CHAPITRE 12

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Le lendemain, je sortis de chez moi pour me mettre en route vers le lycée. Mais c’était Alex qui m’attendait devant le portail, au lieu de mes deux acolytes habituels. J’avais comme une impression de déjà-vu. Il me tendit un thermos avec une paille dont je devinai le contenu et se pencha en avant pour me faire la bise. Une fois encore, il avait prononcé mon prénom à mon oreille en guise de salut. C’était une vraie manie chez lui, il l’avait également fait pendant l’acte, lors de notre folle nuit. Le souvenir de cette nuit-là, couplé à mes sens décuplés, me fit frémir. Surprenant, d’habitude quand quelqu’un me plaisait, il me suffisait d’assouvir mes fantasmes pour que je sois satisfaite et par la suite, je me désintéressai totalement jusqu’à trouver le nouvel objet de mes désirs. Avec lui, ce ne fût pas le cas, j’étais encore sensible à son charme sans que je ne m’explique pourquoi. Si c’était encore un effet secondaire dû à la métamorphose, je n’étais pas sûre d’être en accord avec cela. Être à sa merci et tributaire de mon attirance pour lui jusqu’à la fin de mes jours ne m’enchantait guère.

- Pourquoi c’est toi qui viens me chercher ?

- Petit déj’ à domicile, je ne tiens pas à ce que tu égorges mon frère sur le trajet.

- Très drôle. N’empêche, il va bien falloir que j’aie une réserve, moi aussi. Je ne vais pas fuir indéfiniment les repas de famille.

- Et tu vas faire quoi ? Ranger tes poches de sang dans le frigo de la cuisine, entre la salade composée et les yaourts ?

Touché. Je ne répondis rien, frustrée. Je me demandais comment, lui, arrivait à gérer la soif et où il se fournissait.

- L’idéal ce serait que tu ailles à la coloc’, déclara-t-il.

- La coloc’ ?

- Tu verras.

Nous marchions côte à côte, parlant de tout et de rien. Je mourrais d’envie de lui poser un tas de question sur le vampirisme mais je me retins. En arrivant devant le lycée, je me dirigeai immédiatement vers mes amis, mais Alex m’interpela.

- Attends, tu vas où ?

- Eh bien, rejoindre mes amis, dis-je en les désignant.

- Reste, il faut que je te présente les autres.

- Je reviens, grommelai-je.

J’avais beau faire partie intégrante de l’Elite désormais, je refusais de m’afficher à leur côté plus que nécessaire et je n’avais aucunement l’intention d’abandonner mes amis pour une quelconque popularité. En arrivant à leur niveau, je levai les yeux au ciel d’un air excédé, face à leurs regards interrogateurs. Je leur fis la bise et leur signalai de ne pas m’attendre pour rentrer dans l’école. Ils acquiescèrent avec un sourire en coin puis je rejoignis les membres du club.

Je m’intercalai entre Alex et Wilfried, qui avait tenu à se présenter devant l’école malgré son exclusion. Ils étaient les seuls que je connaissais suffisamment pour m’appuyer sur eux. Bien que contestable, leur présence était un pilier rassurant qui m’offrait le soutien nécessaire pour affronter le regard interloqué des autres. Agathe était présente aussi, j’adressai un regard interrogateur à Alex puis Kayla.

- Je croyais que j’étais la seule.

- C’est différent pour Agathe, m’expliqua sa sœur, ma famille est l’une des fondatrices de l’Elite. Nous sommes vampires de génération en génération, la soirée n’est qu’une formalité pour nous.

- Je vois… Répondis-je pensive, mais vous faites comment pour procréer ? Les vampires ne sont pas stériles ?

- Si. Les hommes de la famille restent humains, se marient, ont des enfants pour assurer la pérennité de notre lignée avant d’être transformés à leur tour, plus tardivement.

Je sentis une pointe d’amertume dans la voix de Kayla sans que je ne comprenne la raison pour autant. N’étant pas très proche d’elle, je n’insistai pas et haussai les épaules. Je restai passive tandis que tout le monde échangeait des banalités.

