CHAPITRE 18

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Cette nuit avait été incroyable ! Wilfried m’avait sortie des quartiers malfamés pour m’emmener droit vers les zones étudiantes. Là-bas, quelques rares voitures animaient encore les routes et les seuls piétons encore de sortie étaient ivres et bruyants, pour la plupart. Une situation classique pour un jeudi soir.

Sur un parking désert, un petit quatuor de jeunes s’était adonné à une course de caddie. Occupation à laquelle nous avions pris part et gagné ! Puis nous nous étions incrustés à une soirée étudiante où nous avions dansé, chanté, bu de l’alcool et du sang, fumé sur un narghilé et Wilfried m’avait même offert mon premier joint. J’avais aimé cette sensation de légèreté, comme si mon cerveau et mon corps se séparaient pour devenir deux entités indépendantes. J’avais adoré me sentir déconnectée de la réalité. Je n’avais jamais été aussi détendue et insouciante de toute ma vie. Au lever du jour, il m’avait raccompagnée chez moi.

- Tu veux monter ? lui avais-je proposé.

- Je crois pas, non.

- Aller viens, je te promets que tu croiseras pas mes parents.

- Tu devrais plutôt te préparer pour aller en cours. Te couper du monde, c’est pas la solution.

- D’accord, alors accompagne-moi au lycée. Si tu m’y conduis, je te promets d’être une petite fille sage et exemplaire.

Il avait grogné mais s’était finalement garé un peu plus loin dans la rue pour me rejoindre à pied.

Allongée en étoile sur mon lit, Wilfried assis sur le fauteuil à mes côtés, je fixais le plafond en me remémorant les récents évènements de cette nuit. J’avais vécu plus de choses ces deux derniers jours, que pendant les dix-sept années précédentes. L’Elite ne mentait pas, quand ses membres nous proposaient leur poison : « tu devras braver les dangers mais tu ne t’ennuieras plus jamais. ». Outre ma volonté de détruire le club de l’intérieur, c’était cette phrase qui m’avait motivée à faire ce choix. En effet, je n’avais pas réellement goût à la vie, mon quotidien me semblait monotone et inintéressant. Me lancer dans cette croisade contre l’Elite n’avait été qu’une excuse pour me sortir de cette vie morne. Cette quête m’avait offert un but à atteindre, une cause à défendre et une raison de me lever le matin.

Depuis ma Transformation, il fallait bien admettre que les choses avaient changé. Les jours – et les nuits – passaient mais ne se ressemblaient pas et tout était nettement plus palpitant. Malgré mes déboires récents, je n’arrivais pas à regretter mon ancienne vie. Je ne souhaitais pas totalement tirer un trait dessus pour autant, mais simplement la mettre entre parenthèses.

- Tu crois que c’est possible d’avoir les deux ? demandai-je en brisant le silence.

- De quoi tu parles ?

- Humain et vampire. Une vie parfaitement humaine la journée et une vie de vampire la nuit, c’est possible ?

- Oui et non. La vie humaine est éphémère, tu peux te mentir autant que tu veux mais dans quelques années tu ne pourras plus cacher ta vraie nature à tes proches. Si tu arrives à contenir tes pulsions et que tu ne leur saute pas à la gorge à la moindre émotion trop forte, c’est le temps qui s’en chargera pour toi. Qu’est-ce que tu feras quand tes amis vieilliront et pas toi ?

- Je serais la même à jamais mais plus jamais la même, soufflai-je.

J’avais l’impression que mon humeur jouait les montagnes russes. Une moue compatissante déformait le visage de mon ami. Je soufflai bruyamment avant de me tourner vers le réveil : sept heures. J’attrapai des vêtements dans ma penderie et m’engouffrait dans la salle de bain.

Une trentaine de minutes plus tard, j’en ressortais propre, habillée et maquillée.

- Tes parents sont dans la cuisine, déclara Wilfried.

- J’ai entendu, tu peux sortir par le balcon si tu veux. J’attrape un café et je te rejoins à la voiture.

- J’ai une meilleure idée.

Il afficha un sourire énigmatique alors que je le dévisageais d’un air interrogateur.

