Chapitre 2
Zola
C'est officiel j'allais mourir là, en haut d'un pin, ou au minimum me faire dessus. Le lynx se hissa sur ses quatre énormes pattes et se mit à gronder sourdement tout en s'approchant lentement. Je m'imaginais déjà éventrée et balancée par-dessus bord. J'espérais que Orion aurait au moins la décence de nourrir Tahnee. Ma bébé d'amour, elle allait de nouveau se retrouver seule. À cette simple mais horrible idée les larmes me montèrent aux yeux et un gros sanglot menaça de sortir de ma gorge. Je ne voulais pas mourir ainsi. Tout mon corps fût pris de tremblements. Orion mit sa grande main sur mon épaule et s'adressa à son ami.
- Ash, bordel arrêtes ça, elle va croire que tu veux la bouffer! Zola, ma belle, respires, il fait juste son gros matou grincheux. Assis minou!
Et là, comme par enchantement, le lynx posa son derrière poilu de mal embouché sur la branche, sans pour autant me lâcher du regard. Je tentais de reprendre contenance. Je sentais mes genoux prêts à flancher.
- C'est bien mon chaton. Je te présente Zola. Zola est notre amie, on ne mange pas ses amis.
Je vis distinctement le "chaton" levé les yeux au ciel et se lécher les babines. J'étais censé faire quoi? Lui tirer la langue en retour?
- Zola voici Ash. Il a un caractère de merde mais je l'aime comme il est. Je te promets qu'il va bien se comporter. Il essaie juste de t'impressionner avec ses belles moustaches et son poil soyeux. Tu veux bien sortir les provisions de ton sac et lui donner ? Il sera un poil moins grincheux après avoir mangé.
Je regardais Orion avec des yeux de merlan frit et me mis à brailler.
- Tu veux que je le nourrisse ? Dans tes rêves, il va me gober la main et le bras avec. Je refuse de finir en pâtée pour chat même si celui-ci est magnifique!
Tout en râlant et essayant de me calmer, j'extirpais les cuisses de poulet de mon sac. Aussitôt les pupilles du félin se dilatèrent et son museau frémit. Mon instinct de survie, certes peu développé, savait que j'étais face à un prédateur capable de m'arracher la tête d'un coup de patte. La grosse bécasse folle d'animaux, elle, voyait juste un gros chaton affamé. Mon imbécile de cœur se serra. Evidemment la bécasse remporta la partie.
- Oh là là mais tu as l'air affamé mon pauvre! Tiens manges ça et j'ai aussi de l'eau pour toi, tu sais boire à la gourde? J'ai appris à Tahnee pour ne pas avoir à trimballer une gamelle partout avec moi, mais j'ai un doute te concernant. Et voilà que je me mets à déblatérer comme d'habitude. Fermes là Zola!
Orion me fixait d'un air ébahi, les lèvres pincées pour ne pas rire.
- Tu te parles souvent à toi même ?
- De temps en temps, surtout quand je suis nerveuse. Généralement je parle à Tahnee ou aux poules, ça fait moins louche. Comme je passe la majorité de mon temps seule, surtout depuis que je suis arrivée ici, je verbalise mes pensées à voix haute.
C'est au moment où je sentis des moustaches me chatouiller le bout des doigts que je compris que, lasse d'attendre, le "chaton" affamé, était venu se servir lui-même. Je réprimais tant bien que mal un sursaut. Orion gloussa. Je refrénais l'envie de l'observer pour ne pas le gêner. Il avait l'air assez grognon comme ça. Je ne réussis cependant pas à ignorer bien longtemps son pelage fauve moucheté, les pinceaux sur ses oreilles et cette zone plus claire sur sa fourrure. La tâche, comme dépigmentée, s'étalait de son œil gauche jusque sur le dessus de sa tête. Je n'avais jamais observé un animal sauvage de si près. Je dû me faire violence pour détourner le regard Il avait l'air assez grognon comme ça. Le Brownie m'offrit un grand sourire, fier de lui.
- Tu vois, il t'a laissé tous tes doigts ! Pour l'eau je vais m'en charger merci.
En effet, Orion me prit la gourde des mains et fit couler un peu d'eau dans sa main en coupe. Le lynx vint y boire. Ils renouvelèrent l'opération jusqu'à ce que la gourde soit vide. Le Brownie prenait garde à ne pas toucher son ami, comme si ce dernier ne supportait pas les contacts. Ou peut-être souffrait-il d'une blessure. En observant plus attentivement le félin, je remarquais une certaine faiblesse et même de la maigreur, mais pas de sang. Orion lui murmurait des choses avec douceur, ces deux-là semblait bien se connaître. Je trouvais la scène extrêmement touchante. Malgré tout je ne pouvais m'empêcher de me tracasser pour l'état physique du félidé. Qu'est ce qui lui était arrivé ?
