Chapitre 4

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Zola

Certaines personnes ont l’agréable surprise d’être réveillées par le chant des oiseaux, un petit déjeuner au lit ou même, pour les plus chanceux, des bisous dans le cou. Je ne rentrais définitivement dans aucune de ces catégories. Ce qui me réveillait ce matin-là, c’était ma chienne atterrissant sur mon ventre. Elle était plutôt délicate d’habitude. Mais un léger battement d’ailes me mit la puce à l’oreille quant à son excitation. Un missile, aux cheveux violets, virevoltait au-dessus de mon lit. Orion me surplombait en souriant. Je tentais tant bien que mal de calmer Tahnee et m’adossais à la tête de lit. Le Brownie vint se poser sur mes genoux relevés. Ses yeux pétillaient et j’étais quasiment certaine que les miens aussi.

- Bonjour jolie Zola.

- Bonjour mon petit cœur.

Ce surnom sembla lui plaire, il battit des ailes vivement il fit un looping. J’éclatais de rire. Ok je voulais des réveils comme celui-ci tous les jours ! Orion reprit sa place initiale, les joues rosies et les boucles folles suite à ses cabrioles.

- As-tu bien dormi ? J’ai essayé de patienter le plus longtemps possible mais j’avais hâte de te revoir.

- J’ai passé une bonne nuit merci. Et toi ? Tu as réussi à te reposer ? Tu avais l’air vraiment épuisé hier soir.

- J’ai dormi comme un loir ! Impossible de me souvenir de la dernière fois où s’est arrivé.

En effet il semblait en pleine forme. Son sourire et son énergie étaient contagieux !

- Je peux te poser une question ?

- Au vu de ton carnet je dirais que tu as plutôt une tonne de questions !

- Tu as lu mon carnet ?

- Oui. Pardon. Je sais que c’est très impoli mais il était ouvert et je suis un incorrigible curieux.

Il baissa la tête, l’air contrit. Sa petite moue était bien trop attendrissante pour que je lui en veuille. Délicatement je redressais son menton du bout de mon doigt.

- Je ne suis pas fâchée Orion. Effectivement j’ai beaucoup de questions, elles tournoyaient dans ma tête hier soir et je n’arrivais pas à m’endormir. J’ai préféré les noter. Mais pour l’instant j’aimerais surtout savoir comment tu es entré ici.

- Oh c’est simple. Les Brownies sont, à la base, des sortes d’elfes de maison en charge des travaux domestiques, nous pouvons nous faufiler partout sans avoir besoin de clés. Aucune porte ne nous résiste.

- Des elfes de maison ? C’est ce que tu étais dans votre réalité ?

- C’est ce qui était prévu pour moi à la base, ce qui ne m’enchantais guère, mais la vie en a décidé autrement. J’ai dû utiliser mes compétences d’une autre façon pour m’en sortir.

Son regard se voilà, perdu dans des souvenirs qui semblaient douloureux. Je décidais de ne pas insister pour le moment. Je tapais dans mes mains et prononçait la phrase magique.

- On va manger ?

Aussitôt une chienne et un elfe, visiblement aussi affamés l’un que l’autre, bondirent de mon lit et foncèrent vers la cuisine. Dans ma précipitation pour les suivre, je faillis m’étaler sur le tapis. Ok, encore un jour où je pouvais oublier la grâce et la délicatesse. En arrivant à leur suite, je trouvais Orion sous sa taille humaine. Le spectacle était toujours aussi captivant. Il avait commencé à farfouiller dans les placards. J’en profitais pour laisser sortir Tahnee. Elle partit comme une furie la truffe au sol. Elle reviendrait d’ici quelques minutes. L’avantage de vivre sur une île déserte, c’est que je pouvais la laisser vadrouiller à sa guise. Je me retournais vers mon invité. Il semblait avoir sorti l’intégralité de mon frigo sur le comptoir.

- Mais qu’est-ce que tu fais ?

- Je nous prépare un brunch ! Tu as le temps de t’habiller et faire tes relevés du matin, je t’appelle dès que c’est prêt.

- Mais Orion ce n’est pas à toi de faire ça ! Et comment tu sais que je fais des relevés chaque matin ?

- Je sais aussi que tu dois aller ouvrir aux poules. Il vaudrait mieux que ce soit toi qui t’en charges, j’ai bien peur de les avoir traumatisés avec mon petit numéro de rodéo hier.

Je restais figée la bouche ouverte comme une imbécile. Il s’approcha, referma ma bouche et me pinça le nez en souriant.

- Ne fais pas cette tête, je t’ai dit que je t’avais observée. Allez va, et si tu croises un lynx affamé ne fais pas une crise cardiaque.

- Est-ce que je lui propose de venir bruncher avec nous ?

