Chapitre 6

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Zola

Je ne revis pas Ash les jours suivants. Et pourtant il était partout. Il venait manger et se doucher en mon absence, je le sentais m’observer à chaque instant que je passais dehors. Il restait à distance, comme une ombre vigilante. Parfois je voyais Tahnee se figer, la truffe au vent, puis elle fonçait vers un point invisible pour moi. Quand elle revenait, elle semblait toujours satisfaite et légèrement intriguée. Je la laissais faire. Je n’avais pas vraiment le temps de m’inquiéter de tout cela. Je trouvais des nouveaux œufs éclos chaque matin. Mes relevés concernant les Macareux étaient en perpétuelle mise à jour. Cette explosion de vie me fascinait toujours autant. Le climat sur ses terres septentrionales était un spectacle à lui tout seul. Les journées étaient de plus en plus longues. Nous approchions du solstice d’été. Les couchers de soleil duraient des heures. À cause de l’inclinaison et de la rotation de la terre, cette partie du globe était éclairée différemment. En été, le soleil brillait quasiment 24 heures sur 24. La nuit n’était pratiquement jamais noire. Seulement quelques petites heures. Heureusement ma chambre était équipée de volets occultants.

Orion et moi avions pris nos petites habitudes très rapidement. Il venait me réveiller chaque matin, de façon plus ou moins délicate. Nous déjeunions ensemble puis il me laissait faire mon travail. Il me rejoignait généralement dans l’après-midi et nous discutions tout en nous baladant. Il se perchait sur mon épaule et je lui faisais découvrir mes coins préférés de Hjöx. Je sentais parfois son attention se fixer sur autre chose que moi. Je savais alors que son compère grincheux nous suivait. Cela m’était égal. Je n’avais rien à cacher. Au fil des discussions, j’en apprenais un peu plus sur leur réalité. Cette dernière était parfaitement semblable à la nôtre, mais peuplée d’humains possédants des pouvoirs, des sorciers et des enchanteurs plus ou moins puissants. On y trouvait aussi beaucoup de créatures comme Ash et Orion, des mercenaires et autres joyeusetés. Comme partout, c’est l’argent et le pouvoir qui dirigeaient. Encore un point commun entre nos réalités. Je compris également que seul un voile semblait les séparer. Un voile infranchissable. Le sort jeté par le Brownie avait provoqué une déchirure temporaire qui leur avait permis d’atterrir ici. Il me confirma qu’elle s’était refermée immédiatement après leur passage.

- Tu ne parles jamais de ta famille. Les as-tu laissés là-bas ? Ou des amis ?

Son joli visage se ferma.

- Il n’y a jamais eu personne pour moi là-bas. Seulement Ash. C’est lui ma famille. Mes parents n’acceptaient pas ma différence. Je leur faisais honte. Ils m’ont vendu à Kern à mes 12 ans. Je ne les ai plus jamais revus. C’est dans le camp de Kern que j’ai rencontré Ash. Il avait 15 ans.

- Lui aussi avait été vendu ?

Nous étions désormais assis sur des rochers. Le vent, toujours présent sur l’île, faisait ondoyer nos cheveux et frémir les ailes d’Orion. Il s’ébroua comme pour chasser les souvenirs.

- Ash n’aimerait pas que je te raconte son histoire. C’est à lui de le faire.

- Je comprends, je ne voulais pas te mettre dans une position délicate vis-à-vis de lui. Peux-tu me dire qui était Kern ? Il vous a élevé ? C’est courant dans ta réalité de vendre ou d’acheter des enfants ?

- Disons que les mœurs différent d’ici. Kern est un puissant enchanteur qui est en perpétuelle recherche de pouvoir et d’argent. Il possède une armée de mercenaires et autres créatures dangereuses. Il achète régulièrement des enfants, orphelins ou non, pour en faire ses petites mains. Il s’intéresse uniquement à nos capacités et ce que nous pouvons lui rapporter. Il nous fait miroiter notre liberté. Il fixe un montant mirobolant que nous devons rembourser afin de nous affranchir de lui. Comme si la somme versée à mes parents pouvait être aussi colossale. Ils m’ont vendu pour une bouchée de pain…

Les paupières serrées pour ne pas pleurer, il enroula ses bras autours de lui et se balança doucement. Cette habitude de se bercer semblait ancrée en lui depuis longtemps. J’étais en colère. Le voir ainsi me déchirait. Ne sachant pas quoi faire pour le réconforter, j’ouvris à mon tour mon cœur.

