Chapitre 5 – Léna : L’ombre du loup

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Le vent portait une odeur de sève, de mousse… et de mort.

Je marchais lentement à travers les arbres, mes pas glissant sans bruit sur le sol humide. Cette partie de la forêt m’était étrangère, et pourtant, une alarme sourde résonnait en moi. Mon instinct hurlait que je n’aurais jamais dû franchir cette limite. Une frontière invisible, vibrante, que je venais à peine de dépasser.

Derrière moi, les ombres s’étiraient, avides. Devant, la lune peignait les troncs d’une lumière glacée. C’était ici que Nathalia m’avait envoyée. Pas pour rien. Jamais elle ne donnait d’ordre sans motif, encore moins un ordre aussi… risqué.

Les disparitions. Les murmures. Ce mal ancien. Et surtout, cette présence.

Cette nuit-là, quelques jours plus tôt, j’avais ressenti quelque chose. Une présence sauvage, primitive, nichée dans les ombres de la forêt. Rien de visible. Aucun souffle, aucun mouvement. Mais mon corps avait réagi comme si une ancienne mémoire s’était éveillée. Mes crocs s’étaient allongés, mes muscles tendus, et une chaleur insensée avait coulé entre mes cuisses. Ce n’était pas de la peur. C’était un appel. Un avertissement. Un frisson instinctif.

Je devais comprendre ce que c’était.

Je m’accroupis derrière un buisson épais, scrutant les environs. Le silence pesait, trop dense, presque étouffant. Pourtant, mon ouïe capta des sons furtifs : le froissement d’une branche, un pas feutré, un souffle retenu. Quelqu’un — ou quelque chose — rôdait.

Et ce n’était pas un animal.

Je fermai les yeux, plongeant dans les flux subtils. Je sondai l’air, les vibrations de la terre. Une odeur s’imposa alors à moi : brutale, fauve, chaude. Loup. Mais pas un loup ordinaire. Celui-là avait un parfum unique, entêtant. Un mélange de pin, de cendre et de peau dorée par le soleil.

C’était lui. Celui de l’autre nuit.

Mes sens explosèrent. Mon ventre se contracta. Je me mordis la lèvre, tentant de contenir ce feu. Je n’étais pas censée ressentir ça. Pas face à un ennemi.

Je me redressai lentement, silencieusement, et avançai vers une clairière. Sa présence devenait plus dense. Elle me cernait, m’enveloppait. Chaque fibre de mon être le sentait, l’appelait, le redoutait.

Il était là. Tout proche. Peut-être juste derrière moi.

Mais mes yeux ne voyaient rien.

La lune baignait la clairière d’une lumière irréelle. Au centre, un rocher couvert de mousse s’élevait, trône d’un instant suspendu. Je montai, pas à pas, mon cœur tambourinant. Il allait exploser.

Puis je le sentis. Une vibration. Un frisson sous la peau. Une aura bestiale.

Je n’étais plus seule.

J’écartai un buisson, et là… je le vis. Une silhouette. Grande. Nue. De dos. Figée sur le rocher, à quelques mètres. La lumière dessinait la puissance de ses épaules, la courbe marquée de ses reins, les muscles contractés de ses jambes. Mon souffle se bloqua. Mon cœur s’arrêta.

Il semblait fait de pierre et de feu.

Il ne s’était pas encore tourné. Ou alors il m’avait déjà perçue, mais attendait. Il tourna à peine la tête, captant quelque chose. Je reculai, retenue par une peur viscérale… et une fascination plus forte encore.

Fuir ? Impossible.

Je restai figée, incapable d’avancer ni de battre en retraite. Comme si nous étions deux prédateurs en équilibre, sur le fil d’un instant. L’air vibrait entre nous, dense, chargé de tension.

Puis… une autre odeur. Différente. Aigre. Fétide.

Je fronçai le nez.

Ce n’était pas lui.

Et l’instant éclata.

Un sifflement fendit l’air. Je roulai de côté. Un carreau d’arbalète frôla ma tempe. Merde. Un deuxième vint se ficher dans un tronc à quelques centimètres.

Mes crocs jaillirent. Mes yeux s’embrasèrent. La Guilde.

Des chasseurs.

Je bondis, prête à riposter. Mais un homme surgit, pieu en main. Il me blessa à la joue. La brûlure de l’arme bénite me fit hurler. Et soudain… il était là.

Le loup.

Immense. Noir, aux reflets d’argent. Monstrueux de puissance. Il se jeta sur mon agresseur, le plaqua au sol avec une férocité inouïe. Un craquement sinistre résonna. L’homme ne bougea plus.

Il m’avait protégée.

Un autre chasseur fonça. Je l’évitai de justesse et lui plantai mes griffes dans la gorge. Mais un troisième m’atteignit. Une lame fendit mon épaule. Une douleur fulgurante m’arracha un cri. Je tombai.

Ma vision devint floue.

Le loup tourna la tête. Il me vit.

Ses yeux jaunes s’ancrèrent aux miens. J’y lus l’écho de ma peur. De ma douleur. De mon trouble.

Il bondit à nouveau. D’un revers, il repoussa mon assaillant. Puis il me fixa. Longuement. Intensément.

Le monde se suspendit.

Et soudain, il recula. Saisit le corps inerte d’un chasseur et disparut dans les bois. Me laissant là.

Blessée.

Tremblante.

Le cœur au bord de l’explosion.

Je restai figée, incapable de bouger. Puis, lentement, je me relevai. Ma blessure saignait abondamment. Chaque pas me coûtait. Mais je devais rentrer.

Je devais comprendre.

Pourquoi m’avoir sauvée ? Et pourquoi ce sentiment… de l’avoir toujours connu ?


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Les ombres autour semblaient se resserrer, comme si la forêt elle-même retenait son souffle. La douleur à mon épaule pulsait, chaque battement de mon cœur la faisait vibrer, rappel cruel de ma vulnérabilité. Je glissai contre un arbre, cherchant un appui, mon esprit tournant à toute vitesse.

Le loup. Son image hantait mes pensées. Une bête sauvage, et pourtant d’une intelligence qui me troublait. J’avais l’impression d’avoir croisé un fragment de moi-même. Quelque chose de brisé, de puissant et d’ancestral.

Je me rappelai les paroles de Nathalia, lors de notre dernière rencontre : « Dans cette guerre de clans, il y a des forces que tu ne peux pas encore comprendre, Léna. Ne te fie pas seulement à ce que tu vois, mais à ce que tu ressens. »

Je respirai profondément, tentant d’apaiser le feu qui me consumait de l’intérieur.

Mais au fond de moi, une voix plus faible murmurait que cette rencontre n’était pas un hasard.

Que ce loup, cet Alpha, était lié à moi d’une façon que je ne pouvais encore nommer.

Que notre destin était en train de se nouer, à travers la douleur, la peur et le désir.

Je levai les yeux vers la voûte étoilée, cherchant une réponse dans la froideur des astres.

Une partie de moi voulait fuir, revenir à la sécurité du manoir des Ombres, à la discipline de mon clan.

Mais une autre, plus profonde, brûlait de savoir.

Et je sus que, malgré la blessure, malgré le danger, je reviendrais.

Car l’ombre du loup ne m’abandonnerait pas.

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