- Si je dois devenir ton prof particulier en transition vampirique, alors voici ma première leçon. L’avantage d’être éternels, c’est que la vie elle-même devient un jeu. Prends les choses avec légèretés.

- D’accord, et comment on fait ça ?

- Présente-moi à tes parents.

- Quoi ?

- Présente-moi, répéta-t-il, tu vas voir ça va être drôle.

- Très bien, soupirai-je.

Je descendis donc les escaliers et rejoignis mes géniteurs, Wilfried sur les talons. Je feignais la douceur et l’innocence alors que ma rancœur à leur égard m’étouffait encore.

- Bonjour. Papa, Maman, je vous présente Wilfried, il a passé la nuit ici c’est mon…

- Petit-ami, me coupa l’intéressé en passant le bras autour de mes épaules.

Je crus m’étouffer de surprise. Il m’adressa un clin d’œil, et chuchota pour que je sois la seule à l’entendre.

- Leçon numéro deux : la provocation est un art.

Mon paternel nous tendit à chacun une tasse de café et nous fis signe de nous installer. Attablés à l’ilot central, nous dégustions ce délicieux liquide brun en attendant leur jugement. Même s’ils n’avaient jamais été trop regardants sur mes relations, c’était la première fois que je leur présentais qui que ce soit – même pour de faux – alors j’imaginais bien ce qu’ils devaient penser. D’un côté, Wilfried n’était pas vraiment le gendre idéal avec ses cheveux décolorés, ses tatouages et piercings partout et ses bijoux à outrance. D’un autre côté, si je le leur présentais, mon choix devait être mûrement réfléchi – ou pas – et la relation devait probablement être sérieuse. De plus, ils ne pouvaient pas nier le charme de son look chemise et nœud papillon, pour un garçon de dix-huit ans ce n’était pas commun et pourtant il semblait assumer ce choix avec fierté ce qui traduisait une certaine maturité – en apparence –.

Ce fût ma créatrice qui prit la parole en premier.

- Vous savez les enfants, je n’ai rien contre le fait que vous passiez la nuit ensemble, c’est de votre âge, cependant j’aimerais être au courant.

- Désolé Madame Hamon, rétorqua mon faux petit-ami, en fait ma voiture est tombée en panne un peu plus loin et le dépanneur ne pouvait pas intervenir avant ce matin. Je ne pouvais pas rentrer chez moi à pied, en pleine nuit.

Elle acquiesça silencieusement, d’un air dubitatif.

- Je veux bien croire que ce soit exceptionnel, mais tâchez de garder la porte ouverte.

- Si tu as peur qu’il m’arrache ma vertu sache que tu arrives avec deux ans de retard.

Ce fût au tour de Wilfried d’avaler de travers. Mon père aussi, toussa entre deux gorgée de café, avant de demander :

- Je ne tenais pas à le savoir, mais puisque tu abordes le sujet : vous vous protégez au moins ?

« Jamais. Je ne risque pas de tomber malade ni enceinte, puisque je suis morte ». Voulu-je répondre mais je me retins. Mon complice s’apprêta à rétorquer mais la sonnette retentit.

- Sauvée par le gong, déclarai-je soulagée.

Ma mère ne se fit pas prier pour aller ouvrir la porte, elle aussi semblait vouloir échapper à tout prix à cette discussion. Elle m’interpela depuis l’entrée. Je me levai lourdement de ma chaise, imitée par Wilfried à qui je fis signe de rester assis. Depuis le couloir, je chuchotai à l’attention de Wilfried.

- Je t’abandonne à ton triste sort, bon courage.

En gagnant la porte d’entrée je découvris, dans l’encadrement de celle-ci, mes deux meilleurs amis. Je les serrais dans mes bras brièvement. L’odeur de leur sang chaud et le son des pulsations dans leurs veines me firent immédiatement reculer.

- Oh les gars, vous avez pas idée comme je suis contente de vous voir.

- Abuse pas, ça fait pas si longtemps non plus, me charia Sarah.

- Pourquoi t’es pas venue en cours hier ? demanda Emrick.

- Je me sentais pas bien, mais ça commence à aller mieux, je pense que je vais venir aujourd’hui.

- Cool ! C’est parti alors.

