec ton frère, tu n’as jamais foutu les pieds dans cette maison. Et maintenant que je fais partie des heureuses élues qui ont eu la chance d’être invitée par toi, je devrais être à tes pieds c’est ça ?!

- Attends, de quoi tu parles ?

Il avait l’air réellement surpris. Malgré tout, je ne laissai pas le doute s’immiscer. Trop d’indications pointaient vers lui pour qu’elles ne soient que des coïncidences.

- Viens, on monte, l’invitai-je en désignant les escaliers.

Il me suivit sans rechigner. Il avait soudainement perdu de sa suffisance habituelle. En pénétrant dans ma chambre, il prit le temps d’en observer chaque recoin en silence. Je n’y prêtai pas attention et me dirigeai vers mon bureau. J’extirpai l’invitation de sa cachette et lui balançai au visage.

- Je parle de ça !! Relançai-je.

Il regarda longuement le carton et esquissa un sourire.

- Alors déjà : félicitations. Mais qu’est-ce qui te fait dire que ça vient de moi ?

- Le « A. » en signature peut-être ?

Il me renvoya le bout de papier au visage.

- C’est un « A. » comme anonyme, idiote ! Personne ne signe son invitation, c’est le but du jeu !

- Et l’autre, ce n’est pas toi qui l’as invitée non plus ?

- Quelle autre ? De qui tu parles encore ?!

Alex avait l’air plus perdu qu’agacé, comme s’il cherchait réellement à comprendre.

- Agathe !!

- Agathe : la petite sœur de Kayla ? Demanda-t-il.

- Kayla ? Ta copine ?

- Ex-copine en fait, corrigea-t-il. On est plus ensemble.

- Vous être restés proches quand même. Lui fis-je remarquer.

- En effet… On est membres du même club. On était bien obligés de s’entendre. Mais ce n’est pas moi qui aie invité sa sœur.

Je levai les yeux au ciel. Je n’étais que moyennement convaincue par son excuse mais la pression était redescendue d’un cran. En revanche, toutes mes certitudes venaient de s’effondrer avec. J’avais l’impression, d’être revenue au point de départ. Je me laissai tomber au pied de mon lit, dépitée. Contre toute attente, Alex s’assit à mes côtés. M’épargnant une de ses remarques cinglantes.

Kayla et lui partageaient une histoire commune. Elle était l’une des filles les plus populaires du lycée, l’athlète de sa promo. En tout, elle pratiquait cinq sports différents par semaine. Equitation, danse, gymnastique, athlétisme et natation : elle excellait dans chacun d’eux, médaillée d’or à chaque compétition. Sans surprise, ce fût grâce à ces facultés qu’elle fût repérée et invitée par l’Elite à cette fameuse soirée, l’année précédente. À la suite de celle-ci, elle ne fût plus jamais la même. J’avais immédiatement remarqué son changement d’apparence et de comportement. Ainsi naquirent mes doutes et ma méfiance à l’égard de leur groupe.

À cette époque, je venais d’arriver au lycée, en classe de seconde. Kayla était une classe au-dessus de moi. À ce moment-là, elle n’était pas très connue et ne se faisait pas remarquer. Même en apparence, elle ne payait pas de mine, portait toujours des leggings trop grands et des sweats à capuches. Même ses cheveux blonds étaient à peine coiffés.

Puis les vacances d’Halloween arrivèrent et elle se rendit à la soirée du club, accompagnée d’Alex qui y avait été convié en même temps qu’elle. À la suite de quoi, elle revint à la rentrée, totalement métamorphosée. Ses cheveux tombaient en cascade le long de son dos et brillaient de magnifiques reflets roux, elle s’habillait de crop-tops et de jupes plissée mais en plus d’attirer les regards, elle devint soudainement plus loquace. Elle débordait de confiance en elle, mais été devenue plus peste aussi.

Alex aussi avait gagné en estime de lui par la même occasion, je trouvais cela charmant jusqu’à ce que son arrogance soit exacerbée. Il avait toujours adopté un ton sarcastique même quand nous étions enfants, la provocation était pour lui un moyen d’expression. Mais derrière cette image on pouvait facilement déceler son caractère docile et complexé. Je me souvenais encore au début de son adolescence, il venait d’adopter son look grunge pour se cacher derrière son style plutôt que dévoiler sa personnalité. Part de sa personnalité qui semblait avoir totalement disparue avec L’élite, il n’avait plus honte de se montrer et en abusait même parfois.

Et le phénomène se reproduisit, je le constatai à chaque fois, sur tous les nouveaux « élus » récemment intégrés à l’Elite. Il ne faisait aucun doute que quelque chose les unissait et leur procurait cette soudaine ardeur.