Je regardai vaguement autour de moi, cherchant une distraction. Un garçon au visage juvénile se dirigea dans notre direction le sourire aux lèvres et les yeux rivés vers Wilfried. Je me raidis, le pauvre ne savait pas à qui il allait se frotter. Je l’avais déjà aperçu dans un groupe d’élèves de seconde, il avait toujours un air innocent et un visage fin, presque féminin. Je me demandais ce qu’il pouvait vouloir à cette vipère ambulante et m’attendais à ce qu’il se fasse rembarrer d’un instant à l’autre. L’intéressé, le voyant approcher, afficha de nouveau ce sourire carnassier qui me fit frémir. J’observais la scène incrédule lorsque le jeune garçon se jeta littéralement au cou de Wilfried pour lui offrir un baiser fougueux et… vorace. Surprise, je restai bouche-bée et baissai les yeux. Je vis leurs mains s’entremêler et leurs doigts s’agiter dans une danse suspecte, ils venaient de procéder à un échange aussi rapide que discret. Le garçon fit volte-face, l’air satisfait, et repartit sans dire un mot, ni nous accorder la moindre attention. Je me retournai vers les autres qui n’avaient pas l’air surpris puis portai mon regard vers Wilfried, les sourcils froncés par l’incompréhension.

- Attends, je croyais que je te plaisais. Tu n’as pas essayé de me sauter dessus à la soirée ?

- Bien sûr que si, tu étais à croquer, dit-il m’adressant un clin d’œil.

- Ravi de savoir que je n’aurais dû être que ton dîner.

- Mais non, vu ta corpulence tu n’aurais été qu’un apéritif.

Je grognai et le transperçai du regard à travers mes lunettes de soleil. Tous les garçons de cette espèce étaient aussi insupportables ou j’étais juste tombée sur les plus agaçants ? Je me demandais comment Eva, dans toute sa douceur, arrivait à les supporter. Wilfried me bouscula légèrement par un petit coup d’épaule. Je me retournai vers lui, interloquée. Il tenait entre ses doigts un billet, à hauteur de son visage, je devinai toutefois son sourire derrière celui-ci. C’était donc cela qu’il avait récupéré, probablement en échange d’une quelconque drogue.

- Bien joué, le détournement de l’attention pour ne pas voir le subterfuge.

- Ça n’a pas échappé à ton regard attentif pourtant. Tu fais attention aux détails, c’est bien.

Tout le monde acquiesçait, visiblement impressionné. Kayla me détailla de bas en haut, les bras croisés sur la poitrine.

- J’avais émis quelques doutes, mais tu avais raison Alex. Elle peut nous être utile. Je ne sais pas qui l’a invitée, mais c’était une bonne idée de la transformer.

Voilà qu’ils parlaient de moi comme si je ne me trouvais pas juste en face d’eux. Je me tournai vers Alex, cherchant à détourner leur attention de moi.

- D’ailleurs, je ne t’ai jamais demandé ce que c’est ton don si particulier, à toi ?

- Le pouvoir de séduction très chère, avait-il dit en se redressant fièrement.

- Bien entendu.

J’avais levé les yeux au ciel en lui répondant. Avec les derniers évènements, j’en avais presque oublié son arrogance chronique.

Il sortit une cigarette de son paquet et la porta à sa bouche sans l’allumer puis il regarda tout autour de lui. Je percevais ses yeux plissés à travers ses verres fumés comme s’il cherchait quelque chose. Son attention se porta finalement sur un trio de jeunes élèves, deux filles et un garçon. Le sourire au coin des lèvres et le regard amusé, il s’adressa à moi :

- Admire et apprend.

Il se dirigea vers eux d’un pas lent et assuré en roulant des hanches. Son corps semblait glisser tant sa démarche était gracieuse. Il émanait de lui une force d’attraction presque palpable que tout le monde semblait sentir au vu du nombre de regards tournés vers lui. Les trois adolescents dont il s’approchait se figèrent en le remarquant. Arrivé à leur niveau, Alex se planta devant le garçon et plongea son regard bleu-gris dans les yeux de son interlocuteur.

- Salut.

