Chapitre 5

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Ash

Zola ne sembla pas apeurée par mon apparition soudaine. Surprise et intriguée oui, mais aucunement terrorisée. Je ne savais pas trop si je devais me sentir impressionné ou vexé. Je l’avais observé depuis mon réveil, quand j’avais senti Orion se glisser hors du cocon de mes pattes où il avait passé la nuit. Il avait foncé droit vers elle. Je m’étais posté sous la fenêtre de sa chambre et avait capté leurs rires. Mon ouïe féline me permettait d’entendre parfaitement. J’avais donc pu anticiper sa sortie et m’étais précipité vers les pins. La chienne n’avait eu qu’à suivre mon odeur pour mener sa maîtresse à moi. Là aussi, en me voyant, elle n’avait manifesté aucune peur. Elle m’avait salué, m’appelant par mon prénom, et s’excusant pour le comportement de sa chienne. Comme si elle avait déjà accepté ma présence et ne semblait pas surprise de me trouver là. Son cœur battait vite, mais c’était sûrement dû à sa course pour nous rejoindre. Elle repartit aussi vite qu’elle était arrivée mais osa tout de même me proposer de me joindre à leur brunch. Elle ne me vit pas sursauter et écarquiller les yeux. Je n’avais pas l’habitude que l’on me choque de la sorte. Je me croyais à l’abris de ce genre d’émotions, pensant avoir tout vu. Zola avait trouvé une faille dans mon blindage, ça n’allait pas du tout.

J’attendais qu’elle soit rentrée chez elle pour retourner les observer. Les odeurs qui s’échappaient de l’intérieur me faisaient saliver. Orion était un vrai cordon bleu. Ils discutaient comme s’ils se connaissaient depuis toujours, c’était assez déroutant. Notre mode de vie et surtout notre fuite des derniers mois ne nous permettait pas de créer des liens. Ce qui me convenait parfaitement, mais Orion avait un caractère solaire et sociable. Tout mon contraire. Je percevais la chaleur dans sa voix tandis qu’ils échangeaient. Soudain je me figeais, sa voix, à elle : « peut importe ce que tu as été. Ce qui compte c’est qui tu es aujourd’hui ». En quelques phrases, Zola venait d’offrir à Orion l’acceptation et le respect qu’il avait recherché toute sa vie. Sans le savoir elle avait eu les mêmes mots que moi il y a des années de cela. Mon cœur tapait fort contre mes côtes. Un frisson dévala le long de mon échine et mes poils se hérissèrent. Il fallait que je lui parle. Elle prenait trop de place, trop vite. Je devais savoir. Quand elle ressorti j’étais prêt. Elle marchait seule sur le sentier. J’avançais discrètement derrière elle, suivant des yeux le doux balancement de ses hanches. Perdue dans ses pensées elle ne me remarqua qu’au dernier moment.

- Je suis contente de pouvoir enfin discuter avec toi. Si tu as faim, Orion a gardé les restes du brunch pour toi.

- Quelles sont tes intentions envers lui ? Tu lui veux quoi ?

Elle me regarda, perplexe. Elle pencha la tête sur le côté et un léger sourire s’afficha sur ses lèvres.

- Mes intentions ? Ce que je lui veux ? Je peux savoir ce qui te rend aussi méfiant à mon encontre ?

- Réponds à ma question femme !

Je passais une main rageuse dans mes cheveux et m’approchait d’elle, la surplombant de ma haute taille. Elle croisa les bras sur sa poitrine, que je devinais généreuse, et darda son regard sur moi, les yeux plissés par le mécontentement.

- Non toi réponds à la mienne ! C’est quoi ton problème ? Vous débarquez sur mon île sans crier gare, je fais mon maximum pour me montrer accueillante, je vous aide, partage ma nourriture tout en essayant de ne pas vous noyer sous le million de questions légitimes que je me pose. Orion, lui, est un amour et se comporte de façon civilisée. Toi tu as essayé de me bouffer, de me faire peur et tu as passé ton temps à me juger. Et là, monsieur bougon décide de se montrer sous sa forme humaine, juste pour m’agresser verbalement ! Va te faire voir Ash ! Remets ta fourrure et fous moi la paix !

Ses yeux me foudroyèrent une dernière fois avant qu’elle ne me tourne le dos et ne reprenne son chemin. Je serrais les poings, plus par habitude que par réelle colère. Mon rythme cardiaque s’emballa. J’avais vécu sous les insultes, les brimades et les menaces toute ma vie. Tout ça me glissait dessus. Alors pourquoi les mots de cette petite humaine me touchaient autant ? Pourquoi la voir si remontée contre moi me tordait le ventre ? N’y tenant plus, je la rattrapais en quelques enjambées et lui attrapais le coude pour la forcer à me regarder.

- Premièrement je n’ai pas essayé de te manger, je voulais juste que tu le crois.