Après plusieurs minutes silencieuses passées à me remémorer les précédents évènements, j’étais toujours assise par terre adossée à mon lit. J’avais replié mes genoux vers ma poitrine pour y poser mon menton. Je soufflai bruyamment. Alex avait adopté la même position à mes côtés et ne semblait pas vouloir briser le silence non plus. C’était une situation particulièrement étrange, presque gênante. Depuis toujours, il était l’objet de mes fantasmes mais je n’avais jamais réellement été seul à seul avec lui. Encore moins dans ces conditions. J’étais habituée à ce qu’il tourne en dérision mais cette fois, il était beaucoup trop calme à mon goût. J’étais méfiante, il cachait certainement quelque chose.

- Alors, si tu n’es pas là pour me tourmenter, qu’est-ce que tu fais là ?

- Pourquoi tu n’arrêtes pas de dire que je te tourmente ?

- La raillerie est un mode de communication chez toi.

- Qu’est-ce que tu veux, ironisa-t-il, j’adore te faire chier.

- Ouais, et ça marche !

Je plissai les yeux d’un regard accusateur. Le Alex que je connaissais n’avait pas tardé à refaire surface. Toutefois, quelque chose était différent. Je ne savais pas l’expliquer, c’était comme si le temps était en suspens. Il était assis si près de moi que nos épaules se touchaient, un contact anodin en apparence mais il ne m’avait pas habituée à une telle proximité. J’avais rêvé tant de fois de cet instant, de me retrouver seule avec lui dans ma chambre. Il plongea son regard dans le mien essayant certainement de déceler la moindre de mes pensées. Pour une fois, je soutins son regard. J’étais curieuse de voir jusqu’où il était capable d’aller pour me déstabiliser et comment réagirait-il si c’était moi, qui le déstabilisais ?

Après quelques secondes qui me semblèrent une éternité, il baissa les yeux vers ses chaussures en riant. Qu’est-ce qu’il y avait de drôle ?

- On dirait que tu vas me sauter à la gorge, s’esclaffa-t-il.

« Si tu savais… » Pensai-je en mon for intérieur. Je mourrai d’envie de me jeter sur lui, mais pas pour l’agresser comme il semblait le croire.

Je regardai ses lèvres et j’imaginai le goût qu’elles pouvaient avoir. Je regardai ses mains et j’imaginai leur pression sur mes hanches. Je regardai son torse et j’imaginai sa chaleur contre ma poitrine. Il était irrésistible. Hélas, à sa réaction j’en conclus rapidement qu’il ne me voyait définitivement pas de la même manière.

Il se leva presque d’un bon, remis ses lunettes de soleil sur le nez et tira sa capuche au maximum par-dessus sa tête pour se diriger vers le balcon. Il sortit un paquet de cigarette de sa poche arrière et le porta à sa bouche. Il avait cette fâcheuse tendance à fuir le dialogue quand on lui posait une question qui l’incommodait mais je n’avais pas l’intention d’en rester là.

- Tu ne m’as pas répondu.

- À la base je voulais te surprendre pendant une de tes sorties nocturnes.

Il prit une longue bouffée de cigarette et jeta sa tête en arrière pour exhaler la fumée avant de poursuivre.

- Et puis quand j’ai vu que tu ne sortais pas, je me suis dit que tu étais peut-être déjà dehors alors j’ai attendu que tu rentres.

- Ok, déjà c’est bizarre mais passons. Et donc, à quel moment tu t’es dit que c’était une bonne idée de squatter ma terrasse en attendant que je me lève ?

Il rit et haussa les épaules pour seule réponse. J’allais sans doute devoir me contenter de ça.

- Je ne vais pas t’importuner plus longtemps je vais rentrer.

Il sauta sur la rambarde et s’accroupit sur le rebord de celle-ci pour se tourner vers moi. Je retins mon souffle par peur qu’il tombe.

- Au fait fillette j’ai oublié de te dire, Ajouta-t-il en glissant un doigt sous la bretelle de mon débardeur. Très mignon ça.

- Fillette ?!

Il m’adressa un dernier sourire moqueur avant de se laisser tomber dans le vide. J’étouffai un cri de surprise et me précipitai vers le bord pour m’assurer qu’il allait bien. Je le vis s’éloigner en direction de la rue en trottinant l’air de rien.

- Et j’ai une porte d’entrée ! Hurlai-je.

- Ce serait nettement moins impressionnant !

- Frimeur !

Je passai la première semaine des vacances à vivre en ermite. La nuit, je dormais peu, pour travailler sur de futurs projets artistiques. Je me reposais surtout le matin puis passais quelques heures par jour à faire mes devoirs ou réviser afin d’avoir tout le reste de mes vacances pour m'amuser. Avec ce rythme, la seconde partie de ces congés fût vite arrivée et en un clin d’œil je me retrouvai libérée de toute responsabilité. Je pouvais désormais pleinement profiter des sept jours restants avant la soirée.

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