Un bien singulière rencontre

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Au bout de quelques heures, ils pensèrent avoir atteint le cœur de la forêt : l’atmosphère y était étouffante. Les arbres étaient tellement concentrés que malgré leur petite taille, ils éprouvèrent des difficultés pour progresser, devant éviter branchages et troncs rapprochés. Soudain, ils s’arrêtèrent net. Alors qu’ils n’avaient perçu que le chant tout joyeux des oiseaux depuis le début de leur progression, ils entendirent des craquements. Quelqu’un était proche, et marchait nonchalamment, faisant craquer tous les bouts de bois sous ses pieds.

Nos deux amis repérèrent un buisson et s’y faufilèrent vite fait. Quel ne fut pas leur étonnement lorsqu’ils aperçurent une femme. Elle ne ressemblait à aucune Tirgalionne : elle avait les cheveux d’une couleur pourpre, des oreilles taillées en pointes. Quant à son teint, il n’en avait jamais vu un pareil ; il était verdâtre, bien plus prononcé que celui du gros Panssdur avait trop mangé et qu’il se retenait de régurgiter. Elle était bien plus grande qu’eux, devait avoir une taille équivalente à celle du géant que Sighdur avait croisé quelques jours plus tôt.

D’un coup, la créature s’arrêta de marcher. Elle leva la tête, et commença à sentir l’air autour d’elle, comme si une odeur inhabituelle l’avait submergée et en cherchait la source. Ils purent mieux l’observer, et se rendirent compte qu’elle était très très belle. Ses traits de visage étaient fins, avec des yeux couleurs de l’océan. Après avoir reniflé quelques secondes, elle se tourna vers le buisson qui les cachait et s’adressa aux deux compères.

— Mais que vois-je là, donc ? Ne serait-ce donc pas des petits Tirgalions ? Qu’est-ce que vous faites là, si loin de chez vous ?

Elle s’approchait, avec un rictus que ni Sighdur ni Taitdur n’auraient pu dire s’il était amical ou mauvais. Ils ne savaient pas comment réagir et étaient tétanisés sur place. Voyant la peur qui transpirait de tous les pores de nos deux Tirgalions tout penauds, elle ralentit et dit d’une voix plus calme.


— Rassurez-vous, je ne vous veux aucun mal. Je me nomme Séléna, maîtresse de cette forêt depuis tant d’années. Je n’ai plus vu de Tirgalion depuis, depuis…

Elle fit une pause, levant la tête semblant chercher la réponse au fond de son esprit. Mais globalement, nos deux compères avaient surtout l’impression qu’elle était en train de sentir quelque chose, vous savez comme lorsqu’on essaie de détecter l’origine d’une odeur venant d’un derrière. Oui, elle semblait « sentir le pet ».

Mais suivez-moi donc, vous êtes bien loin de chez vous, venez donc prendre une tasse de thé dans mon humble maison !

Ils se regardèrent tous les deux, et Taitdur haussa les épaules.

— Certes, madame ! Nous acceptons volontiers votre invitation ! Cela fait deux jours que nous marchons, un bon thé ne serait pas de refus !

Sighdur fronça les sourcils. Il n’aimait pas trop la réponse de son compère, même si un bon petit thé lui ferait le plus grand bien. Mais ni Séléna ni Taitdur ne le laissèrent émettre la moindre objection en se mettant en route. Il soupira un bon coup puis trotta derrière eux pour les rattraper.

Ils suivirent donc cette étrange créature, qui s’enfonçait un peu plus profondément dans les bois, délaissant ce qui restait de la route. Au bout de quelques instants, ils arrivèrent à l’orée d’une petite clairière, et au milieu d’elle une charmante maisonnette, avec un grand pourtour de fleurs. Les deux Tirgalions ne purent résister au charme bucolique de l’endroit et marchèrent d’un pas tout joyeux vers la chaumière.

Une fois à l’intérieur, ils découvrirent une demeure bien coquette : des petites tapisseries dans des cadres bucoliques et champêtres décoraient les murs, les meubles étaient faits avec amour dans un bois que les deux Tirgalions n’arrivaient pas à définir, mais qui semblait bien robuste. Leur hôtesse leur fit signe de s’asseoir, en mettant quelques livres sur les chaises afin qu’ils puissent voir correctement la table, les meubles n’étant bien sûr, pas adapté à la petite taille des Tirgalions. Pendant qu’ils grimpaient et prenaient place, elle alla préparer le thé, et chercher quelques biscuits qui trônaient sur une étagère.

Une fois que tout fut prêt, elle se mit à table.

— Bien, maintenant que tout est prêt, présentons-nous un tout petit peu plus. Comme je vous l’ai dit, je m’appelle Séléna et je vis ici depuis bien longtemps, à vrai dire je ne me rappelle plus trop bien, je ne compte plus les années ! Et je dois dire que cela fait un bon bout de temps que je n’avais plus vu de Tirgalions ! Qu’est-ce que vous faites si loin de chez vous ?

Ce fut Taitdur, qui plein d’assurance et avec une certaine fierté, prit la parole. Sighdur ne disait un mot, humant son thé et le dégustait en silence. Cette personne ne lui inspirait pas du tout confiance.

— Je suis Taitdur et voici mon ami de longue date Sighdur. Nous sommes en mission pour le Val !