- Je peux pas, je vous rejoins là-bas, petit-déj’ en famille.

- Mais tu vas arriver à la bourre.

- Non c’est bon, quelqu’un me dépose en voiture.

- Qui ça ? interrogea Sarah, d’un ton lourd de sous-entendu.

Je levai les yeux au ciel pour seule réponse et leur adressai un « à tout à l’heure » plein de mystère, avant de refermer la porte. J’entendis Emrick souffler du nez et Sarah ricaner alors que leurs pas s’éloignaient. Forte de cet échange, je revins vers ma famille et leur interrogatoire.

- J’ai vu le dépanneur pendant que j’étais sortie, mentis-je, la voiture est réparée c’était juste un problème électrique.

Message chiffré à l’attention de mon comparse, qui pouvait se traduire par : « Tu as gagné, je suis prête pour que tu m’emmènes au lycée. » qu’il n’eut aucun mal à comprendre puisqu’il hocha la tête de manière presque imperceptible. Il se leva et tendit une main assurée en direction de mes ascendants.

- Madame et Monsieur Hamon, ce fût un plaisir de vous rencontrer, merci de m’avoir accueilli pour ce petit-déjeuner. J’accompagne votre fille au lycée, je ne voudrais pas qu’elle soit en retard.

Mes parents lui serrèrent la main sans grande conviction, son hypocrisie était trop flagrante pour être crédible.

- Sans doute oui. Vous savez on a eu votre âge aussi, souligna mon père, il n’y a pas si longtemps.

- Mon père est un homme très à cheval sur la réussite, avoua Wilfired de manière plus authentique, il tient à ce que je suive le meilleur cursus pour reprendre ses affaires. J’ai déjà choisi la faculté dans laquelle j’aimerais étudier, et je compte bien à ce qu’Ast… enfin Victoria m’y rejoigne.

Il s’était repris juste à temps sur mon prénom, mes parents n’eurent pas l’air de relever son erreur. C’était la première fois qu’il m’appelait ainsi. Cela sonnait faux dans sa bouche, comme s’il parlait d’une autre personne. Au-delà de ce détail, j’avais remarqué sa sincérité dans cette phrase. Ce n’était pas la première fois qu’il parlait de son père, et à chaque fois qu’il l’évoquait, son ton changeait et devenait plus grave. Sa tirade semblait vraie. Et grâce à celle-ci, il gagna le respect et la confiance de mes parents en un clin d’œil. Le soulagement se lisait sur leurs visages.

Dans l’entrée, il attrapa une veste sur le porte-manteau et ma la tendit pour que je l’enfile.

- T’es plus obligé de faire semblant, on est entre nous là.

Il ne répondit rien et m’ouvrit la porte. Je le précédai donc en direction de sa voiture dans laquelle il me fit monter avant de s’installer au volant. Avec toute cette agitation, j’avais oublié qu’il portait encore sa tenue de cette nuit et donc aucune protection contre les UV et le jour se levait. Il ne se plaignit pas et contracta simplement la mâchoire alors que ses mains et son visage étaient brûlés. Heureusement, il cicatrisa rapidement et attrapa un pull et une casquette au logo de l’Elite sur sa banquette arrière.

Le trajet jusqu’au lycée fût court, j’avais connecté mon téléphone à ses enceintes pour partager ma musique. Nous échangions encore sur nos goûts lorsqu’il se gara devant les grilles du lycée. À gauche de celle-ci, les membres habituels de l’Elite fumaient et traînaient en nous attendant ; à droite, Emrick et Sarah discutaient et chahutaient tout en scrutant mon arrivée.

Avant de sortir du véhicule, je me tournai vers mon chauffeur.

- Alors, tu vas me dire à quoi tu joues ?

- Comment ça ?

- Provoquer mes parents puis gagner leur confiance par la suite.

- Je pourrais te retourner la question. Parler ouvertement de ta vertu devant eux et en ma présence avant de t’échapper.

- La provocation est un art, répétai-je pour lui rappeler sa propre leçon.

