CHAPITRE 11

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Je me tenais donc là, recroquevillée dans un coin du canapé, au milieu d’une pièce pleine de vampires tandis que je sirotais mon café aromatisé au sang. Rien de plus normal. Alex était assis sur la table basse en face de moi, Wilfried sur une des chaises du bar dans mon dos et Eva se tenait debout près de la fenêtre. Les trois s’échangeaient des regards lourds de sous-entendus sans oser prononcer un mot. Je brisai le silence :

- Ils sont où les autres ?

- Quels autres ? Demanda Alex.

- Les autres élus.

- Il n’y a que toi cette année, répondit Eva, la plupart des invités ont choisi l’Elixir ou n’ont pas trouvé leur Emetteur.

- C’est tant mieux, ajouta Wilfried, votre génération est une vraie plaie.

Je m’écrasai un peu plus dans le fond du canapé, j’avais l’impression que chacune de ses paroles était une agression directe à mon égard. Je portai ma boisson à mes lèvres pour me donner une contenance. Effectivement le café camouflait bien le goût du sang, l’arrière-goût était présent mais pas dominant et très agréable en bouche… Mais pas aussi bon que celui d’Alex.

- Détends-toi, ça va bien se passer, cracha Wilfried avec dédain.

- Je viens de me réveiller dans une pièce inconnue au milieu d’une bande de vampires. Pardon si je ne suis pas au top de la sérénité.

- La bande de vampire, tu en fais partie maintenant, me fis remarquer Eva.

J’allai répondre mais me ravisai ne sachant quoi dire. Tout le monde était silencieux, l’ambiance était pesante. Tant de questions se bousculaient, j’avais besoin de réponses.

- Bon ok. Je suis un vampire, comme vous, et donc pourquoi moi ?

- Tu n’es pas sans savoir que l’Elite ne recrute que les membres dotés d’un talent particulier, répondit Alex d’une voix douce, mais est-ce que tu sais pourquoi ?

Je haussai les épaules pour seule réponse.

- Les humains qui sont naturellement doué dans un domaine voient leurs capacités décuplées après la transformation, pour devenir un véritable pouvoir.

- Tu parles du graff ? Conclus-je, ce n’est pas du talent c’est du travail.

- Je parlais de ta discrétion, en fait. Ta capacité à te fondre dans la masse sans te faire remarquer. Grâce au pouvoir vampirique et utilisé correctement, tu pourrais devenir redoutable et très utile.

- D’accord, et pourquoi faire ? Vous montez une armée ou quoi ?

- Tu ne crois pas si bien dire. Les vampires sont une race évoluée de l’humanité et forcément le plus grand prédateur terrestre n’a aucune envie de se retrouver en bas de la chaîne alimentaire. Certains nous traquent, pour diverses raisons et veulent nous voir disparaître.

- Et donc, vous comptez remplacer une domination par une autre, fis-je, acerbe. Logique.

- On maintient l’équilibre. On régule, se justifia Eva.

Je levai les yeux au ciel, peu convaincue par ses arguments et ne voulant pas entrer dans ce débat. J’avais déjà entendu ce discours teinté d’hypocrisie de la part d’humains. Eva continua quand même.

- Les humains se croient au sommet de l’évolution. Ils se pensent intouchables. Ils ont réuni et élevé leur bétail pour ne plus avoir à chasser. Ils surproduisent pour ne plus avoir à manquer de quoique ce soit et ils en ont oublié une loi fondamentale de la nature : tu peux toujours être une proie pour l’autre.

- Ces connards veulent nous exterminer, enchérit Wilfried, on ne les chasse que pour se nourrir et la plupart du temps on ne tue personne. Mais ces psychopathes nous font la peau pour le plaisir, ils récupèrent nos canines comme trophée ou font des expériences pour tester les limites de notre immortalité.

- Attendez, le coupai-je, moi aussi je suis immortelle ?

- Techniquement, nous sommes éternels, pas immortels, corrigea Alex.

- C’est quoi la différence ?