- Tu peux être fier de toi, mission accomplie. Maintenant lâches moi, j’ai du travail. Retournes bouder dans ton arbre et laisses moi tranquille.

Elle se dégagea de ma prise et reprit sa route, une fois de plus. Mais ça voulait dire quoi ce comportement ? Elle n’était que miel et tendresse avec Orion, et moi j’avais droit aux regards noirs et mots acérés. Elle me fuyait. Pas par peur mais plutôt parce qu’elle n’avait aucune envie de me parler. Je m’étais montré abrupte en l’abordant c’était vrai. Ce qui fonctionnait dans ma réalité, pour obtenir des informations, ne marchait clairement pas avec elle. Mon esprit partait dans tous les sens. Je m’attrapais les cheveux à deux mains en effectuant des allers retours sur le sentier. Mon énervement grandissait de façon exponentielle quand j’entendis soudain une cavalcade derrière moi. La chienne, vue ce matin, fonçait vers moi en essayant d’attraper Orion, qui volait au-dessus d’elle. Elle stoppa à quelques mètres de moi, sur la défensive. Décidément, toutes les habitantes de cette île m’en voulait. Mon acolyte vint se poser sur mon épaule.

- Alors Lord Grincheux, je vois que la sociabilisation n’est toujours pas acquise ? Tu as trente-trois ans, il serait temps.

Il m’observait de son air malicieux et je ne pus retenir un ricanement. Mon souffle erratique s’apaisa progressivement. Orion me connaissait mieux que personne et savait comment faire redescendre ma tension.

- Je lui ai à peine dit deux mots qu’elle s’est enflammée. Il faudrait qu’elle apprenne à gérer sa colère. Sérieux je ne sais pas ce que tu lui trouve !

Le Brownie me tira les cheveux, fort. Il s’envola pour se retrouver au niveau de mon regard. De la colère dans les yeux et ses petits poings serrés, il exsudait la fureur.

- Je t’interdis de parler ainsi de Zola ! Tu n’es vraiment qu’un sale métamorphe plein de rancune et de colère incapable de reconnaître une belle âme quand elle se présente sous son nez !

- Une belle âme ?? Mais qu’est ce qui te rends si sûr de toi ? Qu’est ce qui te fais croire qu’elle ne bosse pas pour Kern ? Quelle ne va pas nous trahir elle aussi ?

Tendu, le regard fou, je cherchais une issue pour m’enfuir. Kern, il ne m’aurait plus, je ne le laisserais pas faire. Je devais vite trouver un plan pour nous sortir de là. Je tremblais, ma vision se troubla. Je m’effondrais à genoux, les mains sur le sol, la nausée au bord des lèvres.

- Non, non, non. On ne peut pas rester ici, on va s’enfuir, je vais nous trouver un lieu sûr je te le promets…

Orion se matérialisa devant moi sous sa taille humaine. Il prit mes mains dans les siennes. Un bourdonnement sourd me vrillait les tympans. Il connaissait mes crises d’angoisse et savait les gérer. Une légère pression sur mes mains et je commençais à caler ma respiration sur la sienne. Il avait fait la même chose avec Zola. Il cola son front au mien.

- Ash, nous sommes déjà dans un lieu sûr. Zola ne nous fera pas de mal. Nous ne sommes pas arrivés ici par hasard. J’en suis convaincu. Une force supérieure, appelle ça le destin ou la providence, m’a poussé ici. Je le ressens dans mes tripes et jusqu’au fond de mon âme. Comme si cet endroit et Zola m’appelaient. Prends-moi pour un fou si tu veux mais tu ne me feras pas changer d’avis.

Je reculais légèrement et captais le regard de mon ami. Il savait tout de moi et je connaissais tout de lui. Nous étions le miroir de nos âmes brisées et de nos cœurs fatigués d’avoir trop souffert. Mais la seule chose que je distinguais chez lui c’était la certitude et une paix infinie. À cet instant, je l’enviais. Je n’avais jamais connu ou ressenti ça. Toute ma chienne de vie n’avait été que douleurs, abandons, méfaits et survie. Je ne comprenais pas. Je ne savais pas comment gérer ces nouvelles données.

- Orion je… Je suis désolé. J’aimerais faire confiance à Zola, comme toi tu le fais. Mais c’est plus fort que moi, j’envisage le pire. Je ne comprends pas ses motivations.

- Je sais, je te connais. Tu veux toujours me protéger, et sans toi, je ne serais plus là depuis longtemps. Je t’ai toujours laissé faire. Cette fois c’est à mon tour de prendre soin de nous. Je sais que tu ne fais confiance à personne. Tu te méfies de Zola. Mais elle n’a rien à voir avec les ordures de notre réalité. Je te demande d’avoir foi en moi.

