Réponse à "Simplicité"

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Lorsque j’étais enfant, il y avait cet homme qui habitait au cœur de la forêt, près du village. Personne ne connaissait son nom, et lui-même ne semblait connaître le nom de personne. Il s’était bâti une modeste cabane le long d’un ruisseau, y avait fait pousser un grand potager et, là-bas, il passait ses journées à couper du bois.

Les paysans du coin le voyaient régulièrement arpenter les routes. Tous les deux jours, l’homme-arbre (c’est ainsi qu’il se faisait appeler), allait chercher des troncs dans une forêt voisine. Il partait de chez lui au petit matin, coupait un arbre, et passait le reste de la journée à le traîner à bout de bras. Un tronc, c’est lourd, et bien que de nombreux habitants du coin lui aient un jour ou l’autre proposé leur aide, il refusait toujours poliment avant de continuer sa route, seul.

A chaque fois, il faisait nuit lorsqu’il réussissait enfin à le ramener chez lui. C’est le lendemain qu’il commençait à le tailler. Tantôt en carrés, tantôt en triangles, il lui arrivait même de fabriquer de belles sphères bien lisses lorsque lui en prenait la fantaisie. Et tout ça avec une simple hache ; je ne sais pas ce que tu en penses, mais c’est assez impressionnant. Je suppose qu’à force de faire la même chose tous les jours, on acquiert une certaine maîtrise de son affaire.

Son activité finit par attirer bon nombre de personnes intéressées. Saisies par la qualité de son ouvrage, elles essayèrent toutes de lui proposer du travail. “J’aimerais une centaine de planches pour mon chantier”, “Pourriez-vous me faire une commode, c’est pour l’anniversaire de mon cousin”, "Fournissez-moi en bois de chauffage pour une année, et vous serez grassement payé”... Jamais l’homme-arbre n’accepta la moindre proposition. Vois-tu, l’argent et le travail ne l’intéressaient pas, lui, ce qu’il voulait, c’était couper du bois. Le pire dans tout ça, c’est qu’il ne s’en servait même pas. Lorsqu’il avait besoin de se chauffer, il allait au marché pour troquer quelques-uns de ses légumes, et jamais il n’a essayé d’agrandir ou d'embellir son modeste logis. Tant et si bien, que tout le bois qu’il coupait se retrouvait entassé au creux de la petite clairière qui jouxtait sa maison. Tu aurais vu ça, c’était magnifique. Il y avait quelque chose de magique qui émanait de cette montagne de bois, de toutes les formes et de toutes les tailles, qui s'élevait jusqu’à la cime des arbres. Malgré les titanesques efforts que l’homme-arbre s’échinait à déployer, il laissait quiconque en avait le besoin ou l’envie venir se servir, et jamais il ne demandait quoique ce soit en échange.

Les années passants, lui, sa cabane, et sa montagne, étaient petit à petit devenus une attraction locale. Les voyageurs qui passaient dans la région s'arrêtaient immanquablement chez nous dans le but de visiter la demeure du fameux homme-arbre, des curieux venaient presque chaque jour pour le regarder œuvrer. Si bien qu’en peu de temps, les auberges du village commencèrent à voir leur chiffre sensiblement grimper ; au contraire de celui des bûcherons du coin. Car, dès que quelqu’un avait besoin de bois, il allait simplement se servir dans la montagne. Si la forme ou la taille ne lui convenait pas, il faisait généralement avec, et modifiait ses plans. Peu de projets peuvent résister à l'appel de la gratuité. En conséquence, les gens et leurs envies s’adaptaient aux fantaisies de ce curieux personnage.

Un beau jour, ma mère m’envoya chercher du bois. Je ne me souviens plus pourquoi, mais je me rappelle qu’elle voulait absolument des rectangles. “S’il n’y en a pas, tu retourneras là-bas demain, ou après-demain", m’avait-elle dit. A cette époque, cela faisait déjà une dizaine d’années que l’homme-arbre s'était installé ici. L’engouement des débuts calmé, il était passé d’attraction locale à curiosité banale.

Je suis donc partie sur les routes avec mon petit baluchon, suis rentrée dans la forêt, et ai suivi le ruisseau jusqu’à arriver à la cabane. Lorsque je me suis approchée de la montagne, je vis cet homme pour la première fois. Il y déposait ses nouvelles créations, une trentaine de losanges, de la taille de mon avant-bras, qu’il plaçait avec soin au pied de l’édifice. J’étais très jeune alors, une dizaine d’années tout au plus ; ce grand gaillard de presque deux mètres, à la carrure d’ours, et à l’épaisse barbe qui lui tombait jusqu’aux genoux m’impréssionnais beaucoup. Sans oser lui parler je me suis mis à chercher ce que ma mère m’avait demandé, mais j’eus beau regarder dans tous les recoins, impossible de trouver des rectangles. J’ai donc fini par me résoudre à demander à l’homme-arbre de m’aider. Il me répondit alors, d’une voix douce et basse, presque un murmure.

— Des rectangles ? Mmmh, il me semble en avoir fait il y a quelques jours de cela. Attends, je vais vérifier.