Même à une distance conséquente, je percevais sa voix comme s’il était toujours à mes côtés. Il avait parlé d’une voix de velours, grave et sensuelle, presque un ronronnement. Sa dernière syllabe était restée en suspension dans l’air, il avait laissé cet instant planner un peu avant de poursuivre sa phrase.

- Tu aurais du feu ?

Il parlait lentement. Le garçon hocha vivement la tête et lui tendit son briquet sans décrocher le moindre mot. J’arrivais à percevoir les battements de son cœur qui tambourinaient dans sa poitrine de manière totalement irrégulière. Alex attrapa l’objet, prenant de soin d’effleurer la main déjà tremblante du jeune homme. Dans une lenteur excessive, il alluma sa cigarette sans détacher son regard de lui. Il s’apprêta à lui rendre mais stoppa son geste.

- Je le garde, en souvenir.

Comme hypnotisé, le garçon baissa la main et ne répondit rien, acquiesçant silencieusement. Alex hocha la tête en guise de remerciement gardant son sourire en coin puis il revint à notre niveau. Tous ses amis lui adressaient un sourire amusé. Pour ma part, j’étais encore une fois en prise au doute. Alors c’était cela, son super-pouvoir vampirique : séduire quiconque pour le manipuler à sa guise dans une espèce d’emprise hypnotique. Est-ce qu’il l’utilisait sur moi aussi ? Cela expliquerait beaucoup de choses. Depuis combien de temps ?

- Je vois, lâchai-je, et tu vas utiliser les sentiments de ce pauvre garçon pour le faire tourner en bourrique ?

- Oh crois-moi, intervint Wilfried, ce gars et tout sauf gay, il n’éprouve aucun sentiment pour notre séducteur.

- Les effets se dissipent quand Alex détache son regard et disparaissent totalement avec la distance, me rassura Kayla.

- Mais pour moi alors ?

- Quoi toi ? Demanda Alex.

- Eh bien, tu as utilisé ton pouvoir sur moi j’imagine.

Il afficha un large sourire, que je ne sus interpréter puis il gonfla le torse pour me répondre.

- Ça dépend, je te fais encore de l’effet ?

Je me renfrognai et grognai pour seule réponse. Hors de question de flatter son égo ou de lui laisser l’occasion d’avoir une quelconque emprise sur moi. Kayla m’adressa un sourire doux et continua ses explications.

- Les vampires sont insensibles aux pouvoirs de leur congénères. Si tu étais sous l’emprise d’Alex, l’hypnose se serait annulée lors de ta transformation. Donc ce qu’Alex veut dire, c’est que si tu éprouves encore une attirance envers lui, alors elle est naturelle.

Bien que ces révélations ne me réjouissaient pas, je préférais tout de même rester maître de mes émotions, ou en tout cas, l’unique instigatrice. Il y avait au moins une chose en moi qui n’étaient pas de cause surnaturelle.

Je n’avais pas manqué de remarquer la douceur de Kayla à mon égard. Je la voyais depuis toujours, en particulier depuis sa transformation, comme une fille froide et hautaine. En sachant ce que j’éprouvais pour son ex, je m’attendais à affronter un torrent de jalousie et des remarques cinglantes mais, à ma grande surprise, il n’en fût rien. Au contraire, elle avait même l’air protectrice, comme Eva.

- Au fait, Eva n’est pas là ?

- Non, elle ne fait pas partie de l’établissement, elle ne va plus au lycée, me répondis Alex.

- Lui non plus, fis-je remarquer en désignant Wilfried du doigt.

- Ouais mais moi j’ai encore des contacts ici, elle par contre, elle est trop vieille pour ça.

- Je me demande quel âge elle a.

- Elle est de la génération de nos parents, réfléchit Alex, donc je dirais la cinquantaine.

- En âge humain, précisai-je.

- Oh ! Vingt ans, se corrigea-t-il.

Eva était donc à ma connaissance, le vampire le plus âgé de la bande. Je savais les membres de l’Elite plus nombreux que cela sans savoir combien exactement et si celle-ci s’étalai sur des générations je me doutais qu’il me restait encore beaucoup d’autres à rencontrer.

