CHAPITRE 10

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Je me réveillai hébétée, l’esprit embrumé et encore nue dans ce lit. Il me fallut quelques secondes pour que mes souvenirs reviennent. La première chose qui me revint à l’esprit fût mes échanges sensuels avec… Alex ?! Je tournai vivement la tête et constatai qu’il était bel et bien là, endormi à mes côtés, totalement nu et à peine recouvert. Alors ce n’était pas un rêve, et cette chambre non plus, me dis-je en observant la pièce. Les membres endoloris, je m’étirai et me massai la nuque. Un second souvenir refit surface : la douleur. Je me levai d’un bon et m’enroulai dans le drap qui couvrait à peine Alex pour me diriger vers le miroir. Je me tournai pour essayer de voir mon dos mais je ne vis rien de flagrant, j’essayais sous différents angles mais pas une blessure, pas une marque, pas même une piqûre d’insecte, rien. En proie au doute, les questions affluèrent par millier dans mon esprit.

J’attrapai mes vêtements qui jonchaient sur le sol et entrepris de me rhabiller. Il fallait que je sorte. Prise de vertiges et désorientée, des sueurs froides parcouraient mon échine.

- Tu prends la fuite ? C’était si mal que ça ?

Je me figeai. Dans le reflet du miroir, Je vis Alex qui s’était redressé et confortablement installé pour m’observer. Je tentai de recouvrer mon calme pour ne pas perdre la face.

- Non ce n’était pas mal.

- Juste « pas mal » ? Insista-t-il, faussement vexé.

- C’était vraiment bien, mais j’ai besoin de prendre l’air.

- Attends, ce n’était pas ta première fois au moins ?

- Il serait temps de t’en inquiéter, ris-je. Je suis moins prude que j’en ai l’air, tu ne croyais quand même pas être le prince charmant pour qui je me réservais depuis tout ce temps ?

Il eut l’air à la fois soulagé et irrité par ma réponse. C’était la vérité j’avais déjà eu quelques expériences lors des deux dernières années. Pour la plupart des histoires sans lendemain avec des garçons sans intérêt. Des aventures futiles que je devais à mon incapacité à m’attacher et à éprouver la moindre empathie. Par conséquent, je n’avais pas pour habitude de m’éterniser. Le simple fait de m’être endormie à ses côtés relevait déjà de l’ordre de l’exceptionnel. Bien que j’en fus heureuse, je n’avais pas l’intention de m’attacher et connaissant sa réputation je lui rendais service.

Malgré mes efforts, je ne parvins pas à cacher mon malaise plus longtemps. Je perdis l’équilibre mais en un battement de cils Alex accouru pour me retenir. J’étais chancelante. Il m’agrippa fermement les épaules et tenta de me raccompagner au lit.

- Tu devrais te reposer

- Non, j’ai besoin de prendre l’air

- Je te le déconseille, la fête n’est pas finie, il y a encore du monde et du bruit.

Sa voix était lointaine, elle n’était plus qu’un bruit de fond, j’avais le cœur dans les tempes et ma tête me faisait atrocement souffrir. Guidée par Alex, je m’écroulai sur le lit, la moitié du corps dans le vide et je fermai les yeux un instant. Quand je les rouvris, la pièce était vide, les vêtements d’Alex n’étaient plus là, lui-même avait disparu d’ailleurs. Je titubai jusqu’à l’extérieur de la pièce et déambulai dans le couloir sombre. Je prenais appuis sur les murs dont seul le contact de la pierre me maintenait dans un état de conscience. Guidée par la lumière et le bruit - un bourdonnement plus qu’un véritable son - je réussi tant bien que mal à atteindre les coulisses. Je jetai un œil à travers le rideau et vis Alex debout au milieu de la scène qui parlait avec le maître de cérémonie. Tout était flou, je percevais à peine leur silhouette. Je me glissai derrière une des enceintes et accédai aux escaliers. Je m’assis sur la première marche et descendis les quelques pas suivants sur les fesses, n’étant pas capable de les descendre correctement sans tomber.