Il commença alors à déblayer la base de la montagne à l’aide de ses énormes bras. Il se m’y nonchalamment à jeter derrière lui cônes, cylindres et hexagones. Dans un petit cri de triomphe, il lança.

— Rectangles ! Je les ai trouvés, combien t’en faut-il, ma jeune amie ?

— Euh…ma maman m’a demandé d’en prendre une dizaine.

Il me ramena donc dix rectangles de bois qu’il mit lui-même dans mon baluchon. Après l’avoir remercié, j’allais reprendre la route, quand je me risquai à lui demander.

— Monsieur arbre, pourquoi est-ce que vous faites ça ?

— Pourquoi je fais quoi ? me répondit-il en se grattant le menton.

— Eh bien, couper du bois. Tous les jours, pour rien. Personne ne vous le demande.

— Mmmh, je ne sais pas trop à vrai dire. Simplement parce que j’aime ça, je suppose. Il faut bien occuper ses journées, passer le temps. Ca ou autre chose…

— Mais, ma maman dit que vous pourriez gagner beaucoup d’argent et avoir une bonne place dans la société si vous acceptiez de travailler pour nous ; les mains sur les hanches, j’avais imité le ton inquisiteur et péremptoire de ma mère. Pourtant, vous restez seul, sans rien…vous êtes quand même bizarre.

— Hahaha, oui, je suppose que je le suis pour vous autres. Mais je ne vois franchement pas le bien que ce que ta maman voudrait que je fasse pourrait m’apporter. Je suis heureux ici, avec les arbres et les animaux comme compagnie. Je n’ai jamais vraiment apprécié celle des humains. La vie est trop longue pour ne pas avoir de hobby, et bien trop courte pour s’encombrer de ce qui ne nous ravit.

— Mmmh ; je me grattais le menton, comme il l’avait fait. Vous êtes définitivement un peu louf, monsieur arbre.

Son rire franc et tonitruant se remit alors à résonner.

C’est à partir de ce jour que j’ai commencé à lui rendre quotidiennement visite. Moi, j’aimais bien avoir des amis humains et passer du temps avec eux, alors son point de vue sur les choses me rendait vraiment curieuse, je voulais comprendre. Nous passâmes de longs moments à discuter ensemble. Au début, je restais à le regarder tailler du bois sans piper mot. Lui non plus ne parlait pas. Puis, jours après jours, mois après mois, nous commençâmes à nous ouvrir l’un à l’autre.

Cela a duré près de cinq années. Il était devenu mon meilleur ami, et j’aime à croire que j’ai réussi à lui faire apprécier la compagnie d’autrui.

Un jour comme les autres, je suis allée lui rendre visite et l’ai vu allongé au milieu de sa montagne. J’ai d’abord pensé qu’il dormait là, comme cela lui arrivait, mais j’ai vite compris que quelque chose clochait. Il était étendu sur le ventre, un mince filet rouge courait de sa poitrine jusqu’à l’amoncellement de bois. Ce fut la première fois que je vis un mort d’aussi prêt ; j’étais dévastée. Après avoir passé plusieurs minutes à le secouer dans tous les sens pour essayer de le réveiller, sans succès, j’ai couru de toutes mes forces jusqu’au village pour trouver de l’aide. Mais je n’y ai trouvé que froideur et connivence. C’est à ce moment-là que je pris connaissance des bruits qui couraient sur notre compte. Vois-tu, un homme âgé qui passe ses journées seul avec une petite fille comme je l'étais, ça ne manque pas de faire jaser. Pour autant, personne n’avait trouvé bon de venir m’en parler pour savoir ce qu’il en était.

Pendant longtemps je me suis senti responsable de son décès, mais j’ai finalement compris, ça n’avait rien à voir avec moi. Au fond, ils savaient très bien qu’il ne se passait rien. Cette histoire n’était qu’un prétexte. Un prétexte trouvé par les habitants jaloux de la vie qu’il menait, par les bûcherons qui peinaient à remplir leurs gamelles, et par tous ceux qui voyaient leur mode de vie moqué et mis à mal par la présence d’une telle anomalie. Prendre le risque de voir leur beau prétexte malmené par mon témoignage était un danger qu’ils ne pouvaient se permettre.

— Enfin bref, la triste fin de cette histoire n’a que peu à voir avec la raison pour laquelle je te l’ai raconté. Alors, Ethan. Maintenant, comprends-tu pourquoi j’écris ?

— Oui, je crois que oui madame feuille. C'est les formes, n'est-ce pas ?

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Table des matières

En réponse au défi

Simplicité

Lancé par Calypso Dahiuty

Cher Scribayens,

Aujourd'hui je vous propose un défi tout simple : écrire une petite histoire. Trouver un personnage parfaitement simple, et lui écrire, sans faire un roman, une histoire toute simple mais jolie à la fois. Par là, je veux dire, pas de grande tragédie ou une vie facile, mais une sorte de conte un peu poétique qui retrace la vie de votre personage du début à la vie.

PS : je met genre imposé poésie mais pas de contrainte pour vous ;)

Je vous en fait un exemple :)

Au plaisir de vous lire,

Calypso

Commentaires & Discussions

L'Homme-ArbreChapitre6 messages | 2 ans

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