La sonnerie annonçant le début des cours retentit, me faisant sursauter tant elle me parut forte. Même lorsqu’elle eut fini de sonner, un acouphène tinta dans mes oreilles. Premier jour de cours post-métamorphose : c’est parti ! Alex et les autres terminaient leur cigarette tandis que je me dirigeais vers les grilles.

- Rendez-vous au club à la pause, me lança le nouveau Major.

J’acquiesçai et me rendis à mon premier cours. Dans le couloir, la classe d’Emrick patientait devant la salle d’informatique et mes camarades devant la porte du laboratoire de langues, juste en face. Les élèves des deux classes attendaient l’arrivée de nos professeurs respectifs dans un rang désorganisé et…bruyant.

J’avalai discrètement une gorgée de ma boisson avant de rejoindre mon ami qui discutait avec deux de ses camarades de classe. Il s’agissait de deux garçons réputés pour être d’excellents basketteurs, mais pas très futés et surtout, loin d’être tendres avec les filles. Discrètement, je tendis l’oreille dans leur direction. Dans un premier temps, ils se plaignaient de ne pas avoir reçu d’invitation pour la soirée malgré leur « incroyable talent sportif » et demandaient à Emrick de faire du forcing auprès de son frère. Puis la conversation dévia rapidement vers moi.

- Ou alors demande à ta pote là… Comment elle s’appelle déjà ? Tu sais la brune, insista le premier.

- Tu l’as vue d’ailleurs ce matin ? Demanda le second, comment elle est devenue canon !!

Emrick ne répondit rien, visiblement gêné et oppressé par cette soudaine familiarité. Ce fût le moment que je choisis pour intervenir.

Je débarquai vers eux, enroulant mon bras autour de celui d’Emrick et lui déposais un long baiser sur la joue. Lorsque je reportai mon regard sur les deux loubards face à nous, j’adoptais une expression faussement surprise et leur adressai un sourire aussi charmeur que possible dont Alex avait le secret.

- Oh salut les gars, tout va bien ?

- Euh ouais… Oui, commença le premier.

- En fait, continua le second, on demandait à notre pote si notre invitation ne s’était pas perdue en route, tu vois ?

- Et donc, maintenant que tu es là, repris le premier en posant une main sur mon épaule, on pourrait peut-être s’arranger.

- Ah oui, je vois, dis-je d’une voix niaise, mais voilà il y a un problème : l’élégance et l’une des règles fondamentales et immuables de l’Elite, vous comprenez ? Donc vous imaginez bien qu’avec vos méthodes de rustres, vous risquez d’entacher la réputation du club. Le talent ne fait pas tout Messieurs.

J’avais ponctué ma phrase d’un large sourire faisant scintiller mes canines. Les deux explosèrent de rire mais ne trouvèrent rien à répondre. Ils partirent au fond du rang sans demander leur reste. Mon professeur arriva sur la deuxième sonnerie et nous pria d’entrer dans la salle de classe. J’adressai un clin d’œil à mon meilleur ami qui me remercia d’un signe de tête et je passai la porte.

La première heure de cours fût une véritable torture. Un horrible vacarme m’assénait les tympans : entre le tic-tac incessant de l’horloge murale, le cliquetis des stylos, les chuchotements intempestifs et surtout, la trentaine de battements de cœurs différents que je percevais… En plus d’effluves abominables qui me répugnaient dès le matin. C’était un mélange de sueur, de dentifrice à la menthe, de tabac froid mêlé à l’haleine alcoolisée de mon professeur d’anglais.

Nerveuse, j’avalai frénétiquement plusieurs gorgées de ma potion magique. Rien n’y faisait, j’agitai ma jambe convulsivement prête à sauter à la gorge du premier venu. Je bu encore quelques gorgées de plus, puis encore une. Je scrutais le moindre mouvement, mes canines se plantaient dans ma lèvre. Une autre gorgée.

- Mademoiselle Hamon ! Vous serez priée de ranger ceci.