Au niveau de la salle de réunion, ma vue était de plus en plus trouble et se couvrait d’un voile noir. De temps à autre, ma vision revenait par flash, je voyais défiler sous mes yeux des images délirantes et insensées. Un instant je voyais les invités figés, le regard vide comme en état de choc et des vêtements ensanglantés ; du sang. Partout. Puis l’instant d’après, une orgie de corps quasi-nus tous entremêlés les uns aux autres. Et de nouveau du sang. Après le bourdonnement dans mes oreilles vint le silence ; froid et implacable ; puis plus rien. Plus aucune douleur, plus de bruit, plus de visions étranges. Je ne sentais plus mon corps, comme s’il flottait, en apesanteur. Je me laissais aller au sommeil une nouvelle fois.

Ma nuit fût tourmentée, teintée de cauchemars et de sueurs froides. Je me sentais extrêmement fiévreuse et une douleur sourde emplissait tout mon corps ; j’avais l’impression que mon sang bouillait à l’intérieur de mes veines alors que ma peau était de glace. J’avais envie de hurler, d’appeler au secours mais rien n’y faisait : j’étais incapable de me réveiller et mon corps ne réagissait pas. Je m’imaginais me tordre de douleur, me griffer à m’en déchirer la peau et me contorsionner mais en réalité je restais statique, une statue de marbre allongée bien droite sur son autel. Était-ce à cela que ressemblait la mort ? Est-ce que la vie était en train de quitter mon corps ? Était-ce l’effet du fameux poison que j’avais bu ?

À maintes reprises durant cette interminable nuit, j’eus la sensation que mon corps et mon esprit se brisaient. La contradiction entre le calme apparent vu de l’extérieur et le combat que je menais en moi me terrifiait. J’étais comme prisonnière de ma propre enveloppe charnelle, sans possibilité de m’échapper. Et la douleur… Cette douleur constante toujours aussi vive, aussi perçante, qui partait de mon omoplate et se diffusait dans tout mon squelette. Des fourmillements dans ma mâchoire commencèrent à naître tant elle était contractée.

Après des heures de souffrance qui me semblèrent des décennies, dans un dernier soupir, mon souffle me quitta. Je sentis ma poitrine s’affaisser, mes poings serrés se relâcher et ma mâchoire s’entrouvrir. « Enfin… » pensai-je avec soulagement.

Je me réveillai en sursaut et pris une profonde inspiration comme après être restée en apnée pendant un long moment. Sous l’effet de la panique, je mis quelques secondes à ouvrir les yeux. J’entendis une voix féminine juste au-dessus de moi.

- Ça y est, elle est réveillée.

Encore hébétée, je balayai la pièce du regard en me redressant. Je me trouvais dans ce qui ressemblait à un appartement étudiant ou une chambre universitaire. On m’avait installée sur un canapé-lit au centre de la pièce, seul un bar sur ma droite servait de séparation avec une kitchenette toute équipée et de l’autre côté une cloison en papier semblait mener à une salle de bain. Malgré les rideaux fermés et un temps pluvieux, la pièce était baignée de lumière et les rayons du soleil passaient au travers de la fenêtre face à moi.

- Où est-ce que je suis ? Marmonnai-je, en portant ma main à ma tête.

Je m’assis difficilement en grimaçant. Le moindre mouvement réveillait des courbatures, je prenais conscience de muscles dont j’ignorais l’existence jusqu’alors. Tout m’irritait, l’environnement extérieur m’agressait : la lumière était trop forte et m’incommodait, le moindre bruit était assourdissant et résonnait dans ma tête ; même les odeurs qui parvenaient à mes narines me donnaient la nausée.

- Tu es chez moi, bienvenue.

Je sursautai. J’en avais presque oublié ma question. J’avais immédiatement reconnu cette fois masculine et nasillarde qui m’avait répondue. Instinctivement et sans que je ne m’explique pourquoi, je m’étais crispée et je me tenais sur la défensive.

- Wilfried ?! Crachai-je, sans que je ne puisse cacher mon aversion.

- Du calme belle Aster, se défendit-il, je ne te ferais aucun mal. Tu étais plus intéressante quand tu étais vivante.

- Tu dois te tromper, je m’appelle Victoria.