- Tu ne vieilliras plus, tu es insensible à la maladie ou aux infections. Même les drogues et poisons n’ont aucun effet. En revanche tu crains le feu, les pieux en bois, la décapitation et le soleil.

- Le soleil ? M’inquiétai-je en me tournant vers la fenêtre.

Eva ouvrit le rideau d’un geste vif, laissant la luminosité illuminer tout l’appartement, je sursautai et Wilfried feula comme un chat, mais rien de plus ne se passa.

- Ne t’inquiète pas : vitres anti-UV et rideaux occultants, tu ne crains rien ici. Dehors par contre, tu auras besoin de ça.

Elle me colla entre les mains un carton qu’elle avait ramassé derrière le bar.

- Le kit de démarrage du parfait vampire ! Par chance, tu possédais déjà la moitié des choses, c’est à se demander si tu n’étais pas prédestinée, plaisanta-t-elle.

Je jetai un œil à ce qu’il contenait et elle m’expliqua leur utilité au fur et à mesure. J’y récupérai dans un premier temps mon casque audio que je portais autour du cou lors de la soirée. Elle m’expliqua que c’était une très bonne chose pour couvrir les bruits parasites qui pouvaient être un peu trop agressifs pour notre ouïe fine et qu’Alex utilisait la même technique. Il y avait aussi une veste à capuche et une casquette, noires avec le logo de l’Elite dessus, au début réticente à afficher mon appartenance à leur groupe, Eva m’expliqua finalement qu’il s’agissait de textiles entièrement synthétiques qui ne laissaient pas passer les rayons ultraviolets. Ils avaient également ajouté une paire de lunettes de soleil et un gobelet réutilisable en forme de cannette de soda, avec une paille. Je souris face à une telle organisation. Ils avaient tout prévu.

- J’ai une autre question. Le sang que vous mettez dans les boissons, vous le trouvez où ?

- Tu le sauras bientôt, mais si tu ne veux pas te servir directement à la source, sache que la réserve est ici.

Elle ouvrit le petit réfrigérateur où s’entassaient d’innombrables poches de sang, semblables à celles que nous trouvions dans les hôpitaux. Je compris immédiatement que « se servir à la source » signifiait morde directement quelqu’un. Les images de moi me délectant du sang d’Alex me revinrent en tête et un frisson parcouru mon échine.

- Et qu’est-ce qu’il se passe quand on mord un autre vampire ?

Wilfried et Eva se tournèrent vivement vers Alex, comme un seul homme. Il leva les mains en l’air. Eva le fusilla du regard et me répondit d’une voix plus grave, sans détacher ses yeux de l’accusé.

- On ne le fait pas. C’est une règle tacite entre nous et tout le monde la respecte.

« Oups… » Pensai-je. Je sentais qu’ils ne me disaient pas tout mais sa réponse me dissuada d’insister.

- Et pourquoi il n’y a que vous trois ? Où est le reste des membres ?

- En temps normal, les novices sont accompagnés par leur Emetteur et le reste de l’Elite, me raconta Alex, mais comme ta transformation s’est passée dans des circonstances particulières…

- C’est ceux qui n’ont invité personne qui se retrouvent de corvée de baby-sitting pour bébé-vampire, le coupa Wilfried.

- Quelles circonstances ?

- Normalement, seul celui qui a invité un élu a le droit de le transformer, commença Eva, d’où l’intérêt de retrouver son Emetteur. Toi, tu as été transformée par Alex mais tu ne sais pas qui t’a invitée n’est-ce pas ?

Je hochai négativement la tête et haussai les épaules.

- C’est moi, avoua Alex.

- Putain mec t’es sérieux ?! S’exclama Wilfried, tu fais chier. En plus tu nous fous dans la merde pour rattraper tes conneries.

Dans l’incompréhension la plus totale, je les laissai s’écharper espérant comprendre la situation au détour de leur conversation.

- Tu sais très bien que le Major n’a pas le droit d’avoir un Novice.

- J’étais pas encore Major, techniquement. Et il n’y a qu’à vous que je pouvais demander ça.

- Tu parles, rejeta Wilfried.