- J'aurais dû apporter plus de viande, je pourrais y retourner si tu m'aide à descendre Orion.
- Ça ira pour ce soir, s’il mange trop d'un coup il va être malade. Nous allons le laisser tranquille. Il va sûrement se rendormir. Je te raccompagne viens.
Cette fois Orion me laissa m'approcher de lui et me prit dans ses bras comme la première fois. Juste avant qu'il ne s'envole je jetais un dernier regard au lynx qui s'était recouché.
- Bonne nuit Ash.
Il me fixa et fit un léger mouvement de la tête, comme pour me saluer à son tour. Mon cœur sembla louper un battement. Perdue dans mes pensées, je ne remarquais pas que mon nouvel ami ailé ne s'était pas contenté de me descendre de l'arbre. Il avait volé jusqu'à la station. Après m'avoir déposé devant l'entrée du sas, il reprit sa taille normale, qui semblait être la plus petite. Ce qu'il me confirma.
- Je consomme beaucoup d'énergie à maintenir ma taille humaine.
Effectivement il semblait épuisé. Voler avec une femme de 90 kg dans les bras n'avait pas dû arranger les choses... Le pauvre allait se réveiller demain avec un lumbago de tous les diables.
- Viens avec moi Orion, je vais te préparer quelque chose à manger. Tu aimes les protéines de soja ? Il me reste du chili sin carne et du riz.
Sans plus de cérémonie il se posa sur mon épaule, me fit un bisou sur la joue et se laissa guider. Tahnee nous attendait de pattes fermes, elle aussi avait faim. Je proposais à mon petit invité de s'installer confortablement où il voulait mais il préféra rester sur mon épaule. En quelques minutes j'avais réchauffé notre repas et servi la gamelle de Tahnee. C'est là que mon esprit partit en vrille pour un sujet complétement trivial.
- Merde je n'ai pas de couverts à ta taille et comment tu vas faire pour avaler ça ? Les haricots rouges sont pratiquement aussi gros que ta tête et si tu t’étouffe ? Je vais te casser en deux en voulant pratiquer la manœuvre de Heimlich et...
Orion me regardait comme si un troisième œil avait poussé au milieu de mon front. D'un coup d'un seul il se mit à hurler de rire.
- Mais Zola, il me semblait logique que j'allais reprendre ma taille humaine pour manger ! Ton chili sent bien trop bon pour que je n'en profite pas pleinement.
Je le suivi dans son fou rire. Décidément je vivais des putains de montagnes russes émotionnelles depuis les deux dernières heures.
- Effectivement j'aurais dû y penser, je ne suis pas réputée pour avoir un esprit logique. Je suis désolée mon cerveau s'est mis en mode panique!
- J'ai vu ça. Tu restes sans broncher ou presque après avoir rencontré un Brownie et un Métamorphe mais tu paniques à l'idée que je m'étouffe avec un haricot rouge. Je te trouve fascinante Zola! Tous les humains sont-ils comme toi ?
- J'aimerais pouvoir te dire que oui mais c'est un fait, mon cerveau et mon cœur ne sont pas câblés comme chez les autres. La grande majorité des gens aurait hurlé et t'aurais sûrement tué ou attraper pour faire des expériences sur toi. Moi la seule chose à laquelle je pensais c'est que je n'avais jamais vu un truc aussi mignon et drôle. Je veux dire tu chevauchais ma poule Orion! Encore pire en voyant Ash, j'avais objectivement peur, mais j'avais surtout envie de le gratouiller derrière les oreilles. Je ne sais pas trop ce que ça fait de moi... Une meuf fêlée ça c'est certain.
- Une meuf selon mon cœur ma Zola. Tu sais ce que l'on dit " heureux soient les fêlés car ils laissent passer la lumière", et toi ma belle tu brilles ! Comme tu l'as dit, la majorité des gens n'aurait pas réagi comme toi. Ash et moi avons eu beaucoup de chance de tomber sur toi. Merci Zola, du fond du cœur.