Je n’avais pas relevé la fin de sa phrase : son discours était incohérent et n’avait aucun sens, j’étais à peu près sûre d’avoir halluciné cette dernière. Je ne comprenais rien. J’étais désorientée. Tout cela me semblait être encore un de ces rêves des plus étranges.

- N’fais pas attention, intervint la jeune femme que j’avais entendue à mon réveil, Aster est le surnom qu’il t’a trouvé.

Elle s’était tenue dans mon dos depuis mon réveil, je n’avais donc pas eu l’occasion de l’apercevoir plus tôt. Je la fixais, incrédule, sans pouvoir réagir. Elle était exceptionnellement belle. Je lui donnais la vingtaine, elle avait de longs cheveux bruns et lisses et une peau de porcelaine. Un grain de beauté trônait au-dessus de ses lèvres rouges et pulpeuses. Elle avait une silhouette fine des formes voluptueuses, habillée d’une combinaison en cuir noir et un décolleté en forme de cœur mettait en valeur sa poitrine généreuse.

- Bonjour, je m’appelle Eva, se présenta-t-elle.

Je ne savais plus où donner de la tête ni comment réagir. Toute cette situation était surréaliste, j’étais incapable de faire face à cette charge d’informations insensées. La seule pensée rationnelle qui me traversa l’esprit fût l’idée de m’enfuir à toute jambe de cette maison de fous. Hélas, j’en étais bien incapable. Je me sentais si faible et perdue, c’était à peine si je pouvais ramper jusqu’à la sortie derrière moi.

En résumé : je me retrouvai convalescente pour une raison qui m’échappait, j’ignorais totalement où j’étais et comment j’étais arrivée là, le tout avec deux parfaits inconnus comme chaperons dont les intentions restaient à préciser. Je refusais de céder à la panique qui m’envahissait peu à peu, pourtant j’étais incapable de me concentrer. Je me sentais comme ralentie dans un monde où tout allait trop vite.

Je cru percevoir du mouvement à travers la cloison dans la pièce voisine. Puis je vis Alex en surgir propre et frais, seulement vêtu d’une serviette nouée autour des hanches. D’abord soulagée de retrouver un visage familier, ma méfiance ne tarda à revenir. Je le suivais du regard attendant des explications de sa part mais il ne m’adressa aucun mot et se dirigea vers la cuisine. Je le vis sortir des glaçons du frigo et les plonger dans un shaker métallique qu’il agita machinalement. Le bruit des glaçons qui se brisaient contre les parois me fit l’effet d’un marteau-piqueur sur les tympans. Il revint à mon niveau et me tendit la boisson.

- Tiens, bois ça, ça va te faire du bien.

- Qu’est-ce que c’est ?

- Remède anti-gueule-de-bois, recette perso.

Une gueule de bois ? Je n’avais pourtant pas l’impression d’avoir bu tant que ça. Je n’en étais pas à ma première soirée et je me connaissais plus résistante à l’alcool. Dubitative, je dévissai le bouchon, et approchai mes narines pour en sentir les effluves. L’odeur qui me frappa d’abord fût celle du café glacé, bien que plaisante, elle ne m’attira pas tant que ça à ma grande surprise. Puis une autre odeur me parvint, âcre et métallique, indéfinissable. Je continuai de renifler le breuvage sans réussir à en déterminer son contenu. Elle me rappelait étrangement la boisson du bal. Face au regard insistant des trois personnes dans la pièce, j’hésitai : peut-être que cette odeur métallique n’était due qu’au contenant en inox mais je préférais ne pas prendre de risque. Après tout j’étais dans cette situation à cause d’une boisson similaire donnée par Alex. Je déposai le gobelet sur la table à ma gauche. Je tenais d’abord à déterminer si j’étais otage ou invitée.

- J’ai besoin d’une douche, défiai-je en m’adressant à Alex.

- D’accord, suis-moi.

Il m’agrippa le poignet et m’attira jusqu’à la salle de bain. Ce fût à peine si mes jambes me portaient, je le suivais tant bien que mal, chancelante. Il ferma la porte à clef. Une fois enfermés, il s’assit sur la cuvette des toilettes et m’attendit. Otage donc…

- Tu comptes vraiment rester là ? Demandai-je, agacée.

