Chapitre 7 – Kael : Instincts contraires
Le goût du sang, même humain, n'était jamais agréable pour un loup. Mais celui du chasseur que j'avais traqué et déchiqueté quelques instants plus tôt avait laissé sur ma langue une amertume plus tenace encore. Il sentait la peur, l'acier… et quelque chose d'autre. Quelque chose d'artificiel, de froid, presque chimique.
Je recrachai un lambeau de chair avec un grognement écœuré. Mon flanc me lançait encore, là où ce fumier m’avait effleuré avec une balle en argent fragmentée. La peau se refermait déjà sous l'effet de ma régénération, mais ce n'était pas ça qui me troublait.
C'était elle.
La vampire.
J'avais fui le site de l’attaque, guidé par l’urgence de neutraliser ce chasseur isolé qui avait tenté de nous prendre par surprise. Mais à présent, j'entendais au loin d'autres bruits : des voix humaines, des bottes fouillant le sous-bois. Les renforts.
Et elle…
Je me figeai sur un surplomb, tendant l’oreille, scrutant la zone boisée où je l’avais laissée, blessée à l’épaule. Elle aurait dû s’enfuir. Les siens ne mouraient pas aussi facilement. Et pourtant, je la vis, à moitié dissimulée derrière un amas de racines. Elle s’efforçait de fuir, de boiter discrètement hors de la ligne de tir. Une main serrée contre sa blessure, le visage pâle, presque grisâtre sous la lumière nocturne.
Mais elle ne tenait plus debout.
Elle s’effondra.
Je jurai entre mes dents. Mon loup hurlait de passer à l’action. Tuer les autres chasseurs. Protéger la forêt. Venger le territoire.
Mais mes jambes avaient déjà décidé. Je courus vers elle, le souffle court, plus agité qu’après un combat. Qu’est-ce que tu fous, Kael ?
Je la hissai contre moi. Sa peau était glacée. Son odeur, malgré le sang, n’était pas désagréable. Elle était presque… familière. Et ça me dérangeait profondément.
Je l'emmenai dans une ancienne cabane de chasse désaffectée, perdue dans une clairière à l’abri des drones thermiques et des traces humaines. Là, je la déposai sur une paillasse recouverte de couvertures que je gardais pour les cas d’urgence.
Sa respiration était courte. Agitée. Elle ne devrait pas être dans cet état. Une simple blessure à l’épaule… rien que son sang ne puisse régénérer en quelques heures. Sauf si cette arme aussi était en argent. Ou autre chose.
Je pris un linge propre, arraché à une vieille chemise, et nettoyai la plaie du mieux que je pus. Mon esprit hurlait d’arrêter. Que ce n’était pas mon problème. Que c’était une sang-froid. Mon ennemi.
Mais mes mains ne s'arrêtaient pas.
— Pourquoi… pourquoi je suis encore en vie ? souffla-t-elle entre ses dents, la voix faible. Un chien comme toi n’aurait jamais laissé quelqu’un de mon espèce vivre.
Un sourire en coin étira mes lèvres malgré moi.
— Le chien a un nom. Kael. Et il vient de te sauver la vie. Enfin... la vie pour un sang-froid. Et j’avoue que je ne comprends pas trop pourquoi j’ai fait ça.
Elle me dévisagea, méfiante, le souffle court. Puis, à la limite de la conscience, elle murmura :
— Le sang-froid s’appelle Léna…
Elle retomba lourdement sur les fourrures, inerte.
Je restai là, le cœur battant, me demandant ce que cela signifiait. Pourquoi j’avais agi ainsi. Mon loup grondait d’incompréhension, prêt à bondir au moindre danger. Pourtant, une part de moi voulait croire qu’il y avait plus entre nous que la haine ancestrale des clans.
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Les bruits de la forêt s’étaient tus autour de la cabane. Le vent avait cessé, comme respectant la tension qui emplissait la pièce. Je posai ma main sur son front brûlant de fièvre, surpris par la chaleur malgré sa pâleur mortelle.
Je repensai à nos rencontres précédentes, à cette étrange attraction, ce trouble indéfinissable qui mêlait défi, haine, désir. Une alliance improbable se dessinait entre la meute et le clan des sang-froids, bien que je refusasse encore de lui donner un nom.
La Guilde. Ces chasseurs. Ils ne pouvaient pas comprendre, ne pouvaient pas savoir qu’à travers cette blessure, cette nuit et ce secret, un nouveau jeu s’ouvrait. Un jeu où les règles allaient changer. Où les ennemis pouvaient devenir alliés. Où l’instinct et la raison s’entremêlaient dans une danse dangereuse.
Je pris une profonde inspiration, conscient que cette nuit ne serait pas la dernière où nos destins s’entremêleraient, malgré la guerre silencieuse qui grondait autour de nous.
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Je me redressai, jetant un dernier regard à Léna endormie, mon cœur battant toujours trop fort. Le poids de la meute, de la responsabilité, des espoirs et des peurs reposait sur mes épaules. Mais ce poids était plus léger maintenant, même si le chemin était incertain.
Je sortis dans la nuit, où la brume enveloppait la forêt d’un manteau d’ombre et de mystère. Le loup en moi grogna doucement, mais pour une fois, ce n’était pas de colère. C’était un avertissement, un appel à rester vigilant.
Un avertissement que le destin, le vrai, ne faisait que commencer.
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