CHAPITRE 16

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Il m’accompagna jusqu’à l’extérieur affichant toujours ce même air narquois et mesquin. Son sourire franc et ses yeux plissés cachaient quelque chose. Son bras était toujours posé sur mes épaules, j’avais rarement été aussi près de lui. Je profitai de cette proximité pour l’observer plus en détail. J’avais toujours eu du mal à comprendre les arrières pensés d’Alex, mais à côté de Wilfried, il était un livre ouvert. Je ne parvenais pas à deviner ses intentions et c’était très perturbant.

- Qu’est-ce qui me vaut ta sollicitude tout d’un coup ? demandai-je.

- Je n’ai jamais aimé les petites choses fragiles mais tu es devenue nettement plus intéressante depuis que tes instincts se sont réveillés.

- Intéressante pour quoi ? Qu’est-ce que t’attends de moi ?

- Rien de particulier, je suis juste curieux. J’ai envie de t’accompagner et de voir ton éclosion.

Je me doutais que ce soudain intérêt n’était pas anodin mais lui aussi avait attisé ma curiosité. Je n’avais pas besoin d’allié, cette querelle ne concernait qu’Alex et moi, cependant il pourrait m’être utile à d’autres niveaux.

- Initie-moi, lâchai-je de but en blanc.

- Plait-il ? réagit-il, visiblement surpris.

- Les autres n’ont pas arrêté de me trimballer partout comme une mascotte, je veux leur prouver que je peux participer.

- On n’apprend pas aux Néophytes à se battre. La première année on les initie à nos règles, à notre mode de vie, on les sensibilise à notre politique… Mais tu apprends vite alors si tu te comportes bien, tu pourras commencer les entraînements d’ici cet été.

- Je n’ai pas l’intention d’être votre animal de compagnie pendant tout ce temps.

Je vis une lueur salace traverser son regard et son sourire s’élargit dévoilant ses crocs. Il s’approcha encore un peu de moi et caressa ma joue, ses lèvres étaient à quelques centimètres des miennes et ses doigts enserrèrent ma gorge.

- Quel dommage, susurra-t-il, j’aimerais tellement tenir la laisse.

Sa main autour de mon cou ne me serrait pas outre mesure, je pouvais sentir sa prise mais ce n’était en rien douloureux. Je le repoussai pour me dégager. Il soufflait le chaud puis le froid en une fraction de seconde, j’avais du mal à le suivre. Alors qu’il s’apprêtait à revenir à l’assaut, j’usais de mon pouvoir pour me rendre translucide. En silence, je me déplaçai sous l’un des arbres du jardin intérieur. Des spots lumineux au sol éclairaient le terrain mais je restai camouflée dans l’ombre. Je l’observais qui me cherchait. Il regardait tout autour de lui, cherchait à déceler ma présence dans la nuit, sans succès : j’étais derrière lui.

- Je maîtrise déjà mon pouvoir, insistai-je en me rendant de nouveau visible, apprends-moi à me battre.

- Très bien, céda-t-il, avec un peu de chance ça aura le mérite de me divertir et puis si ça peut faire chier notre Major au passage, c’est du bonus.

- Pourquoi tu le détestes autant ?

- Je ne le déteste pas, je le provoque. La colère fait ressortir ce qu’il y a de mieux en lui, c’est juste qu’il n’en a pas encore conscience.

C’était une étrange manière de lui montrer son dévouement mais cela faisait certainement sens dans la tête d’un pervers à moitié sociopathe. Je me tenais donc prête, impatiente de débuter mon premier entraînement. Wilfried se dirigea sous les arcades ouest et ouvrit une grande porte métallique. Il me fit signe de le suivre. J’entrai dans la pièce qui ressemblait à s’y méprendre à une cave sombre et insalubre. Il referma la porte derrière moi et ma vision nocturne pris le relais. La pièce était encore dans son état brut avec des murs en pierres et la dalle de béton en guise de sol. À l’intérieur, j’y trouvais un tas de portants sur lesquels étaient accrochés des vêtements de combat, plusieurs râteliers permettant de ranger verticalement toutes sortes d’armes, des mannequins de pailles alignés les uns à côté des autres et des cibles accrochées aux murs. Il y avait également un sac de frappe suspendu au plafond et quelques machines de musculation.

- D’abord, tu dois trouver ton arme de prédilection.

- Comment ça ?

- Chacun d’entre nous a son arme, celle avec laquelle on est le plus à l’aise. Moi par exemple je m’en sors à merveilles avec des chaînes.