Je sursautai à l’entente de mon nom de famille. Cet enseignant avait pour habitude de nous appeler par nos prénoms. Je compris donc rapidement que ce vouvoiement soudain n’était pas tant un signe de politesse, que pour assoir son autorité et me signifier sa colère.

- Vous n’êtes pas censés apporter à boire ou à manger dans les salles de classe, annonça-t-il à l’attention de tous mes camarades, les chewing-gums sont également proscrits.

À ces mots, il passa entre les rangs et tendait une poubelle à quiconque était en train de mâcher, un bruit parasite en moins, merci. – Qui donc pouvait bien mâcher un chewing-gum à la première heure du matin ? – Il me fit signe ensuite de me lever.

- Je vous demanderais de terminer votre petit-déjeuner dehors.

Plus soulagée que réellement affectée par cette exclusion, je m’exécutais en silence.

Dans le couloir, les bruits, bien qu’encore audibles, étaient toutefois supportables. Je sortis donc mon cahier et m’assis par terre pour prendre des notes du cours qui se déroulait de l’autre côté de la porte. Quelques minutes avant la fin de l’heure, mon professeur M. Tellier, fit irruption dans le couloir avant de conclure son cours. L’espace d’une seconde, je pu lire la surprise sur son visage quand il me vit. Il s’attendait sans doute à ce que j’ai déserté comme l’aurait fait n’importe quel autre élève. Il jeta un œil à mon cahier toujours entre mes mains et esquissa un sourire.

- Ravi de voir que l’Elite garde encore sa rigueur dans la sélection de ses membres, observa-t-il.

À peine deux semaines auparavant, j’aurais rétorqué que ce club n’avait d’Elite que le nom mais je comprenais désormais toute l’ampleur de ce sobriquet. J’avais presque tout le corps enseignant dans ma poche grâce à cette réputation. Cependant, je ne voyais pas encore ce que cela représentait réellement et jusqu’où je pouvais jouir de ces privilèges ? Je ne percevais pas le poids de la mission qui l’accompagnait et la bataille à laquelle j’allais forcément prendre part.

****

Lorsque la pause tant attendue fût arrivée, je me précipitai vers l’extérieur. Dans le hall, je croisai Sarah et Emrick qui discutaient devant les casiers.

- Coucou, j’espérais vous voir justement. Je viens d’être conviée à la première réunion de l’Elite post-mascarade. Les choses sérieuses commencent.

- C’est pas trop tôt, râla Sarah, je commençais à me demander s’ils ne t’avaient pas prise pour être leur mascotte.

- Oui, je vais enfin savoir ce qui se trame chez eux.

Je ne mentais pas vraiment, même si je savais leur secret, je voulais comprendre la raison de leur existence. Il fallait que j’en apprenne plus sur leurs motivations et sur ce combat qu’ils menaient. Au final, ils ne m’en avaient pas dit beaucoup, hormis leur aversion pour l’espèce humaine dont les raisons m’étaient encore obscures.

Je me dirigeai vers le second bâtiment, réservé aux clubs et au CDI puis montai les marches jusqu’au premier étage où se trouvaient les salles réservées ; le rez-de-chaussée étant entièrement consacré au théâtre. Dans le couloir, je repérai la porte de l’Elite, la seule sur laquelle était affiché un panneau sens interdit.

J’y entrai et fût immédiatement stupéfaite par l’aménagement de la salle. Je m’attendais à une vieille salle de cours banale avec d’anciennes tables abîmées par les générations précédentes et tout au plus un vieux poste informatique. Il n’en était rien. Les quatre murs étaient cachés derrières de grandes bibliothèques, remplis d’innombrables livres anciens aux couvertures de cuir. Un coin restauration avec une cafetière était aménagé dans le fond de la pièce. Au centre de celle-ci se trouvait une petite table ronde, autour de laquelle divers poufs, fauteuils et autres sièges étaient installés. Bien entendu, les rideaux étaient tirés plongeant la salle dans la pénombre.