- Crois-le ou non, c’est pour ta sécurité. Je ne voudrais pas que tu perdes connaissance dans ton bain et que tu te noies.

- Sans doute, ironisai-je, tu vas m’expliquer ce que c’est que ce cirque ?

Il alluma l’eau de la douche et la laissa couler.

- Ecoute, chuchota-t-il, je voudrais tout t’expliquer mais tu ne comprendrais pas. Pas tout de suite. Pour le moment tout ce que tu as besoin de savoir c’est qu’il y a un genre de rite de passage pour faire partie des nôtres. Passe-le et tu sauras tout.

- Un rite de passage, comme boire ce truc c’est ça ?! Criai-je, qu’est-ce qu’il y a dans ces boissons à la fin ?!

- Chut ! Tu le sauras bientôt, fais-moi confiance, tu ne te sentiras pas mieux tant que tu ne l’auras pas bu.

- Confiance. Tu veux que je te fasse confiance.

Je n’avais jamais été dotée d’une grande patience, en particulier avec lui, mais cette fois-là c’en fût trop. Je n’arrivai pas à garder mon calme. J’avais la désagréable impression d’être au beau milieu d’une mauvaise blague et cela ne me faisait pas rire du tout. Comment diable osait-il me parler de confiance alors qu’il ne me disait rien ? Quelques mois auparavant il m’ignorait encore et désormais je devais luis obéir aveuglément… C’était absurde. Alors que je sentais un élan de rage m’envahir, j’aperçu mon reflet dans le miroir : je ne me reconnaissais plus. J’avais les yeux injectés de sang, la peau sèche et les cheveux filasse, parsemés de mèches blanches. Mon maquillage coulait sur mes joues creusées, j’étais amaigrie voire squelettique. Voyant mon choc, Alex couvrit la glace avec une serviette.

- Ecoute-moi, je sais ce que tu ressens, on est tous passés par là mais tu dois m’écouter.

- Qu’est-ce que vous m’avez fait ?

- Victoria, tu as peur et c’est normal, tu te réveilles dans un endroit inconnu, tu as les nerfs à fleur de peau et tous tes sens sont en alerte. Si tu cèdes à la panique tu vas aggraver les choses.

- AH ! Parce-que je n’ai aucune raison de panique peut-être ?

J’étais furieuse et terrifiée, je tentai de m’enfuir mais il me rattrapa avant même que je n’aie le temps d’atteindre la porte. Il encercla mes épaules de ses deux bras, j’eus beau me débattre il restait impassible. En désespoir de cause, je finis par lui mordre l’avant-bras avec toute la force de ma mâchoire. Je sentis le sang affluer dans ma bouche. Soudainement et contre toute attente le calme revint. Le brouhaha incessant dans ma tête laissa place au silence et les douleurs disparurent. Je fermai les yeux, enfin détendue, profitant de ce sentiment de plénitude. Son bras toujours dans ma bouche, j’étais incapable de m’arrêter. Au lieu du dégoût, le goût de son sang me plaisait, il éveillait mes papilles comme du sucre pétillant avec l’acidité d’un fruit. C’était surprenant et addictif. Je suçotais légèrement pour ne pas en perdre une goutte. Il relâcha finalement son emprise me forçant à lâcher prise également. J’étais comme en transe, incapable de me contrôler. J’avais parfaitement conscience que c’était répugnant et une voix dans ma tête me hurlait d’arrêter mais le plaisir était plus fort.

Lorsque je revins à moi, je regrettai instantanément mon geste et fus prise de panique. Je regardai immédiatement son bras, inquiète, mais à la place d’une trace de morsure circulaire en forme de ma mâchoire se trouvait simplement deux petits trous ensanglantés. Dans l’incompréhension la plus totale, je me précipitai vers le miroir et arrachai la serviette toujours placée dessus. Je m’étais encore métamorphosée : cette fois mes dents, plus précisément mes canines avaient poussées. J’arborais de vrais crocs bien aiguisés. Du bout des doigts, je tâtai ceux-ci et fis pression sur mes gencives, la douleur qui s’éveilla me fit réaliser qu’ils étaient bien réels.