- Je vais te dire ma jolie, si tu parviens à le faire venir, tu auras mon admiration éternelle.

Sur cette dernière phrase il retourna à ses préparations. J’en profitais pour aller m’habiller et faire quelques ablutions. L’été qui débutait, sous cette latitude, offrait des journées très longues. J’avais hâte de découvrir le fameux soleil de minuit. Il était encore tôt, à peine sept heures, mais il faisait déjà grand jour. Les températures restaient cependant fraîches. J’enfilais une veste et rabattais la capuche de mon pull sur ma tête. Je retrouvais Tahnee dehors. Elle me suivit en gambadant jusqu’au poulailler. Visiblement elles avaient déjà oublié l’incident de la veille. Je fis ensuite le tour des sondes situées autour de la station, afin d’effectuer mon travail. Soudain je vis la chienne se figer et fixer un point dans la forêt. Les cheveux sur ma nuque se dressèrent. À cette distance et avec mes pauvres yeux d’humaine, je ne distinguais rien. Mais je me doutais de qui nous observait. Je n’eu pas le temps d’attraper Tahnee par son collier, qu’elle était déjà partie comme une folle en aboyant. Instinctivement, je m’élançais derrière elle. La peur guidait mes pas. Je craignais que la rencontre se passe mal. Je ne savais pas comment Ash pouvait réagir face à une chienne survoltée et inversement. Les poumons au bord de passer l’arme à gauche, je déboulais dans la forêt et stoppais net ma course folle. Assis sur une branche basse, Ash surplombait ma chienne de toute sa prestance. Il dégageait une aura magnétique. Même Tahnee semblait sous le charme. Je m’approchais doucement.

- Bonjour Ash. Désolée pour cette arrivée en fanfare, elle ne te fera rien, c’est promis.

Deux billes dorées me fixèrent intensément et sa queue touffue se balançait doucement. Son langage corporel semblait indiqué qu’il était détendu mais je ne m’y laissais pas prendre. J’effectuais un repli stratégique en emmenant ma furie poilue avec moi. Autant Orion était d’un abord facile et ouvert, autant Ash m’impressionnais. Ce n’est pas tant sa forme animale mais plutôt ce que je devinais au-delà. Une âme tourmentée et beaucoup de colère. Le peu d’infos que m’avait fourni le Brownie et leurs interactions, me permettaient d’esquisser un début d’idée le concernant. Je préférais donc me retirer pour ne pas le brusquer. Comme on le ferait avec un enfant ou un animal craintif. Arrivée en lisière du bois, je me retournais tout de même. Il m’observait toujours. Je me lançais timidement.

- Orion prépare un brunch colossal. Tu es le bienvenu si tu veux.

Je n’attendais pas de réaction et repris mon chemin. En arrivant devant le sas, mon nouvel ami ailé m’attendait. Comme la veille il m’ouvrit les bras pour une accolade. Je ne refusais jamais un câlin et acceptais son offre en couinant de plaisir. Décidément cette journée commençait sous les meilleurs auspices. Nos ventres gargouillèrent avec une belle synchronisation. Bras dessus, bras dessous, nous nous dirigeâmes vers la cuisine où un buffet digne d’un palace nous attendait. J’en restais comme deux ronds de flan. Voyant mon air ahuri, Orion me rassura.

- Ne te tracasse pas pour tes réserves, mes capacités d’elfe de maison me permettent bien des fantaisies. Je peux multiplier les aliments à partir du moment où j’en possède déjà un. Tes stocks resteront stables c’est promis. Nous n’allons pas vider ton garde-manger ma belle.

- Tu peux multiplier la nourriture ?

- Seulement les aliments non transformés à mon grand désespoir. Je suis incapable de manipuler le vin et les pâtisseries à ma guise. Ceci-dit mon foie et mon cul ne s’en portent pas plus mal. Si j’avais cette capacité je serais sûrement un Brownie obèse et alcoolique.

Je m’esclaffais avec lui. La conversation était si fluide et aisée avec Orion. Moi qui étais rarement à l’aise dès qu’il s’agissait de convention sociale, je me retrouvais à tenir une conversation soutenue avec une créature magique rencontrée la veille, tout en brunchant comme si nous avions fait cela des millions de fois. Je n’étais pas certaine de comprendre ce que l’univers essayait de me dire, mais ça m’était égale. J’étais heureuse et je dégustais les meilleurs œufs brouillés de ma vie. Face à moi, mon invité mangeait avec appétit et raffinement. Sa faim semblait sans bornes et ses gestes était empreint d’une grande délicatesse. Ses mains, aux doigts fins, s’emparaient d’un plat pour se resservir. Sa posture élégante me laissait envieuse. Son cou gracile lui donnait un port altier. Je me concentrais sur son cou un long moment. L’évidence de ce qui ne s’y trouvait pas me fit lever les yeux et je rencontrais un regard vert menthe.

