Eau contre feu qui va gagner ?
Depuis plus de 10 minutes, les deux hommes se faisaient face, se regardant dans le blanc des yeux, leur main droite tendue vers les cieux. Boule d’énergie glaciale et spirale de flammes s’affichaient au-dessus d’eux. Ils restaient là, face à face, à se jauger, tels des cow-boys dans un western. Analysant les moindres faits et gestes de l’autre, jusqu’à ce que la plus infime opportunité ne leur profite et leur permette de dégainer leur fidèle don.
Toutefois, rien ne semblait pouvoir faire frémir les lascars, ni même détourner leur attention. Pas même les clients du restaurant, stupéfiés, qui les observaient, fascinés par les pouvoirs déployés sous leurs yeux.
Dans ce lieu désormais sous tension, des bruits secs résonnaient à intervalles réguliers : des tapotements sur un bois creux et fendu. Ceux de Rifuzuka Tamaho qui tambourinait du bout de ses index sur le bord de la table cassée.
Soudain, la démone s’exclama, les yeux brillants :
- La tension est à son comble !
À côté d’elle, Jasmine, qui s’était déplacée pour éviter les éclats de la confrontation entre Loukïan et Enzo, mangeait tranquillement une part de pizza, l’assiette à la main.
Les deux pouvoirs, à présent pleinement activés et opposés, déclenchèrent une collision climatique d’une violence prodigieuse.
Du côté gauche, là où se tenait Enzo, un vent glacial s’éleva, plongeant la moitié des clients dans un blizzard sorti tout droit de l’ère glaciaire. En un instant, la température chuta. Le sol gela sous ses pieds ; les tables, les assiettes, même les verres se couvrirent de givre, et une neige fine commença à tomber à l’extérieur du restaurant. Le souffle polaire tournoyait autour du Charmeur, une aura bleutée gelant tout sur son passage, alors qu’il restait à fixer de son regard glacial le Dompteur De Flammes.
En face de ce chaos, Loukïan lui faisait face, son feu rayonnait tel un magma explosif. Son pouvoir enflammait l’air de la ville, déjà ardente. Une chaleur étouffante, bien que l’air glacial le fît face, de son côté, le restaurant brûlait sous ses flammes fougueuses. Plongée dans l’air irrespirable, chaque inspiration brûlait les poumons des clients. Les murs boisés craquaient et tombaient tels de la cendre, les verres se fissuraient, bouillaient sous la pression thermique, les clients transpiraient à grosses gouttes malgré leurs efforts désespérés pour s’éventer, ils n'y arrivaient pas, le sol était brûlant, au point de leur brûler les pieds.
Dans cet endroit désormais chaotique, Jasmine continuait de mâcher savoureusement sa pizza, les yeux clos. Elle n’osait regarder ce que son Capitaine s’apprêtait à faire, de peur d’assister à une nouvelle absurdité de sa part. Elle ressentait la tension ambiante : le pouvoir glacial d’Enzo avait gelé la moitié du restaurant, tandis que celui de Loukïan brûlait l’air de l’autre côté. Mais elle restait concentrée sur sa pizza, ne voulant pas intervenir, de peur d’exploser sur les deux hommes et de les envoyer tous les deux valser dans la mer, à plus de 50 m sous leurs pieds.
La démone tourna son regard vers son amie d’enfance, le sourire jusqu’aux oreilles, elle la fixa quelques secondes, puis lui octroya de violents petits coups de doigts dans le nerf de son épaule.
- Eh ! Eh ! Jasm, tu sais ce que ça veut dire ? demanda Rifuzuka qui continuait de tapoter sur le nerf de la Navigatrice.
Jasmine ne répondit pas immédiatement. Elle ouvrit les yeux, cligna face à l’éclat combiné du feu et de la glace, puis poussa un soupir avant de répliquer d’une voix lasse :
- Ça veut dire que tu vas encore faire une connerie, je me trompe ?
- Non ! Ça veut dire qu’on va pouvoir se faire un max de pognons ! s’exclama la démone surexcitée. Des paris, Jasm ! On va s’en mettre plein les poches !
