QHS

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En ce jour de mai où le printemps n’en finit pas de goutter, deux gardiens d’un fourgon pénitentiaire sont abattus à un péage d’autoroute. Sur les réseaux, ça commente à la va comme je te pousse, que le monde est fou, que c’est sûrement encore un coup des basanés, oyé oyé braves gens n’oubliez pas de bien voter, d’ailleurs que fait le Président ? L’émocratie bat son plein et, dans l’écho du bordel ambiant, il n’y a place que pour le bruit et la furie. Las, on s’éloigne, un mouchoir par-dessus sa désolation. Et alors survient cette curieuse question : l’antienne qui voudrait que décidément, c’était mieux avant, s’applique-t-elle ici encore ? Dans ces actes sans foi ni loi qui, au débotté d’un jour ordinaire, conduisent un être à en dézinguer un autre. Totalement, tragiquement, gratuitement. A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, les voyelles et l’éternité à jamais. La balle d’un 350 Magnum, même perdue, était-elle moins atroce dans l’air déjà vicié de nos jeunes années ? Et d’éprouver une gêne, avec un petit relent frissonnant de honte, à l’idée de cette fascination nostalgique pour le brigand malfaiteur d’antan, fût-il meurtrier. De tout temps, il y eut de grands bandits. On se souvient de Jacques Mesrine, l’échappée belle de l’homme aux mille visages. Il n'était pas très grand mais avait un charisme incroyable, séduisait tout le monde, autant par ses propos que par sa prestance. Jusqu’à convaincre ses gardiens de s'élever contre l'administration de sa bastille. De l’ennemi public numéro 1 des années giscardiennes, on garde les images du tendre, du drôle et du touchant ; on a laissé dans un tiroir aux frayeurs celles d’un jacquot tueur et de la fripouille rebelle. Ce matin, deux hommes ont été rayés de la carte du tendre, alors le film est-il vraiment différent ? Hier comme aujourd’hui, il y a mort d’hommes et finalement, n’est-ce pas là le seul élément capital ? On ne sait rien de l’évadé du péage. Mais quelque chose nous laisse à penser que nous ne sommes plus dans la même cour grillagée. Mesrine, on l’aimait quand même. Un peu. Malgré tout, malgré nous. Il avait passé sa vie à jouer au chat et à la souris et mis quelques points d’honneur dans son poker menteur. Aurait-il tiré ainsi, une balle dans la tête à bout portant ? Il avait presque la tenue d’un robin des bois qu’il n’était pas. Il disait et écrivait, les riches et les pauvres, la liberté et la déshumanité du milieu, l’amour et l’humour, le refus du système. Aujourd’hui, avec les narcotrafiquants, mafia et compagnie, on supprime une vie comme on la gagne, dans un jeu vidéo. Est-ce vraiment le cas ? En ce soir de mai où le printemps colle aux semelles, où pas un seul jour ne semble passer sans qu’un couteau ne soit pointé ou un corps perforé, on s’accroche désespérément aux branches trempées sous un automne qui n’en finit plus. Alors, on pense à Mesrine, l’homme qui rimait avec braquage, Lupin et romantisme.

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