The Hellnet
Une fois sur le Hellnet, on perdait toute notion de moralité, d'intégrité, de loyauté. Tout simplement parce que c'était inutile. Personne ne s'occupait de personne.
Autant être franc, j'ai vraiment kiffé cette période totalement dingue. J'étais connecté en permanence, à l'affût de la moindre information qui pouvait me rapporter de l'argent. Je disais oui à tout : aux mecs qui cherchaient des armes, aux filles qui aimaient le sexe violent, aux types qui pirataient d'autres types, aux dames qui aimaient avoir peur, aux enfants qui se vengeaient entre eux, aux tarés qui voulaient manger du chien... J'étais partout : dans les grands centres boursiers, dans les administrations militaires, dans les sociétés de jeux, dans les services de police.
Je bouffais des sachets déshydratés et buvais des litres de caféthé dilués au Pepsca Cola qui me maintenaient éveillé au-delà du raisonnable.
J'avais du fric comme jamais mais je vivais terré dans l'U.B.M. Et j'étais enfin à ma place, les doigts scotchés sur mon clavier, parcourus d'une excitation électrique.
Tout aurait pu rester ainsi. Tout aurait dû rester ainsi.
Un jour, un message de folie s'est affiché sur mon écran, émanant de la GTO - Giant Total Organisation, " salut Dan, connexion cryptée dans 6 heures, code 666/Xter9/44". Sur le coup, j'ai pensé à un piège ou un canular. La GTO était juste le consortium qui gérait les ordinateurs centraux de toutes les villes, le genre tentaculaire et surpuissant. Le message s'affichait toutes les heures façon compte-à-rebours, dans un coin de l'écran. Et aucun signe de la cyber-brigade de contrôle qui me serait tombée dessus depuis longtemps s'il s'agissait d'une arnaque. J'étais tétanisé et hypnotisé.
Alors bien-entendu, j'ai tapé le code 666/Xter9/44 exactement 6 heures après l'avoir lu pour la première fois.
Comment dire. J'ai quitté le monde connu, le cerveau comme aspiré et l'ego en mode "Dan, tu es le surdoué des surdoués". La GTO se foutait des sombres turpitudes humaines, qu'elle incitait néanmoins y voyant un paravent facile pour développer son seul et unique projet: l'Intelligence Artificielle Terminale.
Je ne l'ai pas compris immédiatement. La GTO distribuait les Cryptodol comme des bonbons acidulés crachés d'un canon à neige et j'ai abandonné toutes mes petites activités lucratives sur le Hellnet pour me taper des heures de codage, des pages et des pages de lignes vertes qui défilaient sans que j'y comprenne grand-chose au départ.
Je ne suis pas quelqu'un de bien, je vous l'ai déjà dit.
Peu à peu, j'ai commencé à vendre les données que je codais grâce à l'estampillage GTO qui suffisait à attirer n'importe quel escroc un peu clairvoyant. Et il ne se passait rien, pas de brouillage, pas de coupure de connexion, pas de descente de la cyber-brigade. Rien. Juste le cliquetis infernal des touches de mon clavier sous mes doigts. Et la thune qui tombait.
Plus que l'appât du gain, c'est la transgression qui me faisait carburer. "Mon petit Dan, tu baises bien le système, même la GTO surpuissante !"
Le Dan d'Alphaville était mort, il n'avait jamais vraiment existé. Le Dan de Skytown était un génie.
Enfin j'aime bien voir les choses ainsi pour ne pas reconnaître que c'est moi et seulement moi qui ai merdé dans les grandes largeurs.
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