- C’est quoi un Major ? Intervins-je, innocemment.

- C’est notre chef de secteur, pour une année. Il fait appliquer les lois, dirige et protège la communauté. Il n’a donc pas de temps à accorder à l’éducation d’un Novice. En plus il se doit d’être juste et impartial, s’il a un protégé sous sa coupe, il pourrait être accusé de favoritisme.

- Surtout s’il couche avec, accusa Wilfried.

Je baissai les yeux, me sentant soudainement coupable. Alex qui était resté silencieux jusque là se défendit enfin.

- Je sais faire appliquer les règles, j’ai pas dit que je les respectais.

- Tu parles d’un chef.

- Toujours aussi méprisant Wilfried, ironisa-t-il, ça fait chaud au cœur.

Le débat devint de plus en plus animé mais rapidement stérile et les garçons continuèrent leur confrontation sans le moindre argument constructif. Même si je ne comprenais pas tous les enjeux, je sentais que leur différend allait bien au-delà de ma situation. Eva les laissa faire et se pencha sur moi pour me susurrer à l’oreille.

- En bref, personne à part ceux dans cette pièce ne doit savoir. La version officielle est que tu n’as pas trouvé ton Emetteur et Alex t’a transformée dans un moment de faiblesse.

J’acquiesçai silencieusement. J’attrapai machinalement mon téléphone et lorsque l’écran s’alluma je réalisai soudainement l’heure qu’il était et le nombre de messages et appels en absence que mes amis avaient émis. Je rassemblais mes affaires en quatrième vitesse.

- Merde ! Il faut que je rentre.

- Où est-ce que tu vas ? Demanda Alex.

- Chez moi, mes parents m’attendent et mes potes vont s’inquiéter.

- Hors de question. Tu es encore trop jeune, tu vas être incapable de résister à tes pulsions.

- Ça, tu ne peux pas le savoir avant d’avoir essayé et je n’ai pas l’intention de rester cloîtrée.

- Là-dessus, elle n’a pas tort, Alex. Ce n’est pas en la renfermant dans une cage dorée qu’elle apprendra à voler, confirma Eva.

Il souffla bruyamment et ses épaules s’affaissèrent, il semblait se résigner mais ne céda pas pour autant. Il hésitait et avait l’air partagé. Nul doute qu’il ne savait pas quelle décision prendre.

- D’accord mais pas toute seule, conclut-il, de toute façon je dois passer chez moi aussi.

Les deux autres ne virent aucun inconvénient et acquiescèrent. C’était à se demander qui était le chef, en réalité. Je souris et me levai, prête à partir. Il attrapa également quelques affaires et m’accompagna jusqu’à la porte.

Nous étions dans un couloir sans fenêtre qui menait à un escalier en bois. Tandis que nous descendions les marches une à une, Alex se couvrait d’une veste à capuche de l’Elite et de lunettes de soleil. Je l’imitai. Au rez-de-chaussée, je fus subjuguée par la beauté du hall. Tout l’espace avait été aménagé en une superbe véranda entièrement vitrée où des centaines de plantes s’épanouissaient. Un lierre grimpait le long de la rambarde de l’escalier et la porte d’entrée était entourée d’une arche où de magnifiques roses fleurissaient. D’autres plantes aux couleurs et aux formes chatoyantes évoluaient jusqu’au plafond. J’en avais le souffle coupé.

- Wilfried est botaniste, expliqua Alex, enfin il l’est devenu après sa transformation. À la base il faisait partie de ma promo quand on a été recrutés par l’Elite. C’était le dealer de l’internat, il faisait pousser du cannabis absolument partout… cet idiot s’est fait exclure juste avant de passer le bac.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Demandai-je, intéressée.

- Il avait mis des plantations dans les faux plafonds de l’internat. Sauf que son don s’est décuplé après la transformation. Imagine la tête des pions quand ils ont découvert des branches sortir du plafond et envahir chambres, toilettes et salle de douches.