- J’ai fait ça pour qu’ils te lâchent la grappe, expliqua-t-il. Maintenant qu’ils sont tombés sous le charme de ton petit-ami aux airs de voyou mais néanmoins sérieux, ils seront moins sur ton dos quand tu devras sortir le soir et revenir au petit matin ou quand tu traverseras des crises existentielles dont tu ne peux pas leur parler.

- C’est très prévoyant de ta part mais je n’avais pas besoin de toi, mes parents me laissent déjà toute la liberté dont j’ai besoin.

- Alors disons que j’ai fait ça pour m’amuser.

J’acquiesçai. Cette version était plus cohérente. Je m’apprêtai à sortir de la voiture mais il me retint.

- Hey ! Je veux que tu le fasses, toi aussi.

- Quoi donc ?

- T’amuser. Tu as toute la vie devant toi, une éternité même. Ne la gaspille pas à t’inquiéter pour des choses inévitables. Et puis, t’es plus intéressante quand tu te prends pas la tête.

- Merci. Enfin je crois.

Il sortit finalement de sa voiture et fis le tour pour m’ouvrir. Décidément, je n’arrivais pas à m’habituer à une telle galanterie, surtout venant de sa part. J’enfilai mes lunettes de soleil et sortit, la tête haute. Il était temps que j’assume mes choix. Je me dirigeai vers les grilles, ignorant magistralement Alex et toute la clique. Il détourna le regard et je vis sa mâchoire se contracter. Je rejoignis mes véritables amis qui me regardaient bouche-bée.

- C’est pas le mec qui s’est fait viré l’an dernier parce-qu’il dealait de la weed ? demanda Sarah.

- Ouais, mon frère ne le supporte pas, confirma Emrick.

Je haussai les épaules, l’air faussement innocent tandis que leurs regards suspicieux me dévisageaient. Laisser planer le doute sans m’expliquer était plutôt divertissant. Je changeais rapidement de sujet pour leur demander ce que j’avais loupé pendant mon absence et ils me racontèrent les derniers ragots en date. Cela ne m’intéressait pas particulièrement, à vrai dire je ne les écoutais que d’une oreille mais j’avais réussi à détourner leur attention. La sonnerie retentit et nous nous rendîmes en cours. Alors que je m’efforçais de suivre, mon portable vibra dans ma poche. Grâce à ma discrétion légendaire, je le glissais dans ma trousse pour prendre connaissance de mes messages. Alex avait envoyé une invitation sur le groupe de l’Elite.

Alex dit : Réunion exceptionnelle à la pause, tout le monde est convié.

Tous les membres répondaient présents un à un alors que j’ignorais le message. Il renvoya un second message où Wilfried et moi-même étions identifiés.

Alex dit : @Wilfried et @Victoria je veux vous y voir, TOUS LES DEUX.

Wilfried dit : J’ai été viré du lycée je te rappelle.

Alex dit : Pas à moi. Ça ne t’a jamais arrêté jusque-là.

J’arrivais à ressentir toute la nervosité d’Alex, l’insolence de son rival l’irritait au plus haut point. Doucement, je commençais à assimiler ses émotions sans me les attribuer. J’avais encore du mal à l’accepter et le prendre avec légèreté, mais au moins, cela m’affectait moins.

Plus tard, lorsque l’heure de la pause sonna, je me dirigeai sans grande conviction vers la salle du club. Je croisai Wilfried dans les couloirs qui avait l’air surpris de m’y voir.

- Je t’avais dit que je serais une gentille fille.

Son sourire carnassier habituel se dessina sur son visage, ce qui me fit frissonner. L’angoisse me gagnait à mesure que nous nous rapprochions de la salle, il m’offrit alors son bras en guise soutien. Je l’acceptai et m’y agrippai. Lorsque la porte s’ouvrit sur nous, Alex nous fusillait du regard. Il était extrêmement contrarié.

- Maintenant que tout le monde est présent, commençons. J’ai deux points à aborder.

Il commença par nous annoncer que l’Elite était conviée à une grande soirée mondaine organisée par un vampire influent. Tous les grands noms devaient être présents et il était important de nous y faire bien voir. D’autant plus, ce vampire n’était autre que le chef du clan opposé, si nous voulions maintenir une entente cordiale, nous nous devions d’accepter.