- Comme c’est étonnant, ironisai-je.

Il esquissa un sourire puis il s’écarta du passage pour me laisser visiter à ma guise. Je flânais entre les objets, les touchant du bout des doigts pour me familiariser avec leur contact. Je m’attardai alors sur le présentoir des lames : les couteaux, épées, haches et autres objet tranchants attirèrent mon attention. Wilfried se rapprocha.

- Une arme blanche alors, conclut-il, je t’aurais pourtant imaginée plus à distance, avec une arme à feu par exemple.

- Je ne suis pas faite pour rester en retrait.

- J’ai cru comprendre, oui.

Wilfried se pinça les lèvres en regardant le choix qui s’offrait à moi, il semblait sérieusement étudier la question. Il commença par me tendre une épée, la maniant avec précaution. C’était une imposante épée entièrement en acier avec un pommeau entouré de cuir noir. Sur la lame, cinq croix chrétiennes étaient gravées. Avant de me la céder, il me confia qu’elle avait appartenu à Jeanne d’Arc au XVe siècle.

- L’épée de Fierbois, chuchota-t-il admiratif, son histoire reste encore incertaine. Seules les personnes présentes lors du convoi vers Chinon connaissent la vérité sur cette épée.

- Comment vous avez fait pour l’obtenir ? m’exclamai-je, je croyais que personne ne savait où elle était.

- Personne ne sait officiellement, la combattante l’a offerte à mon père quand elle a quitté Lagny-sur-Marne en 1430. Il était un chevaucheur royal pour le compte de Charles VII, il venait d’avoir dix-sept ans à l’époque.

- Ton père ?

Mon interlocuteur ne releva pas ma question. Si son père était âgé de dix-sept ans en 1430 alors il devait approcher des six-cents ans à l’heure actuelle, s’il était encore de ce monde. C’était bien plus vieux que notre supposée Reine.

Je tendis les paumes prête à recevoir ce présent mais lorsqu’il me la céda, je fus surprise par le poids de celle-ci. Je ne parvins pas à la retenir et la pointe s’écrasa au sol dans un bruit fracassant. Wilfried me réprimanda avant de récupérer le vestige. J’affichai un air désolé.

- Tu as une force hors du commun et tu n’es pas capable de manier une arme humaine…

- J’ai été surprise c’est tout, me défendis-je, de toute façon elle m’avait l’air émoussée.

- C’est normal ; à cette époque les épées avaient pour vocation de briser les os, pas de trancher. Peu importe, elle était trop précieuse pour être entre tes mains. Voyons pour quelque chose de plus léger, une arme d’hast par exemple.

Il me tendit alors une sorte de lance. La hampe était longue, depuis le sol elle était bien plus haute que moi, avec une lame en pointe et une garde en forme de S.

- Celle-ci s’appelle un nunti, elle a été interceptée par un vampire, il y a environ cinq-cents ou six-cents ans, lors d’un échange commercial entre la Chine et le Japon.

Je me saisis fermement du manche en bois et me retournai pour faire face à l’un des mannequins. Dans mon mouvement, je manquai de percuter Wilfried avec l’autre bout du bâton, il dû esquiver au dernier moment ce qui me valut un grognement mécontent de sa part. Je tentai tout de même une attaque et plantait la pointe de mon arme directement dans l’homme de paille, là où aurait dû se trouver son cœur. Celle-ci resta bloquée dans le torse de ma victime. Je forçai en arrière pour la retirer et fût déséquilibrée. Je m’apprêtai à asséner un coup sur le côté mais l’arme était trop longue et difficile à manier. Mes gestes étaient lents et désordonnés. Wilfried arrêta le massacre en m’arrachant l’objet des mains. Dans un silence absolu, il fît le tour du râtelier et attrapa une lame plus petite, de la longueur de mon avant-bras environ. Elle était excessivement fine, le manche était blanc conçu dans un matériau solide et poli comme de l’ivoire.

- Essaie ça, dit-il simplement, c’est une percemaille.