J’éclatai de rire, je ne m’attendais pas à une anecdote aussi ridicule. Alex continua de me raconter son histoire pendant notre trajet. Je l’écoutai attentivement en marchant à ses côtés. J’appris que les talents de Wilfried avaient été repérés car la connaissance des plantes était particulièrement utile dans l’élaboration de médicaments ou de poisons. À force de pratique, il s’était découvert une véritable passion pour les plantes en tout genre, presque une obsession. À tel point qu’il octroyait à tous les nouveaux arrivants un surnom en rapport avec une plante.

C’était la raison pour laquelle il m’avait appelée « Aster » à mon réveil, en référence à une fleur sauvage qui ressemblait à une marguerite violette, la couleur que je portais à la soirée. Tout s’éclairait petit à petit et en savoir plus sur lui le rendait moins antipathique. Même si ça n’expliquait pas son hostilité.

En un clin d’œil, je me retrouvai sur le pas de ma porte. Je m’étais tellement concentrée sur la voix d’Alex que je n’avais pas vu passer le trajet, faisant abstraction du bruit de la circulation ou des odeurs qui pouvaient me parvenir. Je m’apprêtai à rentrer mais il m’adressa une dernière mise en garde.

- Quand tu vas rentrer, tout sera différent. Pour l’instant, tu es suffisamment rassasiée pour ne pas faire courir de risque à tes parents, mais ça ne durera pas. Prépare-toi à cette idée.

- L’idée que je pourrais sauter à la gorge de mes parents comme un animal sauvage ?

- Entre autres. Je me charge de prévenir tes amis que je t’aie ramenée chez toi pour décuver. Personne ne doit connaître le secret de notre existence c’est clair ? Pas même eux.

J’acquiesçai. Donc aucun de ses proches, pas même son frère, n’était au courant. Sans le savoir, il venait de répondre à une question qui me taraudait l’esprit depuis le début. Il cachait donc sa vraie nature à toute sa famille depuis plus d’un an.

Je me décidai finalement à rentrer, espérant que ma métamorphose ne soit pas flagrante pour mes parents. Je me voyais mal expliquer mon changement aussi significatif en l’espace d’une nuit. Le silence régnait dans la maison et je ne vis personne. Je me hâtai de monter les escaliers jusqu’à ma chambre.

Enfin au calme, je m’écroulai sur mon lit faisant glisser ma capuche par inadvertance. Les rayons du soleil qui passaient par la baie vitrée me brulèrent instantanément le cou et le visage. Ma peau s’était consumée en une fraction de seconde. Dans un réflexe instinctif, je me laissai rouler jusqu’au sol et me cachai derrière le lit pour réajuster ma tenue. Je fis abstraction de la douleur pour me précipiter vers la porte vitrée et fermer les rideaux. J’entendis des rires en contrebas, aussi clairement que s’ils étaient sur mon balcon et je reconnus les voix de mes parents. Ils discutaient avec le voisin par-dessus la clôture. J’hésitai à descendre pour les saluer mais je ne voulais pas prendre le risque de brûler devant eux. Je me résignai, pensant mettre ça sur le compte de la pluie s’ils me posaient des questions. J’accédai à la salle d’eau pour voir l’étendue de mes blessures dans le miroir. La cicatrisation avait déjà commencé à faire son œuvre, j’eus à peine le temps de constater les dégâts que les cloques ne furent plus qu’une brûlure rougeâtre superficielle et en quelques secondes ma peau était de nouveau intacte. C’était bluffant. Je regagnai mon lit en toute sécurité cette fois et m’installai pour jeter un coup d’œil à mon téléphone. Une nouvelle notification s’afficha sur l’écran :

Alex vous a ajouté à un groupe

(Accepter) (Refuser)

J’acceptai et un autre message apparu.

Vous faites désormais partie de « l’Elite »

À peine un jour auparavant, j’aurais été ravie : j’avais accès à une source directe et inépuisable d’informations pour faire tomber l’Elite. Mais maintenant que je connaissais le secret qui les unissait, qui nous unissait, je comprenais qu’il en allait de leur sécurité -et de la mienne-. Pour autant, je ne comprenais pas pourquoi le cacher à mes meilleurs amis. Ils étaient loin de représenter le moindre danger. Si tant est qu’ils me croient dans un premier temps. En plus, ils étaient plus ou moins concernés : Emrick avait un vampire pour frère et un autre comme amie, tandis que Sarah draguait ouvertement Dimitri qui n’était autre que l’Ex-major de ce groupe de vampires.