- Les membres les plus anciens de l’Elite seront là aussi, continua-t-il, Kayla et Agathe je peux compter sur la présence de votre mère ?

Elles acquiescèrent, précisant que leur père et leur frère serait là aussi.

- Bien. Au-delà de la reconnaissance de l’Elite en tant que clan dominant, c’est aussi ma place et ma réputation en tant que Major qui est en jeu. Je compte sur vous pour me faire honneur.

Les membres dodelinaient de la tête. Moi-même j’étais impressionnée. Il faisait preuve d’une telle autorité et d’un tel détachement, il en était méconnaissable. Il avait l’air plus grand, plus fort, plus intimidant. Pour la première fois, je voyais en lui tout le charisme d’un Major et toute l’influence qu’il exerçait. Il se tourna vers Wilfried et ses yeux brillèrent d’une lueur malveillante. Lui-même n’avait pas bronché mais Alex éprouvait une haine profonde à son égard. Je pouvais la sentir dans tout mon être, je ne l’avais jamais vu aussi en colère.

- Je te demanderais de pas faire de vague, malgré la situation.

Le blond décoloré acquiesça à son tour. Il avait perdu toute sa superbe en un regard, son visage s’était décomposé.

- Bien ! Le second point maintenant, repris Alex. Grâce à vos deux camarades ici présents et leurs frasques de cette nuit. Sachez que notre invitation à cette soirée n’est pas anodine et nous sommes en sursis. L’attaque de trois vampires du clan opposé hier soir n’est pas passée inaperçue.

- Ces bâtards avaient été dénoncés pour leurs attaques diurnes ! se défendit Wilfried.

- Je suis au courant, nous attendions des preuves avant d’agir.

- Des preuves ?! Ils étaient en train de bouffer un humain, ils ne suçaient par que le sang, ils les mangent, littéralement !

- Tu n’avais reçu aucun ordre ! Hurla Alex.

Sa voix avait raisonné dans toute la pièce. Forçant tout le monde à se taire. Même les voix que nous entendions depuis les pièces voisines s’étaient tut.

- Pour rappel donc, recommença-t-il d’un ton plus calme, vous n’attaquez pas sans mon autorisation. Vous pouvez disposer.

Tout le monde se leva, moi la première.

- SAUF, vous deux.

Alex nous désignait, Wilfried et moi. Je me laissai retomber sur un fauteuil, m’enfonçant dans ses coussins. Il ne tarda pas à prendre la parole.

- Tu as encore tes fringues d’hier soir, remarqua-t-il d’un ton désapprobateur.

- En effet, très observateur, se moqua Wilfried.

- Qu’est-ce que vous avez foutu cette nuit ?

- Rien de plus que d’habitude, on s’est amusé c’est tout.

- Et toi tu te laisses embarquer là-dedans, m’accusa-t-il soudainement, je te croyais plus maligne que ça.

- Déjà je me laisse embarquer dans rien du tout c’est moi qui lui ai demandé, me défendis-je, et si par « maligne » tu entends que je te laisse tout décider à ma place alors non, je ne le suis pas.

Il siffla entre ses dents, hochant la tête de gauche à droite. Sa déception se lisait sur son visage. Il partit sans se retourner et claqua la porte derrière lui. Je sentais bien que je l’avais blessé et je voulais me réconcilier avec lui. Mais je ne voyais pas comment cela pouvait être possible. Je n’avais pas l’intention de m’excuser. C’était lui qui avait fait des erreurs. J’aurais aimé qu’il me comprenne et qu’il m’accompagne comme l’avait fait Wilfried, mais au lieu de ça il m’avait mise devant le fait accompli et s’était contenté d’admettre que ce n’était « pas si mal » sans prendre en considération ce que je pouvais ressentir. Le véritable problème était là, il avait admis ce qu’il ressentait, sans s’inquiéter de comment je pouvais prendre tout ça. Si ce lien était arrivé par accident comme il le prétendait, j’aurais aimé qu’il en souffre autant que moi. Mais la situation semblait lui convenir.

N’en déplaise à Wilfried et aux autres membres de l’Elite, ma décision était prise. Je refusais de plonger corps et âmes dans le monde nocturne, une part de moi resterais toujours humaine. Je le voulais. Je rejoignis Sarah et Emrick qui m’attendaient dans le hall où ma meilleure amie s’empressa de m’interroger.