Je l’attrapai et constatai qu’elle était bien plus lourde qu’elle n’en avait l’air mais maniable et équilibrée. Sa pointe était forgée dans un alliage fort et résistant malgré sa finesse. Prête à l’essayer, j’envoyai quelques coups en direction du mannequin, elle se plantait sans effort. Prise au jeu, je m’essayais à quelques enchainements. Wilfried, qui m’avait observé silencieusement, me fit signe d’arrêter et s’approcha. Il me retira l’arme des mains et la retournai avant de la rendre. Je la tenais donc à l’envers : de sorte à ce que la lame pointe vers mon coude. Il s’écarta et me fis signe de reprendre. Je fléchis les jambes comme pour bondir et remontai mon bras au niveau de mon visage. Simultanément, je tendis mon bras et exécutai une rotation de mon buste d’un quart de tour. Par ce mouvement, la lame était venue se loger directement dans la tempe du mannequin et je me retrouvai de profil réduisant sa cible en cas de riposte – s’il s’agissait d’un adversaire bien réel-. Satisfaite, je continuai mes enchainements avec grâce et agilité. Je vis le visage de Wilfried s’éclairer d’une lueur d’espoir. L’air pensif, il prit une seconde lame au même endroit et me la lança. Je l’attrapai au vol et la regarda attentivement, les deux étaient identiques.

- Ce sont des lames jumelles, expliqua-t-il, elles ont été forgées ensemble et les os qui ont servi à confectionner le manche viennent du même humain.

- Attends, des os humains ? répétai-je, choquée.

- Tout à fait, un fémur pour chacune, pour être exact.

Rebutée, je ne les tenais plus que du bout des doigts. Beurk. Je m’apprêtai à les reposer mais Wilfried me retint.

- Ne joue pas les prudes. Si tu apprends à te battre, tu vas forcément tuer des gens, il faudra t’y faire.

Il était dur, mais il avait raison. Je devais me rendre à l’évidence, les humains – certains d’entre eux tout du moins – étaient mes ennemis. Je réfléchis un instant. Après tout, si je ne l’avais jamais su pour les os, je serais tombée sous le charme de ces deux merveilles. D’un autre côté j’étais mal à l’aise à l’idée de toucher les ossements d’un cadavre sans doute retrouvé incomplet. Ce pauvre homme ou cette pauvre femme devait reposer six pieds sous terre sans ses jambes. Comme si ce n’était pas suffisant d’avoir utilisé un os, il fallait que je me serve de deux armes.

- Pourquoi deux ?

- J’ai observé ta manière de te battre : tu n’utilises pas ton bras gauche. Il ne te sert ni à t’équilibrer, ni à stabiliser ton arme, ni à parer les coups. Autant le mettre à profit.

Je réessayais donc, avec deux lames cette fois-ci. Celle tenue en main droite était toujours à l’envers et remontait le long de mon avant-bras mais je tenais la seconde à l’endroit qui pointait vers l’avant. En effet, j’étais très à l’aise. Il ne me fallut que quelques secondes pour apprivoiser cette méthode de combat. De mon bras droit, je lançais un coup à revers au niveau du visage suivi d’un coup droit dans les flans avec mon bras gauche. Je bondissais et tournais autour de ma cible, restant constamment en mouvement.

- Parfaites… murmura mon entraîneur, les dagues je veux dire.

- Ouais, je les aime bien, avouai-je.

- Elles ont été conçues par notre maître d’arme mais il n’a jamais trouvé quiconque doué d’ambidextrie qui soit capable de les manier. Elles n’ont donc jamais appartenu à personne et n’ont aucune histoire… À toi de l’écrire.

J’étais ravie de cette page vierge qui se présentait, il ne tenait qu’à moi d’en faire une légende. C’était exactement ce dont j’avais besoin. J’aspirai déjà à de grandes batailles où mes poignards nous mèneraient à la victoire.

- Assez joué, place aux choses sérieuses. Rejoins-moi sur le terrain d’entrainement quand tu seras prête.

- Je te suis.

Déterminée, je lui emboîtai le pas.

Mon nouveau comparse se posta au nord et je me positionnai au sud face à lui. Il se tenait droit comme un piquet alors que j’étais déjà en position de combat, de toute évidence il ne me prenait pas au sérieux comme adversaire. Je me rapprochai sans comprendre.

- Voilà ce que je te propose, suggéra-t-il en allumant une cigarette, je vais rester là sans riposter et si tu parviens à me toucher avant que j’arrive au filtre je t’enseignerai l’art du combat.

- T’es sérieux ? Tu vas juste rester planté là et attendre que je te porte le premier coup ?

- Alors quoi, t’as peur de pas y arriver ?

- Tu rigoles, c’est presque trop facile.

Il prit sa première bouffée et me la souffla au visage.

- C’est ce qu’on va voir.

- Challenge accepté.