Je n’avais pas fait le rapprochement de suite mais j’avais fini par faire le lien. Le Dimitri à la voiture jaune qui conduisait Alex partout était le même qui avait dirigé le bal de l’Elite. Et s’il avait laissé son numéro à Sarah, ce n’était peut-être pas pour les bonnes raisons. Je m’inquiétai soudainement pour elle, je ne tenais pas à ce qu’elle finisse en dîner. Je devais lui dire, il en allait de sa sécurité. J’ouvris notre conversation de groupe, mes amis m’avaient envoyé de nombreux messages.

Le trio infernal

Sarah dit : Alors cette soirée ?

Emrick dit : Apparemment elle a l’air de durer, mon frère n’est pas rentré non plus

Sarah dit : Vicky ? Toujours à la soirée ?

Emrick dit : Vous avez dormi là-bas ?

Sarah dit : Hey, on n’a pas de nouvelle depuis hier soir… Dis-nous quand tu es rentrée. J’espère que ça va.

Emrick dit : Mon frère vient de rentrer. Il dit qu’il t’a ramenée chez toi. Tout va bien ?

Victoria dit : Hi guys, désolée de vous avoir inquiété, je viens de me réveiller, je me souviens de rien !!

Sarah dit : VICKY !! On était super inquiets.

Emrick dit : Il paraît que tu as bien picolé, pas trop mal aux cheveux ?

Victoria dit : Ça va. Vous êtes toujours ensemble ?

Sarah dit : Oui, j’attendais de tes nouvelles pour rentrer.

Victoria dit : Bougez pas, j’arrive.

Je savais bien que j’allais m’attirer les foudres d’Alex mais je me devais de protéger mon amie et chez moi ou ailleurs, il était hors de question que je reste enfermée pour le dernier jour des vacances.

Je descendis les escaliers aussi vite que je les avais montés mais la voix de ma mère qui m’interpelait depuis la cuisine me stoppa dans ma course.

- Tiens chérie, tu es rentrée ? C’était bien ta soirée ?

- Oui oui, d’ailleurs je vais débriefer chez Emrick là.

- Oh, d’accord.

Elle ne cacha pas sa déception mais me laissa tout de même sortir. En arrivant chez mon ami, je sonnai à la porte et Sarah vint m’ouvrir. Décidément, elle faisait vraiment comme chez elle.

- Ah ouais, on sent bien le lendemain de cuite, se moqua-t-elle en voyant mon look débraillé et mes lunettes de soleil.

J’attendis qu’elle ferme la porte derrière moi pour retirer mon attirail. Heureusement pour moi, ils n’avaient pas encore ouvert les volets depuis la séance cinéma de la veille.

- Petit déj’ ? Me proposa Emrick.

- Non merci, grimaçai-je.

Bien que sa proposition d’un petit déjeuner en fin d’après-midi me fît sourire, la simple odeur des viennoiseries me répugnait. D’habitude je ne refusais jamais une pâtisserie, mes amis échangèrent un regard surpris mais haussèrent les épaules. Finalement, l’excuse de la gueule de bois n’était pas une si mauvaise idée.

- Alors, relança Sarah, qu’est-ce que tu voulais nous dire ?

Je n’avais absolument pas réfléchi à la question. Je devais leur dire la vérité mais leur annoncer de but en blanc n’était pas envisageable. Dans le meilleur des scénarios ils me prenaient pour une folle et dans le pire ils prenaient peur et cédaient à la panique.