- Qu’est-ce qui m’arrive ? Soufflai-je, au bord des larmes.

- Tu te transformes en vampire…

Je levais les yeux au ciel, résignée à ne pas avoir d’échange constructif avec lui, je décidai d’ignorer sa mauvaise blague. J’étais vraisemblablement en état de choc et déboussolée. Je profitai donc que la baignoire soit remplie pour prendre un bain chaud et réconfortant. Je me déshabillai et plongeai dans l’eau fumante, ignorant totalement sa présence. J’étais habituée aux douches très chaudes, pourtant cette fois-ci l’eau me semblait brûlante, elle me faisait l’effet de milliers d’aiguilles qui me piquaient la peau. Le son de la pluie battante sur les vitres tambourinait dans mes oreilles. J’arrivai même à sentir l’odeur nauséabonde du goudron mouillé en contrebas. C’était comme si l’environnement entier m’agressait de par mes sens accrus. Je me laissai glisser dans le fond de la baignoire. La sensation de calme procuré par le sang d’Alex n’était qu’illusoire. Je craquai finalement, sous l’effet de la pression, de la peur et de la fatigue. Submergée par un flux d’émotions et de sensations, je pleurai à chaudes larmes, je sanglotais, je reniflai bruyamment, parfois je gémissais tant la douleur physique et mentale étaient insupportables. Je me laissai tomber en arrière et une fois la tête totalement immergée sous l’eau, je poussai un hurlement, un cri du cœur à m’en époumonner. Puis le silence à nouveau, comme si le monde s’était tût fasse à ma détresse. Je pus me concentrer sur les sensations qui me traversaient. En me redressant, je constatai qu’Alex s’étaient rapproché pour s’assoir sur le bord de la baignoire. Son bras n’avait plus aucune trace, aucune cicatrice, pas un filet de sang. Est-ce que j’avais encore halluciné ?

- J’étais sérieux, insista-t-il, comment tu expliques tout ça ?

- Je n’en sais rien. Tu m’as empoisonnée ou droguée, je fais peut-être une mauvaise réaction à un ingrédient… ou alors je suis malade, le patient zéro d’un nouveau virus, si ça se trouve c’est le début de la zombification.

Il rit.

- Donc tu n’as pas de mal à croire en une pandémie mondiale ou une vague de cannibalisme contagieuse… Pire encore, tu envisages que je puisse te vouloir du mal. Mais tu ne peux pas admettre l’existence des créatures de la nuit.

- Bien sûr que si. Je crois aux chouettes, aux renards et même aux moustiques figure-toi, dans le genre suceur de sang.

Il s’esclaffa de nouveau, il semblait réellement amusé par mon impétuosité. Pour ma part, l’humour était mon seul rempart face à la folie qui me guettait.

- Laisse-moi te le prouver dans ce cas. En douceur, cette fois, précisa-t-il.

Moyennement convaincue mais curieuse, je haussai les épaules et je me laissai guider.

- Tu vas te concentrer sur un seul de tes sens à la fois. Ferme les yeux, bloque ta respiration, laisse-toi flotter dans l’eau et écoute. Qu’est-ce que tu entends ?

Je m’exécutai, je concentrai toute ma conscience et mon attention sur mon ouïe. En effet, même allongée dans la baignoire avec les oreilles sous l’eau, j’arrivais à percevoir très clairement des sons que je n’eus aucun mal à identifier.

- J’entends la pluie qui s’abat sur la fenêtre.

- Mais encore ? Insista-t-il.

- J’entends les voitures passer sur la route en bas.

- Continue, va plus loin.

- J’entends les talons d’une piétonne sur le trottoir, elle vient de marcher dans une flaque d‘eau. Il y a autre chose, un bruit métallique comme un cliquetis, je crois qu’elle a un trousseau de clés à la main.

- Bien joué. Reprends ton souffle maintenant.

Je pris une longue inspiration avant de me rendre compte que l’air ne me manquait pas. Je n’étais pas essoufflée, ni étourdie. Alex m’adressa un sourire entendu.

- Recommence, avec ton odorat cette fois.