Main levée vers le ciel, elle se mit debout sur le banc, puis créa un portail interdimensionnel de forme ronde, aux teintes sombres. Elle en sortit un panier et une liasse de billets qu’elle déplia en éventail devant son visage, hilare.
¾ On va être plein aux as ! rajouta la démone qui s’accroupie devant la Cyborg tout en s’éventant toute contente de sa découverte.
Jasmine leva les yeux, résignée, et souffla :
- Si tu veux mon avis… ça va très mal finir cette histoire. Sérieusement, c’est pas très futé un mec. Toujours à grincer des dents et à bomber le torse comme un vieux gorille territorial en manque d’applaudissements, renvoya la Cyborg en mastiquant sa pizza avec la grâce d’un T-Rex blasé.
- Pff… Rabat-joie ! Tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez Jasm, oui, ça va barder pour les deux et je peux te garantir qu’ils vont se faire laminer par le père d’Enzo, mais en attendant… on pourra s’acheter pleins de choses dont de la bonne nourriture, déclara démoraliser Rifuzuka, qui sauta du banc et partie chercher de futurs clients.
- Non, mais c’est pas possible, elle est complètement tarée, cette nana, pensa Jasmine en regardant la démone partir vers les gens.
- EH ! EH ! JE T’AI ENTENDU JASM ! hurla Rifuzuka mécontente.
- EH ! BAHHHHHHHH , t'en mieux !
Se dévisageant et grimaçant tous deux depuis un moment, Loukïan ressentit des fourmillements dans sa main gauche, il commença à la bouger : auriculaire, annulaire et pouce frémissaient.
- Oh, non, oh, non, non ! C’est… c’est affreux, ça… ça me gratte !
Une gestuelle discrète qui resta fatale pour le Dompteur De Flammes.
D’un geste absurde, Enzo tira avec sa main gauche, imitant le son du tir d’un pistolet à glace.
- Piou, souffla le Charmeur en faisant passer sa main sous son bras, avant de souffler sur ses doigts.
La glace fusa en direction du Capitaine, elle virevolta, tournoya, puis frappa de plein fouet les phalanges du Loukïan, en une fraction de seconde les doigts de sa main gauche gelèrent.
Brûlant de colère à cause de la congélation, les cheveux de Loukïan s’embrasèrent. Dans un réflexe impulsif, il carbonisa le fessier musclé de l’héryganien. Ce dernier bondit de deux mètres, hurlant de douleur dans les airs.
- Mais… bordel ! ARRÊTE DE BRULER TOUJOURS MON CUL ! lança-t-il en riant en redescendant du ciel.
- Mouahahahahahah ! Ma colère n’a aucune limite ! hurla Loukïan sous un rire machiavélique.
- Eh ton sens du ridicule non plus Cap’taine ! pensa aussitôt Jasmine qui regardait Loukïan et Enzo se battre.
De son côté, Rifuzuka, passait de table en table, elle traversa le champ de bataille avec une agilité presque féline, esquivant les débris et les éclats de pouvoir comme si elle dansait, puis passa devant les tables encore debout, s’adressant à chaque client médusé, ses billets toujours en éventail :
- Messieurs, dames ! Un combat d’exception s’offre à vous ! Qui mise sur Loukïan, le Seigneur des Braises ? Qui parie sur Enzo, le Charmeur de Glace ? C’est l’heure de parier et de savoir qui va remporter !
Les clients, d’abord hésitants, finirent par se prendre au jeu. Une vieille dame à lunettes, tremblante, sortit lentement sa main de sous la table :
- Moi, je mise sur celui avec les cheveux qui sentent le roussi !
- C’est noté, Mamie, un vote pour le Pyromane ! répondit Rifuzuka en tamponnant le billet sur le panier et en regardant Loukïan et Enzo se battre.
Pendant ce temps, Jasmine finissait sa pizza en silence. Plus exaspérée que jamais, elle souffla :
- Loukïan ou elle… à ce stade, c’est plus de la honte, c’est une malédiction sociale.
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