Moi-même j’hésitai à mettre en danger toute l’Elite alors que je venais à peine de l’intégrer simplement pour éviter une mauvaise expérience à mon amie. Et je ne me sentais pas légitime à confronter l’ex-Major pour qu’il la laisse tranquille. Non pas qu’il m’effrayait mais le respect qu’il imposait à tous les vampires laissait sous-entendre que je ne gagnerais pas ce bras de fer. Était-ce l’une de ces règles tacites qui stipulait que nous lui devions une obéissance aveugle ? J’en doutais. Après tout, Alex était le nouveau Major si j’avais bien compris et mon sentiment à son égard n’avait pas changé. Je n’étais pas plus contrainte et forcée de le respecter qu’au préalable. Mais alors, peut-être pouvais-je lui demander de l’aide ? En tant que successeur, il avait certainement le pouvoir d’assurer la sécurité de Sarah.

- Allo, la Terre appelle Vicky, me rappela-t-elle.

- Oui désolée, repris-je après un long silence, bougez pas, je reviens.

Je filai vers les escaliers et montai les marches en quatrième vitesse. À l’étage, une petite mezzanine desservait trois portes : la chambre d’Emrick, celle d’Alex et celle de leurs parents.

Quand nous étions enfants, nous nous amusions à passer des messages à Alex par un système de fil tendu entre les deux fenêtres, depuis la chambre d’Emrick. Celle-ci étant la porte de gauche, je devinai qu’Alex se trouvait dans la chambre du milieu. Je l’ouvris sans prendre la peine de frapper. Il était en position semi-allongée sur son lit en train de pianoter sur son portable.

- Qu’est-ce que tu fous là ?!

- Oh ça va, je t’ai déjà vu à poil, l’intimité de ta chambre on n’est plus à ça près.

- Non, je voulais dire qu’est-ce que tu fais là : en dehors de chez toi ! Je savais bien que j’avais entendu le son de ta voix.

- Il fallait que je te parle, répondis-je en levant les yeux au ciel.

J’entamai alors tout mon récit du numéro de Dimitri à ma découverte sur sa nature, en passant par mes inquiétudes au sujet de ma meilleure amie et mes craintes pour sa vie. Alex m’écoutait attentivement, esquissant un sourire en coin à mesure que mon histoire avançait.

- Si ça peut te rassurer, Dimitri est le mec le plus droit que je connaisse. Il a un self-control à toute épreuve alors crois-moi, s’il s’intéresse à Sarah, ce n’est pas pour lui faire du mal. S’ils doivent se revoir, il aura l’air tout ce qu’il y a de plus humain.

Cela me rassurait un peu, mais je ne répondis rien. Je garderai tout de même un œil sur eux pour m’assurer qu’il ne lui ferait rien.

- En tout cas, je suis content de voir que la préservation de notre secret est au centre de tes priorités.

Cours toujours. Je lui adressai un sourire innocent, ne voulant pas le contre dire. La seule raison pour laquelle je ne voulais pas le dire à mes deux meilleurs amis était que je n’avais pas trouvé comment leur annoncer. Je fis volte-face m’apprêtant à quitter la pièce.

- Attends ! Me retint-il, tu ne veux pas rester maintenant que tu es là ?

- Pourquoi faire ? Demandai-je.

Il détourna le regard et ne répondis rien. Je haussai les épaules et retournai dans le salon. Emrick m’interpela immédiatement.

- Depuis quand tu rentres dans la chambre de mon frère comme ça ?

Depuis qu’il m’a transformée en monstre assoiffé de sang.

- Depuis qu’on a couché ensemble. Lâchai-je, avec le plus grand détachement.

- Pardon ?! S’écria Sarah.

- Alors vous êtes ensemble ? Réagis Emrick, presque en même temps.

- Oulah doucement, on a juste couché ensemble c’est tout, rien n’a changé et ça ira pas plus loin.

Je leur racontai cet épisode, ne lésinant pas sur les détails. De ce fait, je leur donnais matière à exploiter et je détournais leur attention du reste de la soirée et du secret bien gardé de l’Elite. Même Emrick eut l’air de s’y intéresser, malgré sa gêne. Il commençait enfin à se dévergonder un peu, peut-être que cette soirée seul avec notre amie commune avait eu du bon aussi, de son côté.

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