Chapitre 3 – Sélène : L’Écho des Anciens

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Je m’appelle Sélène. J’ai cent soixante-treize ans, ce qui, parmi les sorcières, est encore jeune, mais suffisant pour avoir traversé plus de saisons que la plupart d’entre nous. Je suis la grande prêtresse du coven de Lune-Azur, un sanctuaire caché au cœur des montagnes brumeuses, préservé des regards humains et des tempêtes du temps.

Mes cheveux noirs comme la nuit tombent en vagues épaisses jusqu’au creux de mes reins, et ma peau pâle semble parfois luire d’une lumière venue d’ailleurs. Mes yeux, d’un vert profond, ont sondé bien des âmes et observé les mystères du monde. Je porte toujours cette robe fluide, brodée de symboles anciens, rappelant à tous le lien fragile entre la nature, la magie et le destin.

Le coven que je dirige compte une vingtaine de femmes et quelques rares hommes, tous initiés aux arcanes des éléments, des astres et des esprits. Notre mission est claire : préserver l’équilibre délicat des forces du monde, protéger les secrets ancestraux et soigner les blessures invisibles qui menacent l’harmonie.

Depuis mon enfance, la légende des trois grandes familles rythme mes pensées. Elle est gravée dans la pierre de notre temple, chantée à chaque solstice, transmise de bouche en bouche avec la même ferveur :

> « Il y a des siècles, bien avant que les ambitions humaines ne ravagent le monde, trois familles régnaient en paix. Elles se partageaient les terres, les saisons, et la magie qui coulait dans la terre. Mais, comme toujours, le pouvoir a troublé cette harmonie.



> La première famille, assoiffée de conquête, versa le sang pour étendre son empire. Les dieux, en colère, les condamnèrent à une éternité de soif : ils devinrent les vampires, immortels liés au sang et à l’ombre.



> La deuxième famille, sauvage et brutale, massacrait sans remords, se comportant comme des bêtes sous une apparence humaine. Pour les punir, les dieux les transformèrent en loups-garous : créatures prises entre deux mondes, condamnées à la douleur de la transformation et à la lutte intérieure perpétuelle.



> Quant à la troisième famille, celle qui avait su rester fidèle à l’équilibre et à la sagesse, elle fut bénie par les dieux avec des pouvoirs magiques. Ils devinrent les gardiens de l’équilibre, chargés de veiller sur le fragile tissu de l’univers et d’assurer que ni l’ombre ni la lumière ne prenne le dessus. »



Je porte ces paroles en moi comme une vérité sacrée.

Mais au fil des siècles, certains descendants de cette troisième famille — les sorciers — commencèrent à douter. La foi en leur mission sacrée s’étiola chez quelques-uns, remplacée par l’orgueil, l’indifférence ou le désir d’une vie ordinaire, loin des anciens serments. Or, la magie ne vit que dans ceux qui croient encore en l’équilibre qu’ils sont censés préserver. Privés de cette foi, leur lien avec les forces mystiques se fragilisa, se fissura… jusqu’à disparaître. Ces sorciers déchus perdirent peu à peu leurs dons, devenant de simples humains, sans souvenir clair de ce qu’ils avaient été. Pour les autres, ceux qui avaient conservé leur engagement, ce phénomène fut une blessure douloureuse, un rappel que la magie est un don aussi puissant que fragile — et qu’elle ne se conserve qu’avec humilité et dévotion.

Mais récemment, quelque chose a changé.

J’ai commencé à recevoir des visions, des signes imprécis, comme un murmure venu du passé. Une forêt obscure, des cendres tourbillonnantes dans le vent, la silhouette d’un loup blessé, un cri étouffé, des crocs luisants dans la pénombre. Une main tendue vers moi, que je ne peux jamais attraper. Et ce regard… profond, brûlant, plein de douleur.

Ces images m’assaillent de plus en plus souvent. Je sens que l’équilibre vacille, que quelque chose menace de rompre ce fragile pacte entre nos trois mondes. J’ai cherché des réponses dans les astres, les oracles et les vieux grimoires. Tout semble pointer vers une fracture imminente, une menace qui grandit dans l’ombre.

Puis, dans un rêve, la prophétie s’est révélée.

Une voix ancienne, faite de vent, de feu et d’eau, a soufflé ces mots dans mon esprit :

> « Quand le sang pur croisera la chair sauvage,
Et que la lune pleurera des cendres,
Une flamme se lèvera parmi les gardiens,
L’ombre et la lumière se mêleront dans l’écho,
Et du chaos naîtra l’équilibre ou la ruine. »



Depuis ce rêve, cet appel invisible s’est intensifié.

Je ne sais pas encore qui sont ces deux âmes dont parle la prophétie. Sans le savoir, ils sont tous deux attirés l’un vers l’autre comme moi je suis attirée vers eux. Mon rôle est d’observer, de chercher des indices, et peut-être de les guider quand le moment sera venu.

Je sens que cette quête ne fait que commencer.

Que le passé, avec ses ombres et ses secrets, va bientôt rattraper notre présent.

Et que notre avenir dépendra de la façon dont nous parviendrons à réconcilier ces forces anciennes.

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