Je fis volte-face et m’éloignai d’une dizaine de pas. Lorsque je fus prête, je me remis face à lui et lui adressai un clin d’œil. Il me répondit par un sourire en coin et tira une seconde bouffée sur sa cigarette. Lames en mains, j’usais de toute ma concentration pour garder tous mes sens en éveil. Ne pouvant pas utiliser mon pouvoir, je me déplaçai à une vitesse fulgurante pour l’empêcher de suivre mes gestes. À pas de loup, j’approchais dans sa direction, restant à bonne distance. Mes pas ne laissaient aucune trace dans la terre humide, les feuilles ne craquaient pas sous mes pieds, j’étais légère comme l’air. Je courrais tout autour de lui dans un cercle parfait. Lorsque je me retrouvai derrière ma cible, je m’apprêtai à lui planter ma lame dans le dos mais il esquiva au dernier moment. Ce n’était pas passé loin, mais je n’avais pas réussi à le toucher. Je sautai en l’air et tentai une attaque par-dessus. J’atterri sur ses épaules et mis ma lame sous sa gorge mais il me projeta à plusieurs mètres de distance. Je m’écrasai lourdement contre le tronc de l’épicéa qui se tenait là. Sans réfléchir, je me redressai d’un bon.

- Concentre-toi Victoria, murmurai-je à moi-même en fermant les yeux.

Je calmai ma respiration. Lorsque je rouvris les yeux, je focalisais toute ma concentration sur mon adversaire. Mon champ de vision se rétrécit, je ne percevais plus rien autour, que sa silhouette. Il prit encore une bouffée. Sa cigarette était consumée à moitié. De nouveau alerte, je le chargeais de pleine face à la vitesse d’un éclair, espérant qu’il n’ait pas le temps de percevoir ma présence. Sans succès, il fit un pas de côté et dans mon élan, je tombai à plat ventre dans la terre. Au lieu de me relever, je lui envoyai un coup de pied sec au niveau des chevilles, ce qui le fit chuter. Tant qu’il était en position de faiblesse, je me redressai au-dessus de lui et posai un pied sur son torse pour le maintenir allongé. Il tira de nouveau sur sa cigarette en toute sérénité et se dégagea en un clin d’œil par une roulade en arrière. Alors qu’il était à peine debout, je ne pris pas le temps de me repositionner et fonçais sur lui. Je feintai un coup de dague de ma main gauche et lorsqu’il voulut l’esquiver il manqua de s’empaler sur mon autre lame, que je tenais au niveau de sa ceinture. Il percevait ma présence et mes mouvements, mais il ne voyait pas que ma seconde arme était si proche de lui. Il était à ma merci, il me suffisait de tendre le bras et je gagnai le combat. Je m’exécutai mais un mur de terre et de racines s’éleva entre nous dans un grondement qui fit trembler le sol. Je me retrouvais face à un chablis de plusieurs mètres de haut, derrière lequel se cachait Wilfried.

- Hey ! Je croyais qu’on avait pas le droit d’utiliser nos pouvoirs, râlai-je.

- Désolé, je déteste perdre.

Lorsqu’il eut prononcé cette phrase, il laissa s’écrouler son œuvre, le sol repris son apparence initiale sans aucune trace du déracinement qui venait d’avoir lieu. Comme si rien ne s’était passé. La dernière cendre de son mégot vint alors s’écraser par terre. À l’image de mon humeur, une pluie torrentielle s’abattu soudainement sur nous et le foyer s’éteignit sous les gouttes. Comme si l’univers tout entier s’amusait de la situation.

- Tu as triché, lâchai-je.

- T’inquiète, tu aurais pu m’avoir sans ça.

Cela ne me consolait pas, j’étais déçue et frustrée. Il n’avait pas joué franc-jeu me privant ainsi de la possibilité de faire mes preuves. Au-delà de l’enjeu de ce duel, si j’avais voulu me mesurer à lui c’était aussi pour prouver ma valeur et en prendre conscience moi-même. Or le dénouement de celui-ci n’était pas représentatif de ce dont j’étais capable. J’aurais accepté la défaite si j’avais perdu à la loyale, mais il ne m’en avait pas laissé l’occasion. Encore un choix fait pour moi.

J’étais désemparée, je n’avais plus nulle part où aller, plus personne vers qui me tourner et je ne savais pas quoi faire pour m’occuper. Je sentais ma colère bouillir en moi. Wilfried passa de nouveau un bras autour de mes épaules.

- Allez viens. J’ai une idée pour te dérider.