Orion me souriait par-dessus son bol de chili. Un sourire plein de gratitude. Une fois de plus mon cœur se réchauffa. Je me sentais étrangement bien en présence du Brownie, comme si je le connaissais depuis toujours. Ce qui semblait ridicule, mais avec le temps j'avais appris à accepter mes différents ressentis et définitivement Orion n'allumait aucune alarme en moi. Tahnee avait posé sa tête sur le genou de mon nouvel ami. Ce qui renforça mon sentiment. Elle comme moi avions l'habitude de nous méfier et de maintenir une sorte de distance de sécurité avec les gens. Apparemment un elfe ailé de deux mètres ne nous posait aucun souci. Mais il allait tout de même falloir que je comprenne.
- Tu me dois des explications mon mignon.
Après avoir englouti un troisième bol de chili, Orion se lança dans son récit. Ash et lui venait d'une autre réalité, semblable à la nôtre. Ils avaient dû fuir pour sauver leurs têtes. Un sort leur avait permis d'atterrir ici. Je sentais que l'histoire était réduite au maximum mais je devrais me contenter de ce peu d'infos pour l'instant. Orion semblait sur le point de s'endormir sur la table. Il caressait machinalement les oreilles de Tahnee. Il finit par s'ébrouer et se leva.
- Merci pour le repas ma jolie, je vais retourner auprès de Ash.
- As-tu besoin de quelque chose ? Des couvertures ? Plus de provisions pour Ash? Les nuits sont fraîches par ici.
- C'est gentil mais tout ira bien. Je vais reprendre ma forme normale et me blottir dans le pelage de mon gros chaton grincheux !
Cette vision tellement mignonne failli me faire couiner. Il allait vraiment falloir que je me calme avant que des énormités ne sortent de ma bouche, de type " je peux te mettre dans ma poche et te garder pour toujours ?". Au même instant, Orion s'approcha de moi, un peu timidement, avec une question dans le regard. Il ouvrit grand ses bras. Sans réfléchir une seule seconde, je plongeais entre eux avec délectation et posait mes mains délicatement sur ses reins, pour ne pas abimer ses ailes. Je sentis des bras fins se resserrer sur moi et une joue se poser sur le haut de ma tête. Nous poussâmes un même soupir, comme si nous avions tous deux trouvé notre pièce manquante. Une idée farfelue en tête, j'inspirais à fond. Mes nombreuses lectures, dans le domaine de la romantaisy, m'avaient appris une chose. Les créatures légendaires dégageaient toujours une odeur fascinante. Si les Brownies et les métamorphes existent, alors peut être que... Je sentis mon esprit partir à la dérive, Orion sentait les épines de pins chauffées au soleil. Une odeur qui me ramenait invariablement à des instants joyeux de mon enfance. Je connaissais parfaitement le concept de réminiscence, mais là c'était tellement intense que je me figeais. Orion desserra doucement son étreinte.
- Tout va bien ma jolie ? Je suis désolé si cela t’a mise mal à l'aise.
- Oh mais pas du tout ! Je crois bien que c'était le meilleur câlin de ma vie. Merci Orion.
Nous nous regardions tous les deux en rougissants un peu. Il s'approcha de nouveau de moi et posa ses lèvres sur mon front pour un baiser léger comme une plume. Visiblement 38 ans n'est pas l'âge où l'on arrête de s'emballer pour un simple contact. Les ailes de l'elfe frémirent légèrement.
- Bonne nuit Zola. Encore merci pour tout. Je repasserais te voir demain si tu es d'accord.
- Avec plaisir. Bonne nuit Orion.
En se dirigeant vers le sas il reprit sa taille habituelle. Je l'observais un moment pendant qu'il s'enfonçait dans la nuit. Les rayons de la lune semblaient déposer des reflets d'argent sur ses ailes. Je poussais un long soupir. Je n'allais jamais réussir à dormir après tout cela. Fait était dit, une heure plus tard j'avais les yeux grands ouverts dans mon lit. Dans son panier, Tahnee, dormait comme une bienheureuse. Mon cerveau turbinait sans relâche. J'avais mille questions en tête. Je me redressais, allumais ma lampe de chevet et attrapais un stylo et un carnet. Autant sortir toutes ces questions de ma tête. Je les notais toutes, certaines censées et légitimes, d'autre loufoques et certaines complétement improbables voir indécentes. Cette activité ne m'aida pas à trouver le sommeil. En désespoir de cause j'attrapais mon casque et lançait une histoire pour s'endormir sur mon appli préférée. Je me concentrais sur la voix du narrateur et respirait profondément pour m'apaiser. Le sommeil me gagnait doucement. Mon dernier souvenir, avant de sombrer, furent deux yeux dorés.
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