- Tu as une question ma jolie ?

- Les Brownies mâles ne possèdent-ils pas de pomme d’Adam ?

- Bien sûr que si, notre morphologie est semblable à la vôtre.

Je reposais mes couverts et je pris quelques instants pour réfléchir. Je ne voulais pas être indélicate ou mal interpréter ses propos. Il m’offrit un sourire encourageant. Ses yeux magnifiques brillaient d’un espoir, d’une envie que je le comprenne, que je l’accepte. Alors je me lançais.

- Peut importe ce que tu as été. Ce qui compte c’est qui tu es aujourd’hui. Pour moi tu es Orion, celui qui a bouleversé ma vie de la meilleure des façons. Je ne te connais que depuis hier, mais je ne peux déjà plus me passer de toi. Je ne sais pas ce que la vie me réserve, mais une chose est sûre, elle m’a déjà fait un magnifique présent en te déposant sur ma route. Tu es une vraie splendeur mon petit cœur et c’est tout ce qui compte.

Des larmes coulaient sur le magnifique visage de mon ami. Je me levais, contournais la table et venait me positionner à ses côtés pour l’enlacer. Une main sur sa tempe, je l’attirais contre ma poitrine. Ses bras délicats s’enroulèrent autours de mes hanches. De gros sanglots, qui semblaient avoir été contenus depuis trop longtemps, résonnaient autours de nous. J’ignorais ce qu’il avait enduré, mais mon acceptation totale de son identité semblait avoir été rompu les digues qu’il maintenait en place depuis bien trop de temps. Je caressais doucement ses boucles. Un profond sentiment de justesse s’enroula autours de mon cœur. Je m’étais toujours sentie en décalage ou en marge vis à vie des autres. J’observais les moments au lieu de les vivre, de peur d’être montrée du doigt. Mais ce moment, si important pour Orion et moi, j’étais reconnaissante d’en faire partie. Je me sentais à ma place et incroyablement chanceuse. Entre mes bras, Orion se calmait doucement. Je pris son visage en coupe et lui déposais un baiser sur le front. Nous nous regardions en souriant. Des milliers de paroles silencieuses passèrent entre nous. Toutes ses souffrances, nos solitudes, nos peurs, nos doutes mais surtout la conviction d’avoir trouvé notre autre. Je compris que je pleurais aussi au moment où il essuya mes joues avec ses pouces.

Une sonnerie retentit dans le bureau.

- Je dois retourner travailler mon petit cœur.

- Vas y je vais tout ranger. C’est ok si je prends de quoi manger pour Ash ?

- Evidemment. Fais comme chez toi.

- Merci Zola. Pour tout.

Je luis serrais doucement l’épaule en me dirigeant vers le bureau. Il était temps que je m’affaire à mon travail. Quelques mails et autres échanges avec les équipes. Ensuite je me rendrais auprès de la colonie de Macareux pour un petit recensement des naissances. Cette colonie était la plus importante à venir nicher sur l’île depuis des dizaines d’années. Je prenais cette mission très à cœur. J’étais tombé en amour pour ces oiseaux du bout du monde. Ils passaient leur vie en haute mer et venaient nicher sur les côtes allant de l’Islande, au pays de Galle en passant par la Bretagne. Ils étaient de piètres voyageurs, volants très mal, mais de formidables pêcheurs. La période de nidification et d’éducation des jeunes était une formidable opportunité pour pouvoir les observer et les étudier. N’étant pas ornithologue, je me contentais de les photographier et de remplir des documents et autres schémas préparés par mon employeur.

Le soleil était haut dans le ciel et pas un nuage ne venait décorer l’immensité du ciel. J’avais troqué ma capuche pour une casquette et des lunettes de soleil. Tahnee avait voulu rester avec Orion. J’avançais donc d’un bon pas, seule sur le sentier. L’esprit toujours tourné vers la scène intense et magnifique que nous venions de partager dans la cuisine, je ne remarquais pas immédiatement la présence à mes côtés. Une présence humaine. Une haute taille se tenait prêt de moi. M’attendant à Orion, je me tournais vers lui en souriant. Sauf que ce n’était pas mon petit cœur. Face à moi se tenait un homme d’une trentaine d’année, avec de longs cheveux bruns, dans lesquels le soleil faisait danser des reflets auburn. Il était presque aussi grand que l’elfe sous sa forme humaine. Sa silhouette fine dissimulée sous des vêtements noirs. Sa posture rigide. La tâche de dépigmentation autours de son œil gauche, la longue mèche blanche, tranchant sur sa chevelure foncée, les iris dorées ne me laissèrent aucun doute concernant l’identité de mon visiteur.

- Bonjour Ash.

- Bonjour Zola.

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