Il me guida jusqu’au arcades nord. Sous les cloîtres, des portes en bois étaient alignés à distance égale sur toute la longueur du bâtiment. Mon acolyte se saisit d’une clé accrochée autour de son cou, jusque-là cachée sous sa chemise et déverrouilla l’une des portes. J’entrai dans une pièce qui ressemblait à une chambre d’internat mais décorée avec plus de goût. Il n’y avait aucune fenêtre mais des rideaux en velours épais recouvraient les murs, le sol était couvert d’une moquette sombre et le lit accueillait des draps en satin. Le tout dans des tons de noir et de rouge sombre avec quelques touches de gris argenté. Wilfried se dirigea vers le dressing en détachant son nœud papillon. Je le suivais du regard sans trop comprendre jusqu’à ce qu’il déboutonne sa chemise et la retire. Je fis un pas de recul.

- Wow même pas en rêve ! Tu as déjà essayé d’abuser de moi à la Mascarade, j’ai toujours pas l’intention de me laisser faire.

- Du calme, Aster. Bien que l’idée de te sentir te débattre sous moi me soit alléchante, j’avais une autre idée en tête.

Je le dévisageais, suspicieuse. J’étais prête à rebrousser chemin, quitte à errer seule dans la nuit mais il insista.

- Je te promets de te faire passer un bon moment, tu as ma parole.

- Pour ce qu’elle vaut, raillai-je.

Il ne réagit pas et se concentra de nouveau sur son armoire. Je l’observai en silence. C’était étonnant de le voir seulement vêtu d’un marcel, lui qui portait toujours une chemise boutonnée jusqu’en haut et un nœud papillon en toute occasion. Je remarquai d’ailleurs que la clef de sa chambre n’était pas le seul bijou qu’il portait. Atour de son cou étaient enroulées plusieurs chaines de différentes longueurs et différents diamètres. C’était un jeune homme au physique sec avec un corps fin et longiligne mais légèrement musclé. À travers son T-shirt, je pouvais voir le relief de ses côtes et l’ombre de quelques tatouages qui ornaient son torse. Il avait un bras entièrement tatoué également, mais celui qui attira le plus mon attention fût celui à l’avant de son cou. De grosses fleurs mêlées à des motifs géométriques recouvraient sa gorge. C’était une belle pièce mais je ne pouvais m’empêcher de penser à la douleur qu’il avait dû endurer. Les paroles d’Alex me revinrent en mémoire : « La plupart des vampires cachent la marque de leur première morsure par un tatouage ».

- Qu’est-ce que tu regardes comme ça ?

- Oh euh, rien, bégayai-je, je me demandais si le tatouage sur ta gorge cachait la cicatrice de ta morsure.

Il fit mine de ne pas comprendre, tandis qu’il enfilait une nouvelle chemise, mais j’insistai.

- Tu sais, celle qui t’a transformée. Alex m’a dit que la première restait toujours. La mienne est dans le dos alors elle se voit moins…

Il continua de s’habiller sans un mot, renoua son nœud papillon et sortit de la pièce. Il m’avait frôlé au passage sans m’adresser un regard. Je restai plantée là sans savoir comment réagir, avais-je dit quelque chose de mal ? Avant de fermer la porte, il se retourna finalement vers moi.

- Alors, tu viens ou pas ?

Je le rejoignis sans me faire prier. Pour détendre l’atmosphère, je tentai de changer de sujet.

- Alors comme ça, vous avez des chambres ? Je ne savais pas qu’il y avait un dortoir, comme vous ne dormez pas…

- C’était la surprise que le Major et son équipe te réservaient, mais tu as décidé de partir avant la fin de ton initiation.

- Oh, je vois, fis-je penaude.

- Et puis même si on ne dort pas, un peu d’intimité ne fait pas de mal.

- C’est clair, confirmai-je, quand on voit le nombre de pièce commune ça fait peur. On partage même la salle de bain tu te rends compte ?

- « On » ? releva-t-il.

- Oui, enfin je voulais dire vous. J’ai tout un étage rien que pour moi là où je vis.

- Princesse, cracha-t-il comme s’il s’agissait de la pire des insultes.

- Il me semble pourtant que je ne suis pas la plus précieuse du groupe. Kayla et Agathe m’ont tout l’air bien plus aisées que moi. D’ailleurs, où sont leurs chambres ?

- Elles ne vivent pas ici.

- Tu vois, c’est ce que je dis !