- J’ai été harcelée pendant toute ma scolarité. Je n’ai pas connu de violences physiques, plutôt des humiliations quotidiennes et des moqueries incessantes. J’avais peu d’amis, les professeurs voyaient mais n’intervenaient pas. Et moi je n’en parlais pas. Mes parents n’ont jamais su. Je me suis totalement renfermée sur moi-même. Ils sont morts dans un accident de voiture quand j’avais 20 ans. Je me suis retrouvée totalement seule. J’ai passé des années à enchainer les relations désastreuses avec des hommes qui me rabaissaient. Les brimades et les humiliations semblaient être mon lot quotidien.

Je savais que le métamorphe nous écoutait. Tant mieux. Je n’avais plus honte de moi depuis longtemps. Je suivis des yeux une mouette sur la plage en contrebas. Une petite main vint se poser dans la mienne. Je la serrais doucement. Ce geste nous apaisa. J’avais ressenti ses souffrances et lui les miennes. Les mots étaient superflus. Les silences étaient confortables en sa présence. La solitude était devenue mon alliée depuis longtemps. Pourtant j’avais laissé Orion se faufiler. Il avait ouvert en grand la porte de mon cœur. Je la croyais scellée depuis longtemps. Mais comme il me l’avait expliqué quelques jours plus tôt, il n’avait pas besoin de clé. Je ressenti comme une envolée de papillons dans mon ventre à ce constat. La vie prend, elle cogne et nous laisse à terre. Mais la vie donne aussi. Tahnee m’avait sortie de ma torpeur. Orion m’offrait un nouveau souffle.

- Mon petit cœur, je n’ai pas besoin de tout savoir. Je crois que je comprends tes silences mieux que tes mots. Tout comme tu comprends les miens. Tu as le choix aujourd’hui. Celui de choisir ta vie, celui d’être qui tu veux. Désormais, tu n’appartiens à personne d’autre qu’à toi-même. Tu es seul aux commandes et moi je suis ravie de pouvoir assister à ça. C’est un privilège de t’accompagner sur ce chemin.

La main dans la mienne prit soudain de l’ampleur et je me retrouvais dans une étreinte chaleureuse. Je me demandais si les émotions fortes n’influençaient pas le changement de taille de mon ami.

- Nous devrions trinquer à cette nouvelle vie. J’ai du champagne !

- Tu sais comment me parler ma jolie !! Allez, viens dans mes bras, c’est moi qui te ramène !

- Attends deux minutes.

Je me retournais et cherchais en vain le métamorphe des yeux. Je savais qu’il était là quelque part. Je me lançais.

- Ash je sais que tu m’entends. Tu es le bienvenu pour te joindre à nous. Fais-le pour Orion.