Je fermai les yeux, me mis les mains sur les oreilles et adoptai une respiration régulière. Je me concentrai sur l’air frais qui entrait par mes narines et l’air chaud que j’exhalai. Immédiatement, je tentai de porter mon attention sur le gobelet en métal que j’avais laissé dans l’autre pièce. Je n’y parvins pas de suite, au début je sentais l’odeur des savons au bord de la baignoire et celle de l’eau : le chlore, comme dans une piscine municipale. Puis ce fût une odeur sucrée et alcoolisé, légèrement fleurie : un mélange de rose, de cerise et de réglisse avec du patchouli et de la vanille. C’était le parfum d’Eva. En me concentrant encore un peu, j’arrivai finalement à sentir la boisson.

- Ça sent le café… mais il y a autre chose. L’odeur n’est plus la même que tout à l’heure, c’est plus appétissant…

- Tu connais cette odeur.

- Oui, je la reconnais mais on dirait… DU SANG ?! Réalisai-je soudainement.

Il acquiesçait silencieusement. D’un coup, j’étais dégoûtée d’avoir utilisé le mot « appétissant ».

- Le café couvre le goût et l’odeur du sang. C’est plus discret pour se nourrir en public.

- Vous êtes dingues, lâchai-je. Vous avez complètement craqué, c’est pas possible autrement. Vous le trouvez où en plus ?

- Tu verras. Alors tu me crois maintenant ?

- Non. D’accord, mes sens sont décuplés mais ça ne veut rien dire : les migraines ou l’hypersensibilité aussi peuvent provoquer ça.

- Et ton appétence pour le sang ?

Je grimaçai et secouai la tête pour seule réponse, espérant faire disparaître ce souvenir de ma tête.

- J’ai un dernier argument pour te le prouver.

Il me tendit sa main pour m’aider à me relever et sortir du bain puis me guida jusqu’au miroir. Je me postai devant celui-ci, m’attendant à ce que mon reflet ait disparu ou quelque chose de similaire. Au contraire, je pouvais toujours me voir mais je constatai avec stupéfaction que n’étais plus tout à fait la même.

Mes traits physiques n’avaient pas beaucoup changé mais pour la première fois en dix-sept ans d’existence, j’aimais ce que je voyais. J’étais toujours aussi mince mais mon corps était plus tonique, ma peau et mon teint restaient pâle mais plus lumineux et me donnait meilleure mine. Mes cheveux que je croyais perdus, étaient éclatants de santé longs, souples et brillants d’un noir lumineux aux reflets bleutés, avec de larges boucles bien définies. Mes yeux pétillaient d’émerveillement, je n’en revenais pas. À peine quelques instants auparavant, j’étais encore blême presque cadavérique et désormais j’arborais fièrement une silhouette fine mais harmonieuse et un teint resplendissant. Pour la première fois de ma vie, je prenais conscience de mon potentiel de séduction.

- Comment c’est possible ? Soufflai-je.

- C’est grâce à mon sang. Je te l’ai dit.

Je devais bien me rendre à l’évidence, une part de moi savait qu’il me disait la vérité pourtant je refusais d’y croire. Admettre que cela puisse être vrai impliquait beaucoup trop de choses. Tout ce que je croyais être des légendes depuis ma tendre enfance pouvait potentiellement être vrai. C’était tout mon monde qui s’écroulait, toutes mes certitudes remises en cause… Une tonne de question se bousculait dans ma tête.

Face à mon silence, Alex m’enveloppa dans une serviette. Le contact du tissu sur ma peau me fit sortir de ma torpeur. Je pouvais sentir la moindre fibre, le moindre fil de couture. Elle était douce, mais ma peau était si sensible je n’arrivais pas à savoir si la sensation était agréable ou non.

- Je vais avoir du mal à m’habituer à ces nouvelles capacités.

- Tu n’as encore rien vu, intervint Eva qui venait de faire irruption dans la pièce, je t’apporte des fringues à moi, ce sera plus confortable que ta robe de soirée.

Elle ne me laissa pas le temps de la remercier et repartit immédiatement. Je m’empressai de m’habiller avec la tenue qu’elle avait déposée sur le bord du lavabo.

- Je sais que ça fait beaucoup d’informations, mais chaque chose en son temps.

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