Alex, Kayla et Agathe étaient déjà arrivés et s’étaient installés sur les fauteuils, je pris place sur un siège à côté et attendit que les discussions démarrent. L’ambiance étaient glaciale, Alex était affalé sur son fauteuil à ma droite avec une jambe sur l’accoudoir et son casque vissé sur les oreilles. Tandis que les deux sœurs, assises en face de moi, se fusillaient du regard en silence.

J’avais l’impression d’avoir loupé un épisode, mais bizarrement je ne percevais pas d’animosité envers moi particulièrement. Pour une fois, je ne semblais pas être le sujet de leur discorde. Plusieurs élèves, de Terminale principalement, nous rejoignirent. Ils débarquèrent dans la pièce brisant subitement le silence par leurs voix fortes et leurs rires. La plupart d’entre eux ne me disaient rien tandis que je reconnaissais vaguement les autres, j’avais déjà croisé certains d’entre eux dans l’établissement sans réellement les connaître. Rien de remarquable en soit mais je constatai rapidement qu’ils étaient tous d’une beauté à couper le souffle. Ils me souhaitèrent la bienvenue et m’accueillirent chaleureusement. Je me détendis grâce à eux et les conversations allèrent bon train. J’étais fascinée par l’esprit de cohésion qui les unissait.

Alex se redressa finalement et pris la parole, sa prestance naturelle s’imposa soudainement à nous. Tout le monde se tût et les regards se tournèrent vers lui : sa position de Major était flagrante. Il n’opérait pas une influence contrainte et surnaturelle comme avec son pouvoir, c’était plus subtile. Il lui suffisait de le vouloir pour que cela opère. Son langage corporel parlait pour lui.

- Bien, annonça-t-il, comme vous le savez Victoria vient d’intégrer l’Elite. Je vous ai donc réuni pour organiser son initiation.

- Tu vas découvrir le Monde de la Nuit, s’enquit un garçon au look de rappeur des années 90.

- C’est vrai ça, comment ça se fait que vous vous exposez au grand jour, demandai-je, puisque vous vivez la nuit vous n’êtes pas censés dormir ?

- Tu n’as pas remarqué que tu ne dormais plus ? m’interrogea une autre fille aux cheveux bruns très courts.

- Je suis insomniaque, dis-je en haussant les épaules.

Du coin de l’œil, je surpris Alex et Kayla échanger un regard et baisser la tête pour réprimer un sourire. Notre Major reprit la parole.

- L’intérêt de s’exposer aux yeux de tous est un camouflage. La légende veut que les vampires dorment d’un sommeil de plomb en plein jour ou restent reclus jusqu’à la tombée de la nuit.

- Si on se montre parmi la foule, les Traqueurs nous prendront pour des mortels et les soupçons pèseront moins sur nous, continua Kayla.

Traqueurs, mortels… Ces mots que je connaissais pourtant, sans en percevoir la dimension qui les caractérisaient, prenais soudain tous leur sens. Je me rendais doucement compte que j’étais confrontée à un tout autre univers. « Mortels » … Celui-ci raisonnait en moi tout particulièrement. Comme une voix lointaine qui me ramenait à un vague souvenir. J’avais traversé l’enfer pour devenir immortelle. Je me souvins de la douleur, la brûlure…

- C’est vrai que je suis morte ce soir-là, murmurai-je d’une voix monotone et le regard dans le vide.

- On préfère parler de renaissance, me reprit Kayla, d’ailleurs c’est ce que nous allons fêter pendant ton rituel d’initiation.

- En quoi ça consiste ?

- Eh bien, nous allons organiser ton enterrement.

Je sursautai à l’évocation de ce mot et mon sang se figea d’un coup. Si mon cœur battait encore, il aurait sûrement loupé un battement. Tous les autres membres, au contraire, signifièrent leur enthousiasme dans une effusion de joie non dissimulée. Je m’imaginais déjà enfermée dans un cercueil et enterrée vivante -ou presque- forcée à sortir par mes propres moyens, telle une goule au beau milieu d’un cimetière. Je me sentis blêmir, en plus de ma pâleur vampirique, j’avalai difficilement ma salive et pris une respiration inutile.

- Prépare-toi, mercredi on t’enlève, continua-t-elle en m’adressant un clin d’œil.

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