- Tu as tort. J’ai confiance en toi. Tu es la seule personne à la mériter. Tu accordes la tienne à cette femme et elle semble en faire de même. Pour l’instant je ne comprends pas tes raisons, ni les siennes. Mais j’ai une certitude dans la vie et c’est toi. Alors je vais faire des efforts pour comprendre ce lien qui s’est crée entre vous. Je te le promets mon frère.

La gorge nouée je me relevais. Nous ne parlions que rarement à cœurs ouverts. Notre passé traumatique et ce que nous avions dû faire et endurer pour survivre nous avait lier à jamais. Nous ne pourrions jamais changer les dix huit dernières années. Mais un nouvel avenir semblait s’offrir à nous. Nous en avions cruellement besoin. Orion s’y précipitait avec courage et détermination. Pour ma part j’y allais en me débattant car je ne savais pas faire autrement. Mais pour lui, j’allais tout tenter.

- Merci. Je ne te demande pas de changer radicalement de personnalité, car je t’aime comme tu es. Mais si tu pouvais éviter de lui faire peur.

- Oh crois moi je ne lui fais absolument pas peur ! Je t’ai dit que je ferais des efforts et je vais m’y tenir. Je continuerais de l’observer de loin et je n’interfèrerais pas entre vous. Mais ne t’attends pas à ce qu’elle et moi devenions les meilleurs amis du monde. Tu me connais. Et puis de toute façon, elle ne veut clairement rien avoir à faire avec moi.

- Je n’en attendais pas moins de ta part foutue parano ! Au fait, tu pues grave. Zola à dit qu’on pouvait se servir de la salle de bain. Je t’ai laissé à manger dans la cuisine. Fais moi plaisir. Va te laver et mange. Elle ne sera pas de retour avant un moment.

Je failli refuser, mais mon ventre gronda de façon sonore au même instant. Je fis semblant de ne pas remarquer le sourire narquois de mon agaçant compagnon, et me dirigeais vers la maison de Zola. J’en profiterais pour fouiller et chercher des preuves. L’intérieur était un grand espace ouvert séparé par des demi-cloisons pour la cuisine, le salon et le bureau. Seule la chambre et les commodités formaient de vraies pièces. Je décidais de suivre les conseils d’Orion et de me laver. Je venais de passer plusieurs jours sous ma peau de lynx. J’avais besoin de me retrouver. Une bonne douche était la bienvenue. En pénétrant dans la petite salle de bain je remarquais deux serviettes suspendues et une troisième, pliée, bien en évidence. Je me déshabillais rapidement en évitant le reflet du miroir. L’eau chaude qui s’abattait sur moi détendit mes muscles. J’utilisais les produits de Zola. Son shampoing sentait la vanille et son gel douche l’orange et le cèdre. Je pensais détester le fait de sentir comme elle. Mais une fois de plus c’est la surprise plutôt que la colère qui prit le dessus. Ces odeurs étaient étrangement réconfortantes. Dans la cuisine, je trouvais de quoi me sustenter. Je grignotais quelques aliments et bu de l’eau. Je ne savais pas quand Zola rentrerait et je préférais éviter qu’elle me trouve chez elle. Je commençais donc mes investigations. Malheureusement elles ne m’apprirent pas grand-chose. Orion n’avait pas menti, elle adorait visiblement lire. Une bonne partie des étagères étaient remplies de livres. Quelques bibelots, son matériel de travail, un télescope. Je me faufilais dans sa chambre. Son odeur était plus prégnante ici. Le lit était fait. Quelques vêtements trainaient sur un fauteuil. Un livre et un carnet étaient posés sur la table de chevet. Je feuilletais le carnet. Elle avait une écriture ronde. Il était rempli d’annotations sur ses lectures, de listes de choses à faire et de questions. Un tas de questions. Sur nous. Il était sans doute normal qu’elle s’en pose. J’en faisais autant à son sujet. J’ouvris le premier tiroir de sa commode et un frisson me parcouru le bas ventre. Je venais de trouver ses sous-vêtements. La vue de cette partie de son intimité me frappa plus que je ne l’aurais imaginé. Je sentis mes joues me brûler de honte. Je repensais à la promesse faite à Orion. Il m’avait traité de parano, et là, devant les petites culottes en coton de son amie, je me demandais s’il n’avait pas raison.

Un aboiement au loin me sorti de ma transe. Je refermais le tiroir brusquement, sortis en trombe de la maison et couru jusqu’au bord de la falaise. Je n’avais rien trouvé chez elle. Cela ne me laissait d’autre choix que de devoir me rapprocher d’elle. J’allais devoir me montrer patient et malin car elle était déjà sur la défensive. Elle m’échappait et cela me rendait fébrile. Tout en fixant les vagues à mes pieds, je laissais mon esprit élaborer des plans comme à son habitude. Le souci c’était que même si je considérais Zola comme une menace, au fond de moi je n’étais pas vraiment certain qu’elle en soit une. La seule menace venant d’elle, c’était la trop grande place qu’elle prenait dans ma tête.

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