Je laissais ensuite ce dernier m’emporter vers les cieux. Enfin c’est l’impression que cela donne quand notre condition d’humain ne nous permet pas de voler. En réalité nous nous élevions à quelques mètres du sol. Voir l’île sous cet angle était extraordinaire. J’aurais aimé prendre des photos. Mais elles auraient fatalement engendré des questions auxquelles j’aurais eu du mal à fournir des réponses. Je mentais très mal. Tant que mon travail était effectué convenablement, mon employeur me laissait tranquille. Pour la sécurité de mes deux colocataires, je préférais taire leur présence. Ils n’impactaient en rien ma mission, ne mettaient pas ma vie en danger, et ils ne perturbaient pas l’écosystème si fragile de l’île. Une personne plus conformiste que moi se serait sans doute empressée de les dénoncer. Mais je savais ce dont les hommes étaient capables face à quelque chose qu’ils ne comprenaient pas. La différence était mal perçue voir réprimée. Nous avions tous trois subit l’intolérance de nos pairs. Hors de question qu’elle nous suive ici. Elle était bannie de mon île. Orion et Ash espéraient avoir enfin trouvé un endroit sûr. Et j’allais leur prouver que c’était le cas. Pour cela je devais régler mes différends avec le grincheux aux yeux dorés. Notre confrontation me trottait toujours dans la tête. Moi qui étais d’une nature plutôt pondérée et qui fuyais le conflit, je m’étais emportée contre lui à une vitesse impressionnante. Il déclenchait en moi des sentiments confus que je n’étais pas encore prête à analyser. Mais il était important pour Orion. Sa seule famille. Je me devais donc de me montrer mature et de cesser les hostilités. Je n’avais pas la moindre foutue idée de comment m’y prendre. Voilà ce qui se passait quand on laissait des gens entrer dans sa vie après avoir vécue en recluse depuis des années.

- Ouhou Zola, tu es encore perdue dans tes pensées.

- Désolée, je pensais à Ash. Je sens qu’il ne va pas me faciliter les choses. Le champagne est au frais, l’ancien locataire de la station en avait laissé quelques bouteilles. Tu veux bien le servir pendant que je vais me changer ?

- Je m’occupe de tout ne t’inquiète pas.

Je me rendais à la salle de bain pour me rafraichir. Je contemplais nos trois serviettes suspendues, les brosses à dents sur le lavabo. J’avais totalement laissé ces deux hommes rentrer dans ma vie. Mon pouls s’accéléra, ma respiration était ample et profonde, mes épaules détendues. En captant mon reflet dans le miroir je remarquais que mes yeux brillaient et que je souriais. J’étais heureuse. Ce bouleversement dans ma vie semblait me plaire. Légèrement choquée, je filais dans ma chambre. Je décidais de faire un effort vestimentaire pour cette célébration. Mon placard regorgeait de vêtements techniques adaptés au climat. J’avais cependant pu prendre quelques tenues plus personnelles. J’enfilais donc un jean slim noir, un débardeur en lin un peu ample, noir lui aussi, sur lequel j’enfilais une chemise fluide à carreaux dans un camaïeux de vert. Une paire de boucle d’oreille en or et une bonne couche de mascara complétèrent ma tenue. Je retournais dans la pièce de vie et je restais clouée sur place. La pièce était empreinte d’une ambiance chaleureuse grâce aux bougies disséminées un peu partout et à la musique diffusée par mon enceinte. Une bonne odeur se dégageait de la cuisine. Orion était vraiment une perle. Pourtant ce qui m’avait presque pétrifié c’était la présence de Ash sur le canapé. Sa forme humaine ne lui avait pas fait perdre son aura magnétique. Ses manches étaient retroussées, révélant ses avant-bras fins et ses mains aux doigts longs et nerveux. Ses cheveux longs étaient coiffés en chignon flou. Il semblait nerveux. Son regard se posa sur moi et j’eu l’impression de me noyer dans deux bassines d’or liquide. Merde, est ce que je venais de le mater ? J’avais chaud tout d’un coup. Tahnee me sauva de cet embarras en venant poser sa tête sur le genou du nouvel arrivant. Il posa son regard sur elle en souriant.

- Ravie de te revoir mon amie. Et bonsoir Zola. Merci pour l’invitation.

- Heu bonsoir. Merci d’avoir accepté.

Orion me tendit une coupe et vint poser son bras sur mes épaules.

- Trinquons mes amis ! À cette nouvelle vie qui s’offre à nous, quelle puisse être longue et nous combler car putain on le mérite ! Et merci à toi Zola de nous offrir cette chance.

Il déposa un baiser sur ma tempe et vida son verre d’une traite. Ash me fixait et leva sa coupe dans ma direction avant de le vider à son tour. Je fis de même et m’étouffais à moitié. Evidemment. Si je terminais cette soirée vivante et un tant soit peu digne je pourrais m’estimer heureuse.

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