- Alors ! Tu avais promis de tout nous raconter mais depuis que tu sa intégré l’Elite tu nous dis plus rien.

- C’est compliqué…

- Tu as toujours l’intention de les renverser au moins ?

- J’en sais rien. J’y réfléchis encore.

- T’es sérieuse ?! Tu fais partie des leurs maintenant, c’est ça ? m’accusa-t-elle.

- Non ! Mais j’ai besoin d’en savoir plus, ça va au-delà d’un simple club de lycée tu sais ?

- Comment ça ? demanda Emrick.

- Il y a des membres dans tous les domaines, c’est pas que des élèves. Il y aussi des chefs d’entreprises par exemple, comme le père de Kayla.

- Le propriétaire du Centre Equestre National ?

- Oui, il fait partie de l’Elite. On nous fait croire que les anciens membres profitent juste d’un traitement de faveur dans le choix de leur université ou leur voie professionnelle mais en fait ils ne quittent jamais vraiment le club.

- Comme un genre de société secrète tu veux dire ?

- Peut-être, j’en sais rien. Mais si je dois les renverser, je dois savoir à quoi et à qui je m’attaque exactement. J’ai l’impression que je me suis engagée dans un truc beaucoup plus grand que moi.

Après un moment d’hésitation, Sarah poussa un long soupir et repris.

- Bon d’accord, je comprends. Mais tu peux pas au moins trouver une solution pour qu’ils redescendent un peu de leur piédestal ?

- J’y travaille, souris-je.

Je terminai ma pause avec plus de légèreté qu’elle n’avait commencée. C’était toujours délicat de parler de l’Elite avec eux, comment leur dire tout ce qui gravitait autour sans leur expliquer que nous étions des vampires ? Et surtout, comment abandonner le projet de les renverser sans donner une explication plausible à mes amis ?

Alors que nous nous dirigions vers notre prochain cours, je me souvins qu’elle entretenait une certaine relation avec Dimitri, notre ancien Major. Si celle-ci devenait sérieuse, peut-être l’avait-il mise dans la confidence.

- Dis donc, toi aussi tu pourrais jouer les agents infiltrés. Si je me rappelle bien tu es plutôt proche d’un certain membre ?

- Plus maintenant, répondit-elle sans cacher sa déception.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? s’enquit Emrick.

- Je sais pas. Je croyais que je lui plaisais, ça se passait bien, il m’a invitée à plusieurs rencards dans des endroits trop biens pour moi, mais à chaque fois que je voulais aller plus loin il me repoussait.

- Peut-être qu’il veut prendre son temps, supposa notre ami.

- Peut-être mais pas moi, ricana-t-elle, et puis j’ai eu beau lui demander il m’a jamais donné d’explication. Alors j’ai laissé tomber.

Je posai une main réconfortante sur l’épaule de ma meilleure amie. Alex disait peut-être vrai au sujet de son prédécesseur finalement. Cette situation présentait tout de même un avantage : je n’avais plus à m’inquiéter de sa sécurité désormais, mais de toute évidence elle n’était au courant de rien. Je supposai que Dimitri l’avait volontairement mise à l’écart pour ne pas risquer de compromettre notre secret. Mais si cela l’inquiétait tant, pourquoi lui avoir donné de faux espoirs ? À moins qu’il n’eut usé de son venin, auquel cas elle n’en gardait pas le moindre souvenir… La voix d’Emrick me tira de mes rêveries.

- T’as bien fait. T’façon il te méritait pas.

- C’est clair, confirma Sarah, je veux dire : je sais que je suis canon, tu m’as vue ? S’il a pas su saisir sa chance c’est son problème.

- Je te le fais pas dire…

Sarah ne pouvait pas les entendre, mais les battements de cœur d’Emrick trahissait ses véritables intentions. J’esquissai un sourire compatissant. Sarah n’avait pas la moindre idée de ce qu’il éprouvait pour elle, j’aurais tant aimé les aider, mais sans la certitude que ces sentiments étaient réciproques je ne pouvais m’immiscer dans leur relation.

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