En réalité, je savais que nos situations étaient bien différentes. Elles étaient nées, avait grandi et on les avait éduquées dans l’ultime but d’être Transformée. Leurs parents, en plus d’être des personnes influentes étaient également des vampires reconnus, apparemment. À côté de ça, je n’étais qu’une humaine ignorante, Transformée dans de mauvaises conditions, qui faisait un caprice d’adolescente pourrie gâtée. J’en avais conscience, mais je refusais de l’admettre à voix haute. Humaine ou vampire, pourrie gâtée ou non, j’avais des droits et j’étais prête à tout pour les revendiquer.

Wilfried m’accompagna jusqu’au parking derrière l’abbaye et déverrouilla une voiture citadine plutôt chic sans être tape-à-l’œil. Il eut même la galanterie de m’ouvrir la porte côté passager et de la refermer lorsque je fus assise avant de prendre place à son tour comme conducteur.

- Tu dois être le premier vampire que je croise dont la voiture n’est pas outrageusement coûteuse.

- En fait, j’aurais pu avoir une voiture avec chauffeur mais j’ai refusé.

Je ris à cette note d’humour. Contrairement à d’autres pays, les limousines ne couraient par les rues par chez nous. Même les hommes d’affaires haut placés ne jouissaient pas de ce luxe, bien réservé aux chefs d’Etats. Il me conduisit jusqu’à l’extérieur de la ville. Là, il s’arrêta devant un bâtiment qui ressemblait à une usine désaffectée. Je reconnus immédiatement le secteur, nous étions sur le territoire des vampires qui nous avaient poursuivis la veille. Wilfried se gara devant la bâtisse et se précipita pour m’ouvrir la portière avant même que je n’ai le temps de déboucler ma ceinture. Lorsque l’air extérieur s’engouffra dans l’habitacle, une odeur putride et nauséabonde me frappa. Répugnée, j’offris ma plus belle grimace à celui qui m’accompagnait.

- Si tu respires encore c’est pour utiliser ton odorat et non plus pour vivre, dit-il d’un air amusé, si l’odeur te dérange il te suffit de retenir ta respiration.

- Qu’est-ce que c’est que cette odeur ?

- Je préfère ne pas t’en parler, tu le sauras bien assez tôt.

- Qu’est-ce qu’on fait là alors ?

- À défaut de sentir les effets de l’alcool, est-ce que tu sais ce qui donne une sensation d’ivresse aux vampires ?

- Le sang ? supposai-je.

- Ça et l’adrénaline, répondit-il, je t’invite à ta première partie de chasse. Ou la seule activité qui puisse combiner les deux.

- J’imagine qu’on ne va pas chasser des animaux.

- Tu imagines bien. Tu es prête ?

Il resta un instant face à moi, pour jauger ma réaction. Je m’attendais à ce qu’il s’engouffre dans le bâtiment sans me demander mon avis mais il n’en fût rien, il attendait patiemment que je prenne ma décision. Pour la première fois depuis ma Métamorphose, on m’avait exposé le plan à l’avance et on me laissait prendre la décision. J’avais le choix de le suivre ou non.

- Et si je refuse ?

- Alors je te ramènerais où tu voudras.

- Et c’est tout ?

- Oui. C’est tout. Tu voulais prendre tes propres décisions et qu’on te traite comme un être indépendant, c’est le cas. En sortant de ma chambre je t’ai demandé si tu voulais venir ou non et tu m’as suivi, expliqua-t-il, maintenant je te demande si tu veux chasser.

En effet, depuis que nous étions seuls lui et moi, le choix m’avait appartenu et je savais à quoi m’en tenir, il ne m’avait rien imposé et s’était plié à la moindre de mes demandes. À l’exception de l’issue de notre combat, mais il semblait vouloir se rattraper. En sachant l’aversion qu’il avait pour moi, c’était louable de sa part de faire preuve d’autant de patience. Chose dont Alex, n’avait pas été capable.

Alex. J’avais réussi à oublier sa présence l’espace d’un instant, mais il était toujours là. Il pouvait tout sentir.

- Je te suis, décidai-je, mais t’es sûr que je suis prête ?

- Tu m’aurais touché à l’entraînement si je n’avais pas utilisé mon pouvoir. Tu manques de technique et d’expérience mais ta fougue et ton acharnement compense largement.

Je rêvais ou il me faisait un compliment ? Jusque-là, je ne m’étais jamais considérée comme fougueuse. Certes, j’avais du caractère et je me laissais rarement marcher sur les pieds mais cette nouvelle force que je devais au vampirisme m’avait débridée. Je décidai de lui faire confiance. Je fis un pas vers l’entrée et Wilfried marcha à mes côtés.

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