À ces mots, Sighdur se tourna vers lui, ses sourcils se froncèrent tellement qu’ils atteignirent presque le bas de leurs paupières. Il n’avait pas répété les mots de l’Ancien, sur le fait qu’ils ne devaient faire confiance à personne. Il aurait dû lui toucher un mot. Mais Taitdur le comprit au regard de son ami et ne continua pas son explication.

— En mission pour le Val ? Voilà qui est passionnant ! Moi qui croyais que les Tirgalions ne passaient leur temps qu’à chanter et faire des farces aux autres !

— Mais oui, nous en sommes en mission, justement, notre ancien va fêter ces deux-cent ans et nous allons lui faire un tour du tonnerre. C’est pourquoi on nous a envoyé par-delà Tirgoval pour la préparer !

Séléna sourit et se resservit une tasse de thé et leur proposa un biscuit. Ils étaient délicieux, Les Tirgalions n’en avaient jamais mangé de telle sorte, se demandant bien avec quelle farine ils avaient été cuits. Mais Taitdur était pensif et se posait tellement de questions qu’il n’arrêta pas d’interroger leur hôtesse.

— Et vous madame Séléna, vous connaissez donc notre existence, à nous, Tirgalions. Mais vous, qu’êtes-vous, si je puis me permettre ?

Elle pouffa de rire en entendant cette question.

— Vous semblez bien ignorant, Monsieur le Tirgalion, pour vous aventurer hors de vos terres ! Je suis une nymphe, comme il n’en reste plus beaucoup en Alinora. Nous avons été massacrées pour la plupart d’entre nous, et nous nous sommes éparpillées dans tout le continent. Je vis comme la plupart de mes semblables, cachée, et votre forêt est l’endroit idéal pour être tranquille !

— Les humains sont si terribles que ça ? Ce sont bien eux qui vous ont fait ça ? On nous a dit de se méfier d’eux !

— Oui, les humains ne nous aimaient pas beaucoup. Ils voulaient qu’on les serve, qu’on serve de bêtes de compagnie à leurs grands seigneurs pour leur plus grand plaisir et leur divertissement. Mais nous ne nous sommes jamais laissées faire, et de rage, comme ils n’arrivaient pas à nous dompter, nous ont truandées.

Les deux compères se regardèrent. Sigdur trembla en entendant ces mots, se rappela également de ce que lui avait dit l’ancêtre sur les humains. Au plus il entendait parler des géants, au moins il avait envie de les rencontrer et rebrousser chemin. Mais Taitdur, avide de savoir, continuait de questionner Séléna.

— La forêt ici, il n’y a donc que vous qui y viviez ?

— À ma connaissance, oui. Vous savez, les humains n’y mettent pas les pieds. Pour eux, cette forêt est maudite et personne n’ose la traverser. Les hauts-nobles d’Alinora la décrétèrent maudite pour que personne ne s’y aventure et découvre votre vallée. Votre ancien ne vous l’a-t-il pas expliqué ?

— Non. Il est le gardien du savoir. C’est lui qui garde la mémoire, qui connaît le monde et l’histoire. Avec toutes ces connaissances, il nous conseille. Et s’il ne raconte pas toute l’histoire d’Alinora, hormis certaines vieilles légendes qui concernent les Tirgalions, il dit que c’est pour notre bien et que nous puissions vivre en toute insouciance, sans qu’on aie à se préoccuper de ce qui nous entoure ou de notre passé.

— Hé bien, on va faire un mini résumé : il y a bien longtemps, il y eut une grande guerre, qui unit une grande partie des peuples d’Alinora, à savoir les humains, les Sylvains et Trappus contre Gogol, le Seigneur fou des terres du nord. Les Tirgalions étaient pris entre deux feux, et beaucoup périrent. Lorsque Gogol fut vaincu, les nobles d’Alinora vous donnèrent cette terre, devenue Tirgoval pour que puissiez vivre en paix et ne plus subir les guerres, devenues si communes sur tout le continent.

Ils l’écoutèrent parler encore et encore, mais au plus elle parlait, au plus les questions s’accumulaient pour nos deux amis, se demandant dans quel monde ils allaient atterrir. Ils l’écoutèrent tellement parler qu’ils n’avaient pas vu que le soleil atteignait l’horizon et qu’il leur faudrait trouver un endroit où passer la nuit. Séléna, les voyant regarder par la fenêtre arrêta le plongeon dans le passé d’Alinora.

— Diantre ! Il est déjà si tard ! Le temps passe vite lorsque je raconte toutes ces histoires ! Je vous ai retenu plus que je ne l’aurais du, mais comme le soleil a déjà passé l’horizon, que diriez-vous de dormir au chaud pour cette nuit ?

C’était la proposition à ne pas refuser. Sighdur n’avait presque pas fermé l’œil depuis leur départ, Taitdur bien qu’il ait dormi correctement, s’était réveillé avec moult courbatures. Même si Sighdur ne sentait toujours pas à l’aise, s’ils pouvaient dormir au chaud bien tranquillement, autant en profiter ! Ils partiraient dès l’aube, quitte à ne pas attendre que Séléna se réveille.

Ils discutèrent encore durant une bonne partie de la soirée, Taitdur racontait la vie quotidienne en Tirgoval à leur hôte, et elle répondait à leur question. Ils s’endormirent bien tard, mais bien au chaud, leur charmante hôtesse leur ayant fait un peu de place au pied de son lit afin qu’ils soient bien installés.

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